jeudi 31 décembre 2009

La première des libertés...







Ah, les années 70... Drôles de mixtures. Mais revenons à Bernanos :

"De 1914 à 1918, les hommes de l'avant ont vécu d'honneur, ceux de l'arrière de haine. A quelques exceptions près, tout ce qui n'avait pas combattu s'est retrouvé pourri, pourri sans remède, pourri sans retour, au bout de ces quatre années sanglantes. Tous pourris, vous dis-je ! Ce ne sont pas là des paroles en l'air. Les témoignages subsistent. Je défie, je mets au défi un garçon normal d'écrire, par exemple, une thèse sur l'espèce de littérature d'où ces malheureux tiraient la substance de leur patriotisme sédentaire, sans risquer de sombrer aussitôt dans le désespoir. Mensonge et haine. Haine et mensonge. L'opinion de ce noble peuple qui s'est battu tout au long de son histoire, avec des chances diverses, s'est trouvée aux mains d'un tas de bavards plus ou moins latinisés, fils d'esclaves grecs, juifs ou génois, pour lesquels la guerre ne fut jamais qu'un pillage ou une vendetta, rien d'autre. Si mal nés que le respect de l'ennemi leur paraît un préjugé absurde, capable de démoraliser les soldats. C'est vous qui nous eussiez démoralisés, chiens ! si du moins nous avions daigné vous lire. Plût à Dieu qu'au retour nous ayons fermé à coups de trique vos bouches intarissables ! Mais vous criiez si fort, vous écumiez avec tant d'abondance, que nous nous sommes trouvés un peu honteux avec nos béquilles et nos croix, nous avons eu peur de paraître moins patriotes que vous, imposteurs. Votre énorme impudence suffirait à expliquer, sinon justifier, la timidité des anciens combattants. Quoi ! nous eussions rougi de tendre la main à n'importe quel loyal ennemi avec lequel nous avions échangé des coups, et nous prenions vos consignes, nous subissions vos louanges ! Car l'armistice ne vous a pas fait taire et la paix pas davantage. Vous aviez tellement eu peur pour vos peaux, Tartarins ! Oui, je jure que nous n'aurions pas demandé mieux, assuré le légitime prix de notre victoire, de rendre l'honneur à un peuple affamé, nous nous serions souvenus qu'il avait fait face contre tous, sacrifiant jusqu'à sa misérable enfance, élevée sans lait. Nous eussions pensé à tant de femmes allemandes, tant de femmes de soldats, mortes un jour, le sein tari, auprès d'un nouveau-né spectral, nourri d'un pain noir et gluant. Nous vous aurions dit : « Méfiez-vous, Tartarins... Nous les avons vaincus, ne les humiliez pas. Assez d'histoires de mitrailleurs enchaînés à leur pièce, de Boches conduits au feu à coups de bâton. Assez de phrases sur les barbares. Vous ne tiendrez pas soixante millions d'hommes sous la perpétuelle menace d'une occupation préventive, derrière des frontières ouvertes. » Hélas ! Ils ne cessaient d'injurier que pour suer d'épouvante. Ils criaient : Sécurité... Sécurité... d'une voix si perçante que l'Europe envieuse, déjà secrètement ennemie, feignait de se boucher les oreilles, parlait avec tristesse de nos obsessions morbides. Nous n'étions nullement obsédés, nous autres. Nous aurions donné beaucoup - même la légendaire part du combattant - pour sécher votre flux d'entrailles. Mais rien n'arrête les diarrhées séniles. Nous aurions dû prévoir qu'à mesure que se redressait l'Allemagne - un genou, puis l'autre - la suppuration de haine ne s'arrêterait pas pour autant, qu'elle allait refluer peu à peu jusqu'au coeur du pays. Les maniaques qui furent sans pitié pour l'Allemagne vaincue, exsangue, l'honorent maintenant. Ils finiront sans doute par l'aimer. Le redoutable Orient qui commençait hier encore à Sarrebruck a pris position au centre même de Paris, rue Lafayette [siège du PCF]. Que voulez-vous ? Ces vieux ont encore pris de l'âge. Ils préfèrent avoir la barbarie tout près, à une étape de chaise roulante. La défense de l'Occident se trouve ainsi grandement facilitée. La guerre entre les partis se poursuit selon les anciennes méthodes de la guerre du Droit. Sans doute, le chantage au « défaitisme » ne sert plus désormais, car le jour même où M. Mussolini a jeté son dévolu sur l'Éthiopie, clef de l'Afrique, tous les guerriers honoraires sont devenus pacifistes.


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Le chantage au « communisme » succède à l'autre. Des milliers de braves gens qui ne demanderaient pas mieux que de se rendre compte avant de rejeter définitivement de la communauté nationale une part importante du prolétariat français n'osent plus ouvrir la bouche, de peur qu'on les accuse de faiblesse envers M. Jouhaux, comme on les eut convaincus jadis de complicité avec M. Joseph Caillaux, maintenant champion sénatorial des Bons Riches." (p. 553-555).

Bernanos fait ici allusion à une campagne menée par Léon Daudet et l'Action Française durant la Grande Guerre contre Caillaux, accusé alors de rien moins que de trahison.

Dans les Grands cimetières..., ce qui suit directement est le passage que je vous ai retranscrit l'autre jour. Sautons maintenant quelques pages :

"Que de malentendus s'éclairciraient demain pourvu qu'on substituât au nom absurde de dictateurs celui de réformateurs ! La première Réforme, celle de Lénine, exécutée dans les conditions les plus défavorables, gâtée par la névrose juive, perd peu à peu de son caractère. Celle de M. Mussolini, d'abord unanimiste et sorélienne, aussi diverse d'aspect que le puissant ouvrier qui en avait poursuivi si longtemps l'image à travers les manuels élémentaires de sociologie, d'histoire, d'archéologie, toute clinquante d'une antiquité de bazar, avec son air de farce héroïque, sa gentillesse populaire, coupée d'accès de férocité, son exploitation cynique et superstitieuse d'un catholicisme d'ailleurs aussi vide et somptueux que la basilique de Saint-Pierre, n'était sans doute que la réaction d'un peuple trop sensible aux premiers symptômes de la crise imminente.



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Quelques années plus tôt, à travers des lieues et des lieues, la tempête russe ne l'avait-elle pas jeté dans les convulsions ? L'orage wagnérien qui se formait au centre de l'Europe devait exciter plus gravement encore ses nerfs. Que peut un Érasme devant Luther ? Quel homme de bon sens eût parié pour les girondins humanistes, ou même pour Danton, contre Robespierre et Saint-Just ? Le comportement de l'Italie nouvelle devant le terrible Enchanteur est exactement celui de l'inverti en face du mâle.


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Il n'est pas jusqu'à l'adoption du pas de l'oie, par exemple, qui n'évoque irrésistiblement certaines formes du mimétisme freudien. Que dire ? Lénine ou Trotsky ne furent que les prophètes juifs, les annonciateurs de la Révolution allemande, encore dans les nuées du Devenir. Mussolini lui ouvre les portes dorées de la Mer. Au roulement des camions et des tanks, toute l'enfance de l'Europe vient de mourir à Salzbourg avec l'enfant Mozart. Il n'est qu'une Réforme et qu'un Réformateur : le demi-dieu germanique, le plus grand des héros germains, dans sa petite maison des montagnes, entre sa vierge allemande, ses fleurs et ses chiens fidèles.


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Eva aime Smoke gets in your eyes...


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On ne peut mépriser la grandeur d'un tel homme, mais cette grandeur n'est pas barbare, elle est seulement impure, la source de cette grandeur est impure. Elle est née de l'humiliation allemande, de l'Allemagne avilie, décomposée, liquéfiée de 1922. Elle a le visage de la misère allemande, transfigurée par le désespoir, le visage de la débauche allemande, lorsque les innommables, les intouchables reporters des deux mondes se donnaient pour un louis le hideux plaisir de voir danser entre eux, fardés, poudrés, parfumés, jouant des hanches et le ventre vide, les fils des héros morts, tandis que M. Poincaré, le petit avoué aux entrailles d'étoupe, au coeur de cuir, faisait grossoyer les huissiers. Elle est le péché de l'Allemagne, et elle est aussi le nôtre. Sur sa face d'archange sans pardon, elle n'a pas daigné essuyer les crachats. Notre ancienne haine resplendit dans ses yeux, nos anciennes injures font à son front cette ombre ardente. Elle n'a rien oublié. Elle n'oublie rien. Ni ses crimes ni les nôtres. Son orgueil assume tout. Plût à Dieu qu'elle se fût inspirée de l'esprit de vengeance ! Il n'y a pas de vengeance assez profonde pour y enterrer le secret de sa honte passée. Elle a connu toutes les formes de l'opprobre, même la pitié. Cette force allemande, que le monde a maudite, va racheter le monde. Elle croit cette tâche immense à sa mesure, elle lui paraît mille fois moins lourde que l'oubli." (pp. 565-66)


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Textes fort riches et par certains aspects contestables, mais comme à l'accoutumée je préfère vous les livrer sans coupures, pour ne pas en freiner l'élan ni en gommer les éventuelles aspérités.


Ce que j'en retiens principalement, pour continuer notre recherche, peut-être formulé en termes hégéliens ou maussiens.

Du côté de Hegel, on dira que s'il put y avoir reconnaissance de l'ennemi sur le champ de bataille, à l'arrière et lors du Traité de Versailles il y eut au contraire déni de reconnaissance. En s'inspirant de Mauss, on dira qu'à Versailles la logique du don - contre-don (et le pardon chrétien évoqué par Bernanos n'en est pas la moindre figure) a été brisée : on a tout pris aux Allemands sans rien leur accorder. Si le « concert européen » avait été sur la même longueur d'onde lors du congrès de Vienne, les ravages provoqués dans toute l'Europe par Napoléon étant nettement supérieurs aux dégâts commis par les Allemands en 1914-1918, nous aurions eu bonne mine... Mais les vieux routiers du Congrès de Vienne savaient ne pas aller trop loin, et n'étaient pas encore bien modernes (Bismarck, déjà, en 1871, en fit trop...). Car ce qui a provoqué l'inflation anti-allemande du traité de Versailles, c'est, outre la haine mi-archaïque mi-moderne (ambiguïtés du nationalisme...) de Clemenceau envers l'Allemagne, la conjonction de deux formes de la modernité.

La première, absente du texte de Bernanos, c'est l'américanisme, l'internationalisme wilsonien, je vous apporte la bonne parole, j'ai raison, avec moi vous allez tous vous aimer, et tant pis si je ne vous connais pas, ne connais pas votre histoire - d'ailleurs l'histoire, c'est démodé, laissons-tomber et embrassons-nous Folleville.

La seconde est plus subtile, et c'est malheureusement la France qui l'a alors incarnée. Je récapitule : à certains égards, le libéralisme, dans son schéma du contrat, est une forme dégradée du don - contre-don, mais une forme tout de même, une « figure de la réciprocité ». Dans la pratique, on sait bien qu'un contrat ne peut prétendre à une certaine légitimité morale, même faible, que si les deux signataires sont de puissance à peu près égale. Ce qui n'était pas le cas en 1918. J'ai par ailleurs eu l'occasion de montrer, dans les textes sur la nature humaine et la notion de cérémonie d'une façon générale (heil Voyer !), ainsi qu'au sujet plus particulier de Nicolas Sarkozy, que, poussé jusqu'à ses limites, le libéralisme substitue au légitime besoin de sécurité une pure et simple logique animale de préservation de son être, logique de préservation qui n'a d'autre fin qu'elle-même. Cela se lit chez un des pères fondateurs, Hobbes, cela s'est retrouvé en filigrane dans l'excellent slogan de la droite après le 21 avril 2002 : « La Sécurité, première des libertés », cela se lit aussi, donc, dans le premier texte cité de Bernanos : " Ils ne cessaient d'injurier que pour suer d'épouvante. Ils criaient : Sécurité... Sécurité..." Le Traité de Versailles, de ce point de vue, c'est, en sus du virtualisme wilsonien et des travers de Clemenceau, la conjonction très moderne d'un contrat sans réciprocité et du désir de « survivre pour survivre », fût-ce aux dépens de l'existence du voisin. Ajoutons pour faire bonne mesure cette dimension de vieillesse perçue par Bernanos, qui sait très bien que tant de jeunes viennent de succomber sur les champs de bataille : le libéralisme poussé jusqu'au seul désir de survivre, c'est d'abord une histoire de vieux, et la « colonisation des jeunes (le peu qu'il en restait) par les vieux » une des façons dont cette forme du libéralisme a progressé dans les esprits au long du XXe siècle.

Vous avez maintenant les ingrédients de la tambouille, le résultat est simple et très clairement expliqué par Bernanos : l'Allemagne nazie n'est pas en quête de reconnaissance (Hegel) ou de vengeance (Mauss, la vengeance est une forme de réciprocité), parce que les signataires du traité de Versailles ne se sont eux-mêmes, fondamentalement, pas placés sur ces terrains primordiaux et ont de facto empêché l'Allemagne de le faire. L'Allemagne nazie est en mission, une mission favorisée par l'état de ses voisins, mais où elle ne regarde qu'elle-même - espace vital, volonté de domination universelle, narcissisme et jeunisme effrénés, au prix de l'élimination d' « ennemis intérieurs » ne cadrant pas avec cette « identité raciale-nationale », etc, vous connaissez la chanson.

Bref, il me semble qu'il faut modifier le regard que nous portons d'ordinaire sur ce Traité de Versailles dont tout le monde par ailleurs reconnaît la faillite : cette faillite n'est que d'un point de vue secondaire due à des sentiments archaïques de vengeance ou de nationalisme, elle est bien plus fondamentalement une faillite très moderne, on y retrouve même des composantes importantes de la modernité. Y compris d'ailleurs la nullité des personnels politiques... (Ce qui ramène à cette autre question, mais à chaque jour suffit sa peine : les grands hommes politiques de la modernité furent-ils démocrates ? Ou : jusqu'à quel point le furent-ils ?)

Meilleurs voeux !


- Oui, une petite digression pour finir : lors d'une « fantaisie », dans laquelle figurait d'ailleurs Bernanos, j'avais fait un parallèle entre la volonté de domination de Hitler et la « civilisation du cul » dénoncée par Godard. En recherchant des photos pour illustrer ce texte, je suis tombé sur des clichés d'Alessandra Mussolini, petite-fille de son grand-père, en tenue d'Ève, photos dont j'avais su puis oublié l'existence. Un totalitarisme chasse l'autre, d'une certaine manière, et je me disais en comparant ces photos


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que si l'une suggère des visions nettement plus agréables que l'autre, le corps le plus profané n'est sans doute pas celui que l'on croit.

- Et voilà comment finir une année de blog sur Mussolini nu(e)... Merci et à bientôt !

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mercredi 30 décembre 2009

Le 601e post.

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Photographie piquée comme souvent chez « Magic Sutpen », et dont je dois bien admettre qu'elle me semble d'un exceptionnel érotisme (Joan Blondell et Bette Davis). Par-delà la réussite du cadrage et la richesse thématique, une certaine conjonction de l'artifice et du naturel, j'imagine.

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mardi 29 décembre 2009

Le 600e post. (Nigger of the day, III.)

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Eh oui, ça commence à faire. Mais laissons la parole à meilleur que nous :

"Je suis très raciste. J'espère que les Noirs vont finir par enculer tous les blancs et les assombrir pour toujours.

La plus belle race du monde, ce sont les nègres ! Sans discussion possible ! Race de splendeurs, d'élégance, de magie. Race des rites et des possessions. Les Noirs sont la race la plus noble, celle qui se fait le moins chier, celle qui contient les plus beaux spécimens de merveilles physiques, la race esthète par excellence, celle qui pue la force et la santé, la gaieté et la sagesse, la grâce et le bonheur. Je suis tellement fanatique de pannégrisme que j'ai tendance à mettre tous les nègres dans le même sac. Il ne faut pas m'en vouloir : je suis un peu comme ces « filles à Zan » qui ne jetteraient pas un regard à Delon ou Belmondo torse nu devant elles, mais courraient après la dernière des larves chocolatées de Barbès-Rochechouart ! Ils sont tous très différents et il est difficile de comparer un Éthiopien aux joues en lames de couteaux avec un bassiste funk de Chicago ! Pourtant ça me fait bander pareillement moi ! Il me tarde, puceau, de connaître les délices épineuses d'un vagin obscur et rose large, bien fromageux au clitoris en gousse de banane fumante ! Je connais des musicos blancs qui ne peuvent plus sentir une « faïence » après avoir goûté aux sucs éminemment suaves d'un corps de Noire énorme, aux hanches à vapeur, au cuir d'or, dur de muscles déroulés dans le sang brun, la chevelure en fumée, les seins comme des gants de boxe et la toison en fer barbelé !..."

(M.-É. Nabe, Au régal des vermines, Barrault, 1985, pp. 83-84 ; une coupure non signalée.)

Allez, en guise d'illustration, cette petite vidéo sur le thème : pourquoi lorsqu'il se trémousse l'homme nègre a-t-il la classe, et l'homme blanc l'air d'une tapette ?





Les voies de la Providence... - Bises à tous !

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lundi 28 décembre 2009

Vergogna !

Avez-vous lu l'intervention d'Emmanuel Todd relative au débat d'État sur l'identité nationale ? Je m'en veux un peu, parce que j'aurais dû formuler de mon côté ce qu'il dit très bien, à savoir qu'il ne faut pas mettre sur le même plan l'inquiétude de Popu par rapport à l'arrivée d'immigrés près de chez lui, inquiétude qui en elle-même est légitime, quitte à ce qu'elle soit excessive ou prenne des formes regrettables - au passage, on notera que les ratonnades ne sont pas quotidiennes en France, et que, de « l'autre côté », les musulmans français sont tout de même, à tort ou à raison, bien gentils : s'ils étaient aussi méchants qu'on le dit, ils foutraient un bordel bien plus grand en France, surtout avec tout ce que le pouvoir d'État dit, fait ou laisse dire sur eux : encore une fois Popu, petit blanc ou krouia, vaut mieux que les « élites », grâce à Dieu, Heil Holisme ! -

il ne faut pas mettre sur le même plan, disais-je, cette inquiétude, et l'offensive actuelle de l'État sarkozyste visant à mettre en cause tous les musulmans français. J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, il est tout à fait légitime de discuter de ce que cela peut signifier aujourd'hui et demain d'être français, je m'y efforce moi-même à mon comptoir, mais il me semble que la meilleure manière de « répondre » à ce « débat » est de chercher à en élever le niveau tout en en évinçant l'État en question, dont le but est clair : diviser pour régner, une fois de plus.

Bref, merci à E. Todd pour ce distinguo. - Que Mongolito Rioufol a, comme de juste, du mal à accepter, puisque cela remet en cause l'idée de base de ce « débat », le bordel organisé par l'État lui-même. Je vous conseille la lecture de cette réaction épidermique, qui déplace bien vite le débat, en l'occurrence sur l'Iran - avec une savoureuse formule presque toute faite dont l'auteur n'a manifestement pas réalisé la nature : "Dimanche, une quinzaine de manifestants ont une fois de plus été tués par balles à Téhéran, alors qu'ils demandaient à nouveau la destitution du tyran Mahmoud Ahmadinejad." On dira que je chipote, mais tout de même, stricto sensu cela veut dire que les 15 mêmes manifestants que la dernière fois ont été tués, alors qu'ils avaient opportunément ressuscité pour demander la destitution du « tyran ». Pauvre couillon journaleux, cela montre bien en quelle estime tu tiens ceux que tu qualifies à bon compte de « héros » et que tu serais le premier à souhaiter foutre en tôle s'ils étaient français et râlaient contre Éric Besson. Bernanos sans doute eût aimé cela, lui qui dénonçait si bien ces "misérables avortons de lettres [qui] donnent à nos luttes sociales le caractère d'une guerre religieuse, d'une guerre de la civilisation contre la barbarie..." Il est important, c'est pour cela que je me permets de répéter cette citation, qu'elle vienne d'un écrivain catholique, qui en savait un peu plus, si ce n'est sur la supposée « identité nationale », en tout cas sur les Français et l'histoire de France, que Sarko et Mongolito réunis. Redisons-le une fois de plus : il faut tout autant enlever l'histoire, la belle histoire de France - car elle est belle, malgré tout - aux gauchistes qui ne l'utilisent que pour la vomir, qu'aux droitards qui se branlent frénétiquement sur des images d'une grandeur qu'ils enterrent eux-mêmes un peu plus chaque jour sous leurs dérisoires et rancuniers éjaculats. - Santé !

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samedi 26 décembre 2009

"L'honneur commande..."




Arrivé tard, le cinéma a fait semblant, magnifiquement semblant, d'exister. Art holiste s'il en fut dans un monde individualiste - d'où la fortune ambiguë du Hollywood classique et de son assomption par la France sous le concept de « politique des auteurs »-, il répéta à son échelle l'histoire de l'art. Griffith a tout dit, tout filmé, il fallait « juste » à ses continuateurs montrer un peu différemment ce qu'il avait montré - "montrer le fond de la mer, et non le décrire", cette définition du cinéma par André Bazin n'eut jamais la moindre rivale -, jusqu'à ce que, de nos jours, il n'y ait plus grand-chose à expliciter.

Ou jusqu'à ce que tout doive être de nouveau explicité - par qui ? comment ?

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La Grande Guerre dans notre cul...

14-18, encore et toujours, Bernanos de nouveau :

"Il est peu probable qu'un jeune homme perde aujourd'hui [1938] son temps à relire les journaux de la guerre. Il ignore d'ailleurs tout de la guerre, il n'en veut rien connaître. Il ne saura donc jamais que la France s'est alors coupée en deux, que l'héroïsme prodigué sur les fronts n'a sans doute pas réussi à compenser surnaturellement la démoralisation accélérée de l'arrière, son indignité, son avidité, son cynisme, sa niaiserie. Le 11 novembre, la France guerrière est comme tombée d'un seul coup, face contre terre. L'autre - mais peut-on lui donner le nom de France ? - les poches pleines, le coeur vide, les nerfs brisés, derrière ses politiciens, ses journalistes, ses financiers, ses gitons funèbres, ses cabotins et ses nègres, s'est emparée de notre opinion publique. Elle l'a gardée." (Les grands cimetières..., p. 555.)

Dans cette optique, ce que je vous racontais la dernière fois, à savoir que les Français - et notamment, relève Maurice Martin du Gard, des soldats mutilés invités à la signature du Traité de Versailles et dont Clemenceau flatte l'orgueil en leur désignant ledit Traité : "Ceci est votre récompense !" - n'ont même pas eu accès à ce texte qui les concernait pourtant de près, est d'autant plus révélateur.

Un peu de recul : si l'on essaie ici de repérer des points-pivots, des moments où l'histoire a bifurqué, pris une direction qui aurait pu être autre mais qui, une fois prise, empêche pour de nombreuses années de revenir en arrière, on a appris aussi à ne pas donner à ces moments une trop grande importance : ils sont préparés par ce qui les a précédés. En l'occurrence, que les journalistes et financiers aient pu ainsi profiter de la Grande Guerre vient aussi de ce qu'ils étaient en position de force avant qu'elle ne soit déclenchée. On peut d'ailleurs penser que le fait que Bernanos se laisse aller à des clichés homophobes et vaguement racistes donne à son expression un côté routinier qui ne plaide pas en sa faveur : on en a dénoncé, au cours de l'histoire, des Babylone...

Mais, outre que Bernanos n'a pas non plus inventé des modes comme celles de La garçonne ou du Charleston, il faut retenir le plus important : non seulement le coût démographique de la guerre, sur lequel j'insiste beaucoup en ce moment, coût donc, ainsi que le rappelle P. Chaunu, assez largement payé par la bourgeoisie, a été exorbitant, mais il s'est produit alors une coupure entre ceux qui ont fait la guerre et ceux qui ne l'ont pas faite - au profit de ceux qui ne l'ont pas faite... Et précisément, que beaucoup de jeunes bourgeois aient trouvé la mort sur les champs de bataille a par contrecoup créé un vide : les meilleurs d'entre eux partis, il ne restait plus dans la bourgeoisie que les planqués, que ceux qui n'avaient rien partagé avec ouvriers et paysans : toutes choses égales d'ailleurs, ce fut une des difficultés de l'entre-deux-guerres et de son atmosphère de guerre civile, atmosphère qui à la fois nourrit des tentations de s'appuyer sur des alliés extérieurs et provoque en retour des accusations de complicité avec l'ennemi, etc.

- J'y reviendrai plus précisément une prochaine fois, Bernanos encore à l'appui, mais cela signifie notamment, et la suite allait amplement le démontrer, qu'au moins dans sa conclusion la Grande Guerre fut tout sauf hégélienne.

A bientôt !

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jeudi 24 décembre 2009

Rien de nouveau sous le soleil médiatique.

J'apprends (Les mémorables, M. Martin du Gard, Gallimard, 1999 [1957], p. 87), que si les journaux suisses et allemands (et peut-être d'autres) avaient, en juin 1919, quelques jours avant la signature du Traité de Versailles, publié le texte de cet « accord » si réussi, les journaux français, eux, n'avaient pas jugé utile de le faire - au moins, savons-nous ce qu'il y a dans le TCE simplifié que nos élus nous ont mis dans le fondement... Quelques millions de morts, disparus, invalides, blessés graves, etc., dans la population ne suffisaient apparemment pas pour que les Français, un petit peu concernés tout de même par l'évolution de la « mère patrie » pour qui ils venaient de se sacrifier, puissent être jugés dignes par les « élites » d'être informés de ce qu'on allait signer en leur nom. D'autant, rappelons-le, que la propagande de guerre ne se fit pas faute d'opposer pendant quatre ans la démocratie et les droits de l'homme français à la barbarie allemande... Sans commentaires !

- Si ce n'est qu'à force d'accumuler ainsi des preuves, soyons borgesien à bon compte, de « l'éternité de l'infamie » (il faudra d'ailleurs que j'ajoute le label « Ecclésiaste » à tous ces petits textes où je vous informe de mes découvertes en ce sens), on finit parfois par hausser les épaules, désabusé, devant tant de continuité dans la saloperie. Ce n'est certes pas le but recherché ! L'idée est bien plutôt de se faire une idée un peu plus exacte des gens et institutions sur qui on peut éventuellement compter - dans le cas de la presse, c'est d'autant plus nécessaire que nous finissons tous et toujours par lui accorder une confiance qu'elle ne mérite guère.

Je vous renvoie de ce point de vue aux admirables attaques de Karl Kraus (peu ou prou contemporaines du traité de Versailles) contre la presse de son époque, qui montrent plus généralement ce qu'on peut attendre de cette corporation. Je retrouve d'ailleurs dans ce texte une question de J. Bouveresse, sur laquelle je vous laisse cogiter pendant Noël, et qui est notamment une question d'ensemble à la démocratie : "Le problème réel est : à qui incombe la responsabilité du fait qu'on a laissé se construire un monde dans lequel plus personne ne peut être tenu pour responsable ?"


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Il est né, le divin enfant...

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mercredi 23 décembre 2009

Identité sacrifiée... (Apologie de la race française, IV-2.)

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Apologie I.

Apologie II.

Apologie III.

Apologie IV-1.

Apologie IV-3.

Apologie V.

Apologie VI-1.

Apologie VI-2.


Peut-être vous en souvenez-vous, un chapitre de cette « Apologie... » était resté sans suite, le IV-1, consacré plus spécifiquement à la conception sacrificielle de la nation et à ses ambiguïtés. Je vous avais promis un commentaire : après de nombreuses hésitations, le voici. Commençons par du Chaunu, lequel était déjà cité longuement dans le premier épisode :

" - Qu'est-ce qui fait la force des démocraties, la France et la Grande-Bretagne, durant la première guerre mondiale ?

A cette époque, la démocratie est couplée avec des valeurs holistes (c'est-à-dire des valeurs opposées à l'individualisme et renvoyant à des ensembles, couple, famille, communauté, nation, humanité), religieuses ou laïques, ces dernières étant des valeurs religieuses transposées. Même si elles sont par moments en veilleuse, elles permettent plus facilement le sacrifice de la vie lorsqu'une menace se présente. La vie a-t-elle suffisamment de valeur pour qu'on la sacrifie le cas échéant ? Là réside la véritable question. [Cette formulation m'a d'abord surpris, mais il suffit de l'inverser pour en constater la véracité : notre vie de consommateurs n'a pas de valeur, son « sacrifice » n'aurait ni valeur, ni signification - ce qui nous arrange bien !] Elle ne s'est pas même posée en 1914 : il y a eu un consensus total.

- Vous voulez dire que la force d'une démocratie réside dans le fait qu'elle repose sur le consentement volontaire de l'effort, voire du sacrifice ?

Oui, c'était le cas dans la cité antique qui exigeait énormément des citoyens : dans les batailles, les vainqueurs subissaient des pertes de l'ordre de 10 à 15% et les vaincus de l'ordre de 50%. Pourtant, les hoplites ne refusaient jamais de sacrifier leur vie. Quand Socrate se bat à Platées (479 avant J.-C.), il a entre 10 et 50% de chances de mourir : il n'hésite pas. La cité antique reconstituée s'est incarnée aussi, dans une certaine mesure, chez les Hollandais qui, au XVIIe siècle, pour sauver leur pays, n'hésitent pas à crever les digues et ravager les polders, la partie la plus riche de leur territoire. L'acte est digne de la grandeur antique, avec laquelle renouent aussi les grandes démocraties parlementaires de l'Europe de l'Ouest à la fin du XIXe siècle et dans le premier XXe siècle. « Passant va dire à Sparte que ses fils sont morts pour obéir à ses lois » : on meurt pour la France sous la Troisième République comme on mourait pour la cité en Grèce. C'est ce que traduit, en 1916-1917, le mot de Madame Sauvy à son fils Alfred, le futur grand démographe, alors qu'un autre de ses fils vient d'être tué et que son mari, gravement blessé, est réformé : « Il est inconcevable qu'il n'y ait pas un Sauvy sur le front. Tu sais ce qu'il te reste à faire... » C'est digne des mères de Sparte et de Rome. La force de la démocratie, comme celle de la cité antique, est de reposer sur l'intériorisation par les citoyens d'un certain nombre de valeurs. C'est pourquoi les régimes démocratiques sont les seuls à pouvoir demander un effort total à leurs populations et à l'obtenir. A travers l'histoire les preuves abondent. Dans une certaine mesure Winston Churchill est plus puissant qu'Adolf Hitler : il a plus de pouvoirs réels, parce que conférés par le peuple anglais. Dans les États monarchiques de l'Europe moderne, le roi ne jouissait pas de la même autorité sur ses sujets. Il ne pouvait les appeler tous à son aide que dans des circonstances exceptionnelles." (Danse avec l'histoire, pp. 272-73)

- ce qui est aussi, il faut le préciser immédiatement car c'est un des noeuds du problème, une saine limite de la part du régime monarchique, et permet dans une certaine mesure de ne pas sombrer dans les grandes boucheries telles qu'inaugurées, pour la modernité, par notre douce France lorsque la Ière République devint l'Empire et mit l'Europe à feu et à sang. On sait par ailleurs le danger qu'il y a à ce que les citoyens « intériorisent des valeurs » si ces valeurs sont mauvaises ou mal employées.

Oublions les Grecs, qu'hélas je connais bien mal, et revenons à la IIIe République et cette situation paradoxale qui fut la sienne en 1914 : un régime contesté, complexé d'une certaine façon par rapport au passé de la France, qui certes n'est pas responsable de la perte de l'Alsace-Lorraine, mais d'une part vit avec cette blessure dans le flanc, d'autre part vient de s'affirmer à travers une crise douloureuse qui a affaibli l'armée (l'Affaire Dreyfus), le tout au sein d'une société encore holiste par de nombreux aspects, et même holiste par de nouveaux aspects (les ambiguïtés de l'école républicaine), alors que sa constitution politique est individualiste et que le capitalisme progresse à pas de géants... Tout ceci explique sans peine l'intérêt profond de cette période pour nous, et notamment sa grande fécondité artistique et philosophique, mais ne laissait guère les contemporains en paix - surtout si l'on ajoute à cela les innovations techniques, les mouvements sociaux, etc.

A Barrès, rallié au régime républicain, qui s'étonnait que le Maurras d'Anthinéa - publié juste avant l'Affaire - ait pu ramener de son voyage en Grèce "une telle haine de la démocratie, la réponse [fut] que la durée très brève de ce régime dans les cités antiques indique [justement] que son propre est de consommer ce que les aristocraties ont produit." [P. Boutang, Maurras, p. 149 : je n'en suis pas encore arrivé à la Grande Guerre]. On n'acceptera pas sans réserves ce diagnostic qui mérite pour le moins une discussion spécifique, mais on émettra l'hypothèse que cette critique de Maurras imprègne l'esprit du temps : la démocratie a peur de ne pas être à la hauteur du passé.

Et voici la première guerre mondiale, quatre années de sacrifice aboutissant à une victoire aussi nette que héroïque, victoire que non seulement la France - et le régime républicain - n'ont pas su « gagner », mais dont le pays ne s'est jamais remis.

Nous avons je crois tous les éléments de réponse sur ce qui s'est passé en 1914 : entre les forces spécifiques à la démocratie telles que décrites par P. Chaunu, le holisme toujours présent, si ce n'est d'ailleurs plus que jamais, du moins avec une vigueur nouvelle issue en partie de la République même (rien à voir avec le Second Empire de ce point de vue), la longue envie de revanche sur les Allemands (plus de quarante ans, tout de même), cette peur de ne pas être digne des glorieux ancêtres... il y avait vraiment de quoi souder une nation et lui faire accepter un tel impôt du sang.

Avec notons-le ce paradoxe : les valeurs guerrières imprégnaient plus les sociétés traditionnelles que la nôtre, mais je ne suis pas convaincu que nos aïeux aient été fondamentalement plus courageux que nous, si du moins on veut bien ne pas confondre purement et simplement le courage et l'acceptation d'un certain niveau de violence ordinaire, que nous ne supportons effectivement plus (ce qui, effectivement bis, est un handicap). Les grands élans guerriers de populations sont - heureusement - rares dans le passé, avec ces armées de métier aux motivations parfois fluctuantes si ce n'est purement mercantiles, et de ce point de vue il y a une part de malentendu dans le complexe que les Républicains font par rapport au passé glorieux de la France militaire rappelé sans cesse par les anti-Républicains, Jeanne d'Arc-Bayard-Condé-Rocroy, etc. Quelques années plus tard les Anglais allaient montrer à nouveau qu'un peuple « démocrate-mou » était encore capable d'un sursaut contribuant à l'échec d'un régime fort et jeune - et s'il faut pousser la logique jusqu'au bout on devra admettre, tout incroyable que cela puisse paraître, qu'une ordalie victorieuse de masse de ce type pourrait se reproduire de nos jours : c'est encore plus difficilement croyable que pour les Anglais de 1940, il suffit de reprendre la liste des facteurs que nous avons dressée pour 1914 pour voir ce qui a changé depuis, mais d'autres éléments sont toujours là, notamment un holisme (de plus en plus) paradoxal et le rapport complexé au passé... Sur une occurrence historique, qui sait ce qui se peut produire ?

Car bien sûr ces sacrifices, pour terriblement réels qu'ils aient été, ne peuvent être - c'est peut-être la grande différence avec les démocraties grecques ou, plus près de nous et sans référence à l'actualité, avec ce que fut jusqu'à il y a peu la démocratie suisse -, ne peuvent être qu'exceptionnels par définition et du fait de leur ampleur. On le sait bien, non seulement la grande boucherie de 14-18 saigna à blanc la population française, mais elle causa indirectement la défaite si terriblement symbolique de 1940 - avec ce que cela impliqua et implique encore, sur « l'identité nationale », le pays n'ayant pu se remettre, ni physiquement si spirituellement, de cette épreuve.

C'est sans doute d'ailleurs ce qui s'est passé juste après 1940, c'est-à-dire les choix faits individuellement par les Français entre Résistance, Collaboration, attentisme, etc., qui peuvent éclairer cette question. A. Badiou - dans une de ses Circonstances, sauf erreur - écrit, à propos de Jean Cavaillès, très tôt engagé dans la Résistance et qui y trouva la mort, qu'à cette période il n'y avait qu'un choix de bon, de manière tout à fait évidente, et que c'était celui-là. Soupçon peut-être gratuit de ma part, je me suis toujours demandé si ce choix aurait été aussi évident pour un petit professeur Badiou en 1940... Quoi qu'il en soit, on sait bien que ce qui a provoqué les premiers actes de résistance après la débâcle fut dans l'ensemble moins politique qu'instinctif, ainsi que l'expriment les paysans du Chagrin et la pitié, ainsi qu'on le retrouve dans des témoignages de tous bords - y compris, je me permets, celui d'un de mes grands-pères, qui ne s'occupa jamais de politique mais passa sa vie, après quatre ans dans la Résistance... à jouer, parfois bien, parfois très mal, à la bourse - : il s'est d'abord agi de défendre le territoire, de bouter l'étranger hors de France. Je ne dis pas que la défense de la démocratie ou la haine du nazisme n'ont joué aucun rôle, je dis que dans les premiers temps la plupart de ceux qui ont réagi l'ont fait très peu à l'aide d'une doctrine politique.

[Note ajoutée quelques-jours après la rédaction de ce passage : dans un récent débat Badiou-Finkielkraut, sur lequel je reviens en fin de texte (après le beau cul du jour), le premier nommé insiste sur le caractère politique au contraire des grands mouvements de résistance : il a raison de noter que ces organisations politiques et politisées ont été d'une extrême importance à l'intérieur de la Résistance, mais il a tort - et je pense que c'est une tromperie consciente de sa part - de nier qu'au tout début ces facteurs politiques ont été secondaires. Après, on ne peut refaire l'histoire et savoir ce qui se serait passé si le PC notamment n'avait pas rejoint les premiers résistants...]

Et c'est là que je veux en venir : la question n'est pas celle du courage des citoyens des démocraties. Sauf à admettre que la démocratie américaine-otanienne contemporaine, sa doctrine de la guerre à « zéro mort » et ses bombardements de masse soient la seule et ultime expression de la démocratie, on ne se laissera pas duper par cette si regrettable confusion. Les populations des démocraties peuvent être aussi courageuses que celles d'antan. La question n'est peut-être pas tant non plus celle, assez simple, du rapport de la démocratie au sacrifice de ses membres : dans la mesure où le peuple est censé être au pouvoir, il n'est que juste qu'il contribue à la défense de ce pouvoir, régulièrement - les hoplites -, exceptionnellement - Valmy, 14-18 -, ou de plus en plus virtuellement - l'armée américaine actuelle, ses mercenaires, ses étrangers à qui on fait miroiter l'espoir d'une « green card », etc. : ici comme ailleurs cela fait planer quelques doutes sur l'évolution de la démocratie américaine, mais cela ne signifie pas, il s'en faut, que le peuple américain se révélerait tout à fait incapable de mouiller le maillot si besoin était.

La question donc, j'y arrive, est celle de l'articulation du pouvoir du peuple, du sens du sacrifice, et, voilà l'exemple de 1940, de la défense du territoire, qui n'a en elle-même que très peu à voir avec la démocratie. Si les Grecs ont pu s'en demander autant à eux-mêmes, et régulièrement, c'est parce que ces différents aspects formaient, jusqu'à un certain point (et en attendant que je me documente plus...), un tout cohérent : des citoyens exerçant un réel pouvoir sur leur vie la mettaient au service de la défense de leur cité. Les Suisses n'ont plus eu l'occasion de se battre depuis longtemps, mais ont gardé - il me semble donc que cela a changé ou est en train de changer - une organisation contraignante, avec nombreuses périodes de « réserve », où chacun met la main à la pâte soldatesque. Dans les démocraties contemporaines - je pourrais ici vous renvoyer à B. Constant et à ses libertés des « Anciens » et des « Modernes » -, les doutes pour le moins légitimes que les « citoyens » peuvent avoir quant à leurs possibilités de contrôle sur la marche des affaires, tout autant que la désacralisation de la question du territoire (je laisse de côté en revanche la question de l'étendue de la population, dont je ne suis pas sûr qu'elle soit déterminante), font que le sacrifice ne peut plus être qu'exceptionnel - et que se posera alors vite, comme en 1918, comme peut-être maintenant, la question du « pourquoi ». De ce point de vue, c'est très cruel - et même assez dégueulasse - pour les soldats français (et autres) qui se trouvent en Afghanistan et pour certains d'entre eux y meurent, mais ils ne représentent rien : membres d'une armée de métier envoyée dans un conflit dont le moins que l'on puisse dire est que le peuple français n'en fait pas - à raison, mais la démonstration serait la même si c'était à tort - une priorité, voilà bien des gens qui sacrifient une vie qui n'en vaut guère la peine : non qu'elle soit en elle-même négligeable, mais parce qu'elle est sacrifiée pour protéger le consommateur occidental - lequel ne vaut rien (en tant que consommateur, pas en tant que personne, mais c'est précisément là le noeud de l'affaire).

Ne crions pas victoire trop tôt : ces thèses laissent de côté rien moins que les démocraties antiques et les très épineuses questions relatives aux distinctions entre République et Démocratie (sur lesquelles J.-C. Michéa notamment donne des indications intéressantes, à exploiter un jour... de même que ce problème concret, que je note pour mémoire : de Gaulle était-il un démocrate ?). Mais il me semble avoir compris pourquoi j'avais eu du mal à mettre au clair cette deuxième partie de mon « épisode IV » : je me posais trop de questions sur ce qu'est le courage d'un individu moderne par rapport à celui d'un membre d'une société traditionnelle ou du citoyen d'une République antique. Il est plus important de voir que ce courage et le sacrifice auquel il peut conduire, sacrifice « vain » ou non, doivent être intégrés dans une vision d'ensemble du rapport de l'individu à sa communauté politique et à son territoire. Car sinon, la question reste assez basique : si le citoyen a le pouvoir, il est normal qu'il doive se battre contre ceux qui veulent le lui prendre. Seules les démocraties à la mode otanienne croient pouvoir avoir de ce point de vue le beurre et l'argent du beurre, laisser d'autres se battre pour elles : c'est bien évidemment une des raisons qui les conduisent à leur perte - et, malheureusement, qui conduisent d'autres pays à leur perte.


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Charles Mingus n'en pense pas moins... Quant à elle, à quoi pense-t-elle ?


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P.S. : oui, alors, moins sexy sans doute, ce débat Badiou-Finkielkraut... Je ne vais pas jouer les juges et distribuer les (rares) bons et (moins rares) mauvais points. Disons que dans l'ensemble et même si au début il veut trop « se faire » son adversaire, les attaques de Badiou contre Finkie sont justifiées (il est vrai que celui-ci in fine est avec N. Sarkozy, il est vrai qu'il entre vis-à-vis des musulmans français dans une mécanique dont ses aïeux juifs furent victimes durant les années 30 : à son corps défendant peut-être... tant pis !), mais que l'on peut être sceptique sur la valeur pratique à court et moyen terme de son internationalisme prolétarien égalitaire universel et universaliste (et consterné par son mépris de la votation suisse sur les minarets). Ceci dit, si, tout en précisant donc que vous allez y lire entre autres des bêtises, je vous conseille la lecture de cet échange, c'est d'une part que l'on y retrouve beaucoup de questions ici traitées, d'autre part pour les brefs moments - comme par hasard, au sujet de l'école républicaine - où les deux protagonistes sortent un peu de leur personnage et trouvent quelques éléments, non vraiment d'accord - ce qui d'ailleurs ne serait pas nécessairement souhaitable - mais de clarification plus profonde et moins hystérique de leurs désaccords.

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lundi 21 décembre 2009

Lectures.

Deux liens, chez des vieilles connaissances :

- par M. Defensa, quelques intéressantes réflexions sur la guerre comme moyen (périmé, et même contre-productif) de sortir de la crise ;

- du côté du MAUSS, P. Chanial s'interroge sur les rapports entre gauche et socialisme, socialisme et individualisme, individualisme et étatisme... soit nos centres d'intérêt du moment. Je ne trouve pas ce texte aussi clair que je l'aurais souhaité (il faut dire que c'est la préface du dernier livre de l'auteur, il est donc inévitable que certaines questions n'y soient abordées que succinctement) et ne suis pas sûr de partager toutes ses conclusions, mais il apporte indéniablement des enseignements.

- A ce propos, il me confirme dans l'opinion que je commençais à me faire, en lisant Boutang et en re-parcourant Bernanos, de l'affaire Dreyfus comme pivot dans notre histoire, du point de vue suivant : la « synthèse jauressienne », élaborée pendant et après « l'Affaire », a-t-elle été un compromis fécond, ou a-t-elle permis in fine de soumettre encore plus le monde ouvrier aux puissances d'argent ? P. Chanial penche manifestement pour la première interprétations, nos deux anciens de l'Action Française pour la seconde, et il faudra que je relise ce qu'en dit J.-C. Michéa... Nulle obligation que la réponse soit univoque, mais aussi précise que possible.

A bientôt !

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samedi 19 décembre 2009

"Puissance du mythe...

... : la moustache d'Hitler, elle, était vraie."

La nouvelle que voici, peut-être déjà arrivée jusqu'à vous, m'a fait repenser à cette conclusion lapidaire d'André Bazin à son étude sur les rapports entre Hitler et Chaplin (du point de vue notamment, vous l'aurez compris, de la pilosité). Allons-y :


"La célèbre inscription en allemand "Arbeit macht frei" ("Le travail rend libre") figurant au-dessus de la porte d'entrée de l'ancien camp de la mort nazi d'Auschwitz-Birkenau (sud de la Pologne), a été volée, a annoncé vendredi 18 décembre la police polonaise, qui ne connaît pas encore l'identité des malfaiteurs.

"Le panneau a été emporté vers 6 heures locales [même heure en France, NDLR]. Un chien policier a été lancé sur les traces des voleurs", a déclaré une porte-parole de la police, Malgorzata Jurecka, à la radio publique Trojka. Le site d'Auschwitz-Birkenau est fermé la nuit et gardé par des vigiles. La police polonaise a ouvert une enquête : "Toutes les pistes sont possibles, mais nous privilégions celle de vol sur commande d'un collectionneur privé ou d'un groupe de gens", a déclaré la porte-parole de la police d'Oswiecim. Les forces de l'ordre ont promis une récompense de 1 200 euros à toute personne dont les informations pourraient aider à retrouver l'inscription et arrêter les coupables.

L'année dernière, plus d'un million de personnes ont visité le site. Le panneau en fer forgé, de 5 mètres de long, n'était pas difficile à décrocher du dessus de la grande porte "mais il fallait le savoir", a observé le porte-parole du musée. Selon lui, "celui qui l'a fait devait bien savoir ce qu'il volait et comment il fallait s'y prendre".

"UNE DESTRUCTION DE L'HISTOIRE"

Dans la journée, des réactions ont émané de tous les pays avec, en filigrane, la question de savoir si une motivation idéologique était à l'origine de cet acte. Le président polonais Lech Kaczynski s'est déclaré "bouleversé et indigné". "Cet acte mérite la condamnation la plus sévère", a ajouté le président, qui a lancé un appel à aider les forces de l'ordre à retrouver l'inscription. "Notre devoir commun est de la faire revenir à sa place", a-t-il déclaré. "C'est impensable !", s'est exclamé pour sa part le chef historique du syndicat Solidarité et ancien président, Lech Walesa, à la télévision polonaise. "Mais je n'y verrais pas un acte idéologique. C'est une affaire criminelle. Impossible de le comprendre autrement", a ajouté le Prix Nobel de la paix.

C'est un "acte abominable qui relève de la profanation", a réagi un ministre israélien. "Ce geste témoigne une fois de plus de la haine et de la violence envers les juifs", a réagi M. Shalom, vice-premier ministre et ministre du développement régional. Le mémorial israélien de la Shoah à Jérusalem, Yad Vashem, a aussi fait part de son indignation : "Cet acte constitue une véritable déclaration de guerre, provenant d'éléments dont nous ne connaissons pas l'identité, mais je suppose qu'il s'agit de néonazis animés par la haine de l'étranger", a déclaré le président de Yad Vashem, Avner Shalev, dans un communiqué.

En France, le président de l'Union des déportés d'Auschwitz, Raphaël Esrail, a estimé que ce "vol stupide a été préparé par des gens qui connaissent bien le secteur". Il affirme que les "les auteurs ont voulu détruire l'Histoire et ont fait un acte de perversité pour faire revivre le nazisme", rappelant que ce vol intervient quelques semaines avant le 65e anniversaire de la libération du camp, le 27 janvier 1945, par l'Armée rouge.

Enfin, le porte-parole du ministère des affaires étrangères allemand "espère que la lumière sera faite rapidement sur cet agissement et que le dommage subi par le Mémorial d'Auschwitz sera réparé". Rappelant "la responsabilité historique" de l'Allemagne dans la Shoah, le porte-parole a souligné que Berlin soutenait la préservation du site d'Auschwitz.

L'Allemagne nazie a exterminé de 1940 à 1945 à Auschwitz-Birkenau environ 1,1 million de personnes, dont un million de juifs. Les autres victimes de ce camp furent surtout des Polonais non juifs, des Tziganes et des prisonniers soviétiques." (article paru sur le site du Monde, non signé.)

Ça c'est du devoir de mémoire ! Le nouveau vol de la Joconde ! Dada et Duchamp réunis !... Cette pancarte était extraordinaire en soi, en disait tant par antiphrase sur le travail dans les Temps Modernes, la voici de nouveau dans l'histoire... Et l'on imagine déjà les applaudissements émus si un jour elle est très officiellement remise en place, les nazis honorés post-mortem par les descendants de leurs victimes !

- Bon peut-être sera-t-on déçu lorsque la vérité sera connue. Pas nécessairement d'ailleurs : on peut imaginer, laissons-nous aller à rêver, que des Juifs, trouvant qu'on en fait trop avec la « mémoire », aient voulu ridiculiser tout ça. Quoi qu'il en soit, à la vôtre et bon week-end !

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jeudi 17 décembre 2009

Touche pas la femme blanche (Nigger of the day, II).

C'est ce qu'elle aimerait ! - et elle aurait bien raison.

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mercredi 16 décembre 2009

Racisme anti-blancs (Nigger of the day, I).

G. W. Bush ne s'y est pas trompé, il y avait de l'entourloupe là-dedans.





Ouvre ton cul, Occident !

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Saint Dominique, relaps et saint...

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Dominique Zardi obsèques Bashung

The one and only Dominique Zardi, en train de faire le con avec son alter ego Attal chez Chabrol, puis seul, statue du commandeur à l'enterrement d'Alain Bashung (photo © Un-ami-à-moi)...


Décédé il y a deux jours après une carrière remplie d'à peu près 500 films, D. Zardi illustrait à sa manière ce fantasme de la modernité artistique :

"L'art que nous possédons aujourd'hui est un résidu que nous a laissé une société aristocratique, résidu qui a été encore fortement corrompu par la bourgeoisie. Suivant les meilleurs esprits, il serait grandement à désirer que l'art contemporain pût se renouveler par un contact plus intime avec les artisans ; l'art académique a dévoré les plus beaux génies, sans arriver à produire ce que nous ont donné les générations artisanes." (G. Sorel, Réflexions sur la violence, 1907, Marcel Rivière, 1972, pp. 44-45)

D'une manière générale, je trouve que les artistes et esthètes sont un peu sévères avec le bourgeois, je vous en parlerai plus avant à l'occasion - il suffit d'ailleurs de voir ce qu'il reste de l'art quand le bourgeois s'y intéresse moins et/ou se noie dans l'indifférenciation de la classe moyenne. Passons : ces lignes du syndicaliste révolutionnaire Sorel, on les trouverait sans grande modification au fil d'interviews de Jean Renoir, ou dans les Cahiers du cinéma, en 1955 comme en 1990, et bien sûr dans d'autres domaines artistiques. La figure de l'artisan comme ce qui permettrait de sortir des jeux effectivement pervers entre l'artiste et le bourgeois, qui ont autant besoin l'un de l'autre qu'ils ont parfois de mal à s'accepter l'un l'autre ; la figure de l'artisan qui permettrait d'échapper au mensonge romantique, pour parler comme R. Girard, de l'artiste supposé anti-conformiste et qui occupe pourtant une place précise (et épuisante) dans le système... cette figure hante l'artiste moderne de la même façon que, vous ne l'ignorez pas, l'individualisme moderne est hanté par son contraire le holisme, et elle a effectivement contribué parfois à la conception de grandes oeuvres. Mais, sauf exceptions importantes comme Hollywood jusqu'aux années 50, elle ne peut être qu'un point-limite ou un fantasme, dans une société individualiste. Ce pourquoi elle revient périodiquement, sans pouvoir s'imposer.


Ces réflexions inspirées par le décès de Dominique Zardi étant énoncées, revenons à notre sujet du jour.

Il n'apparaît à ce comptoir que de temps à autre, mais le Bernanos pamphlétaire (je connais trop mal le romancier, lu par intermittences il y a presque vingt ans maintenant) me saisit de plus en plus - à la fois parce qu'il me séduit et parce que, tel un des esprits du Drôle de Noël de M. Scrooge, il me prend par le col et me pousse à comparer mes espérances et ce que je fais de ma vie au jour le jour.

Quelques sentences aujourd'hui donc, pour le profit de tous (Les grands cimetières sous la lune, je cite d'après l'édition Pléiade) :

la légitime défense : "ce droit qui me paraît de plus en plus réservé à une certaine catégorie de citoyens et comme inséparable du droit de propriété, au point qu'on peut bien défendre à coups de fusil sa maison, même si l'on en a plusieurs, alors ne peut défendre par les mêmes moyens son salaire, même si l'on ne possède rien d'autre..." (p. 485) - eh oui, c'est ça, l'esclavage salarié, il y a toujours un moment où l'on est plus esclave que salarié !


KIRK DOUGLA S SPARTACUS

En même temps, un esclave révolté, ce peut être un peu lourdaud...


"L'homme de bonne volonté n'a plus de parti, je me demande s'il aura demain une patrie." (p. 499)

"Le démocrate, et particulièrement l'intellectuel démocrate, me paraît l'espèce de bourgeois la plus haïssable. Même chez les démocrates sincères, estimables, on retrouve cet inconscient cabotinage qui rend insupportable la personne de M. Marc Sangnier : « Je vais au Peuple, je brave sa vue, son odeur. Je l'écoute avec patience. Faut-il que je sois chrétien... Il est vrai que Notre-Seigneur ma donné l'exemple ! » Mais Notre-Seigneur ne vous a pas donné cet exemple ! S'il a fait sa société d'un grand nombre de pauvres gens - pas tous irréprochables - c'est parce qu'il préférait, je suppose, leur compagnie à celle des fonctionnaires. (...) Quant aux potentats du haut commerce, discutant du dernier Salon de l'automobile ou de la situation économique du monde, ils me font rigoler. Au large ! Au large ! Ce qu'on appelle aujourd'hui un homme distingué est précisément celui qui ne se distingue en rien. Comment diable peut-on les distinguer ?" (pp. 548-49)

La Ve République post-gaullienne en quelques mots : "Est-il utile de prétendre réprimer l'anarchie politique ou sociale par des moyens tels que, ridiculisant tout scrupule, ils favorisent une espèce d'anarchie morale d'où sortira tôt ou tard une anarchie politique et sociale pire que la première ? Nous savons déjà ce qu'est la guerre totale. La paix totale lui ressemble, ou plutôt ne se distingue nullement d'elle. Dans l'une comme dans l'autre, les gouvernements se montrent, à la lettre, capables de tout." (p. 556)

"Dieu ! laissez votre vieux scrupule de ménager un ordre qui se ménage si peu qu'il se détruit lui-même. (...) A toutes les questions qui vous sont désormais posées, est-il donc si difficile de répondre par un oui ou par un non ? Ainsi parlent les gens d'honneur. L'honneur est aussi une chose de l'enfance. C'est par ce principe d'enfance qu'il échappe à l'analyse des moralistes, car le moraliste ne travaille que sur l'homme mûr, bête fabuleuse inventée par lui, pour la commodité de ses déductions. Il n'y a pas d'hommes mûrs, il n'y a pas d'intermédiaire entre un âge et un autre. Qui ne peut donner plus qu'il ne reçoit commence à tomber en pourriture [et cela vaut pour les civilisations comme pour les individus, à bon entendeur...]. Ce que disent la morale ou la physiologie sur ce point important n'a pour nous aucun intérêt parce que nous donnons aux mots de jeunesse et de vieillesse un autre sens qu'eux. L'expérience des hommes, et non de l'homme, nous apprend vite que jeunesse et vieillesse sont affaire de tempérament ou, si l'on veut, d'âme. J'y reconnais une sorte de prédestination. Ces vues, avouez-le, n'ont absolument rien d'original. Le plus obtus des observateurs sait parfaitement qu'un avare est vieux à vingt ans [revoilà Scrooge... mais Dickens lui laisse une chance que Bernanos, assez augustinien sur ce coup, semble lui refuser]. Il y a un peuple de la jeunesse. C'est ce peuple qui vous appelle, c'est ce peuple qu'il faut sauver. N'attendez pas que le peuple des vieux ait achevé de le détruire par les mêmes méthodes qui jadis, en moins d'un siècle, ont eu raison des Peaux-Rouges. Ne permettez pas la colonisation des Jeunes par les Vieux ! Ne vous croyez pas quittes envers ce peuple par des discours, fussent-ils même imprimés. Au temps où les Pharisiens d'Amérique décimaient scientifiquement une race mille fois plus précieuse que leur dégoûtant ramas, les Indiens de Chateaubriand et de Cooper ne partageaient-ils pas avec l'Écossais de Walter Scott les savoureux loisirs des chattes romanesques qui se régalent de pitié comme de sang frais ?" (pp. 521-22)

Le passage sur les Indiens suffit me semble-t-il à répondre aux questions que je me posais il y a plus d'un an (dans un texte où je vous annonçais une livraison sur Bernanos et le jeunisme... que voici donc), sur ce que Bernanos aurait pensé de notre actuel « choc des civilisations ».

Deux pistes d'analyse :

- la colonisation des Jeunes par les Vieux a eu lieu, bien évidemment, au fil des progrès de l'individualisme (avec un rôle non négligeable en la matière des « nouveaux philosophes ») et de la raréfaction des jeunes (au sens usuel) en Occident, heil Yonnet. Mais on sait ou on devrait savoir (cf. Arendt pour l'impérialisme fin XIXe, Verschave pour la Françafrique) que la colonisation implique souvent une colonisation à rebours - ce que l'on dénonce habituellement sous le vocable de jeunisme. Vous connaissez la situation : des jeunes déjà vieux, des vieux qui veulent « rester jeunes », ce qui veut plutôt dire qu'ils ne l'ont jamais été (c'est à se demander si Mai 68 ne fut pas aussi, voire d'abord, une révolte de vieux !), etc. ;

- le tout début du texte : "laissez votre vieux scrupule de ménager un ordre qui se ménage si peu qu'il se détruit lui-même" - c'est un pas que j'hésite encore, conceptuellement et pratiquement, à franchir, je vous en parlais l'autre jour. Et cela rejoint cette autre alternative : "est-il donc si difficile de répondre par un oui ou par un non ? Ainsi parlent les gens d'honneur." (La suite immédiate : "L'honneur est aussi une chose de l'enfance", me laisse je l'avoue un peu sceptique. De l'enfance, peut-être, mais des enfants ? Les petits d'homme apprennent bien vite duplicité, fausse bonne conscience et vraie mauvaise foi - alors même que leurs parents essaient de tenir leur parole et de ne pas les décevoir...) On pourrait alléguer que la société moderne est justement une société où il est toujours difficile de répondre seulement par oui ou par non, et que cela explique en partie le peu de cas qu'elle fait de l'honneur, mais n'est-ce pas là précisément du pharisianisme ? Depuis quand se conduire en homme d'honneur est-il supposé être facile et à la portée de tous ? - En même temps, s'il faut non seulement être courageux, responsable et fiable, mais intelligent, ça devient surhumain...

Mais qui ne risque rien n'a rien, et qui ne peut donner plus qu'il ne reçoit...


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lundi 14 décembre 2009

Tout est dit.

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Je tombe par hasard en feuilletant le Journal de Leiris (Gallimard, 1992) sur ce passage :

"Notre mort est liée à la dualité des sexes. Un homme qui serait à la fois mâle et femelle, et capable de se reproduire seul, ne mourrait pas, son âme se transmettant sans mélange à sa postérité.

La haine instinctive que les sexes ont l'un pour l'autre vient peut-être de la connaissance obscure de ce fait que la mortalité est due à la différenciation des sexes. Rancune violente, balancée par la tendance à l'unité (...) qu'ils tentent de satisfaire par le coït." (en date du 13 octobre 1924 ; p. 69, ça ne s'invente pas).

Notre finitude - le péché originel - liée à la fois à la conscience de la mort et à celle de la différence des sexes et de ce qu'elle implique - l'amour aussi bien que la « haine », évidemment, l'ineffaçable violence du rapport sexuel... Je ne sais pas si c'est significatif, mais c'est tout cas amusant que ces lignes si judéo-chrétiennes aient été écrites par quelqu'un alors si compromis avec le surréalisme. - Qui ne risque rien n'a rien !


ModernGoddardKnife

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vendredi 11 décembre 2009

Rien de nouveau sous le soleil communautariste.

Au tout début de l'Affaire, la seule, la vraie, la « Dreyfus », le Grand Rabbin de Paris, Zadoc Kahn, rendit visite au célèbre et très puissant préfet Lépine et lui tint selon l'intéressé ce langage :

"Vous savez ce qui se passe, Monsieur le Préfet ? On veut envoyer au Conseil de guerre un des nôtres. Si vous avez quelque influence sur le gouvernement, c'est le cas de le montrer. (...) Si pareille chose arrivait, vous porteriez la responsabilité de ce que je vous annonce : le pays coupé en deux, tous les juifs debout, et la guerre déchaînée entre les deux camps..."

Ces propos ont été cités par Bernanos dans sa Grande peur des bien-pensants (que je n'ai jamais lue, mea maxima culpa), je les découvre repris dans une note (p. 680) du Maurras de Pierre Boutang. Lequel ajoute aussitôt (p. 171), et je souscris à son point de vue, que le comportement du Grand Rabbin n'est pas spécialement répréhensible, s'il est convaincu de l'innocence de Dreyfus et ne voit d'autre moyen de le sauver de la condamnation que ce type de lobbying.

Pour autant, ceci est tout de même intéressant à deux points de vue (tout cela si l'on fait confiance, comme le font Bernanos et Boutang, au récit du préfet Lépine) :

- la tactique communautariste déjà bien en place : vous emmerdez un des miens, je fous le bordel dans tout le pays ;

- relativement aux récits canoniques (et même plus récents : voir la dernière biographie hagiographique de Dreyfus chez Fayard) de l'Affaire et du pauvre soldat juif miraculeusement sauvé de l'antisémitisme de l'armée, de l'Église, et de presque toute la France, on ne peut que constater que si le Grand Rabbin d'une part est reçu chez un personnage aussi important que l'était alors le Préfet de la Seine, particulièrement celui-ci, d'autre part se permettait de le menacer, c'est bien qu'il avait un pouvoir réel et en était conscient - ce que la suite de l'Affaire allait démontrer, non certes sans le soutien de goys parfois peu suspects à la base de philosémitisme - notamment Clemenceau, qui selon Boutang (p. 173) se serait assez bien vu (sur le mode de la plaisanterie) fonder un journal antisémite avec Picquart, si la place n'avait pas déjà été prise par Drumont...

Qu'en conclure, en sus de ces remarques ? Pas grand-chose pour l'heure : mettons qu'il s'agit là d'une petite pierre ajoutée à l'édifice de la vacillation, si j'ose dire, du « roman national », pour s'exprimer comme Paul Yonnet : s'il serait naïf de s'étonner de que ce que la réalité soit moins manichéenne que le mythe, il est peut-être temps de mettre à plat quelques inexactitudes, contre-vérités et mensonges qui, par la fausse image qu'ils donnent du passé, polluent la juste appréciation du présent, pauvre présent.


- Par ailleurs, un peu dans la lignée du questionnaire de M. Cinéma, je me permets de vous conseiller la vision de ce western co-réalisé par Alfred Hitchcok et Jacques Demy, The last sunset - en « français », El Perdido - de Robert Aldrich : les scènes finales évoquent un mélange de Vertigo et de Peau d'âne, c'est assez intéressant,


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- où l'on voit qu'il n'y a pas que Polanski, j'y reviendrai, qui aime les fleurs à peine écloses.

Baisez bien, mes frères, baisez bien !

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vendredi 4 décembre 2009

When tomorrow comes... (Erotomania)

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Voici mes réponses au questionnaire de M. Cinéma. Je me suis aperçu petit à petit que je trichais ou galégeais sur un certain nombre de réponses, et parlais beaucoup de moi. J'ai noté un jour, à ce propos, en laissant un commentaire à M. Toujours-aussi-Maso, que je me débraguettais beaucoup plus chez les autres que chez moi : c'est après tout normal pour un tenancier, qui ne va pas raconter sa vie à ses clients, mais peut bien se le permettre de temps à autre chez... les autres. Que l'on considère donc que ceci est comme déposé chez M. Cinéma. Par ailleurs, certaines questions - ce n'est pas une critique - étant ambiguës, j'ai préféré ne pas me tourmenter trop longtemps sur leur signification. J'évite enfin les photographies, pour cette fois.


1- Quel est votre plus ancien souvenir d'émoi érotique ayant un lien avec le cinéma ?

La découverte dans la bibliothèque de ma mère, vers 7-8 ans, de la Marylin de Norman Mailer, notamment les photographies où l'on distingue ses seins derrière un tissu assez transparent. Je ne sais pas à quel point on est influencé dans l'ensemble de sa vie sexuelle par ses premières découvertes, je me méfie des reconstructions a posteriori, mais je dois constater qu'aujourd'hui encore si je devais choisir une actrice comme représentant « la femme », c'est vers Marylin que je me tournerai - ceci même si je suis tombé amoureux de bien d'autres actrices, fort différentes.

Autre souvenir lointain, plutôt vers 11-12 ans : une photographie en noir et blanc, dans Télérama, de B.B. allongée sur un lit, un bout de drap couvrant son sexe (Et Dieu créa la femme ?). Je me souviens très clairement m'être demandé ce qu'il y avait en-dessous du drap. Et bien sûr, c'est une question à laquelle je n'ai pas encore trouvé de réponse vraiment satisfaisante.

2- Quels films (un par décennie depuis les années 20) représentent pour vous le summum de l'érotisme ?

La question la plus difficile, peut-être, allons-y à l'instinct, sans scrupule à oublier des chefs-d'oeuvre :

Les deux orphelines.

Cette sacrée vérité.

Lumière d'été.

Vertigo - impossible de ne pas le citer, impossible d'imaginer une vie dans laquelle je n'aurais pas rencontré ce film.

Pas de printemps pour Marnie, cette suite maudite et sublime de Vertigo, que je n'ai vue que deux fois avec dans les deux cas une émotion démesurée et que je n'ai plus osée revoir depuis plus de quinze ans.

Le diable probablement et La marquise d'O.

Let there be rock et Pauline à la plage (en gros, gardez un Rohmer pour l'une de ces deux décennies, et enlevez le film de votre choix).

Le Val Abraham.

Quatre nuits avec Anna ? Je ne l'ai pas vu, mais il faut faire une place à Skolimowski, dont l'érotisme, notamment dans Deep end, m'a toujours beaucoup touché. Et puis je suis court sur les années 90 et 2000...

3- Quelle acteur/actrice a su vous montrer la plus belle chevelure ?

Je ne peux ici que tricher : la fille dont j'étais amoureux en classe de première, derrière qui je me trouvais en maths, m'a laissé un souvenir indélibile en se passant la main dans les cheveux : j'ai encore dans mon corps la trace de la sensation, à proprement parler électrique, éprouvée en voyant quelques-uns de ses cheveux retomber doucement après être restés un merveilleux instant suspendus en l'air, et il n'y a aucun souvenir cinématographique qui approche cette émotion.

4- Les plus beaux pieds ?

Les pieds de Machiko Kyo enlevant ses chaussons pour marcher au supplice à la fin de L'impératrice Yang-Kwei-Fei.

5- Si tout comme dans La Rose pourpre du Caire, un personnage devait sortir de l'écran et vous accompagner quelques jours avant de disparaître à jamais, qui serait-il ?

Toute modestie bue, la Marylin des Misfits, à la fois pour sa beauté si sublime et si émouvante, et parce que personne dans le film, ni les personnages ni malheureusement (ce tocard partouzard surfait de) John Huston, ne réussit à l'aimer autant qu'elle le mérite. Tout le monde lui répète qu'elle est très belle - au cas où cela ne se verrait pas - mais personne ne l'aime vraiment : je comblerais volontiers moi-même cette lacune.

6- Quelle est votre scène de pluie préférée ?

Peut-être une scène qui n'existe pas : je me souviens d'un beau texte de Vecchiali sur Demy, où il disait que celui-ci était capable de réussir mieux que personne une scène du genre « les amants se retrouvent sous la pluie et s'embrassent ». Sauf grossière erreur de ma part, Demy n'a jamais tourné cette scène, mais j'en ai une version dans mon cerveau, les grands travellings des Parapluies de Cherbourg avec la pluie en plus, et une Deneuve un peu plus mûre - pas virginale, pour être clair. L'amant reste dans le flou - ce doit être moi.

7- Y a-t-il une musique de film qui saurait accompagner vos ébats amoureux ?

Je pourrais à la rigueur m'imaginer batifoler au son des musiques de Vertigo et du Mépris, mais qui prête attention à un fonds sonore pendant qu'il fait l'amour ? En revanche, rejouer avec ma douce la scène inaugurale, primitive, du Mépris, musique à l'appui, pourrait être amusant.

8- Avez-vous vu dans un film un vêtement que vous aimeriez porter ou offrir ?

Je pourrais m'en tirer par une pirouette en disant que les vêtements sont faits pour être enlevés, le fait est que je sèche... Disons que Jane Russell porte d'ordinaire si bien ce qu'elle porte qu'on a envie de le lui arracher !

9- Existe-t-il une actrice de films pornographiques que vous aimeriez voir dans un film d'un autre genre ?

Est-ce tricher que de répondre que, spontanément, ce qui me vient à l'esprit est plutôt de tourner moi-même des films pornos avec certaines femmes de ma connaissance ? Ou, l'un n'empêche pas l'autre, de faire l'amour avec certaines belles actrices X ? De fait, une actrice porno n'apporte a priori rien à un film traditionnel, sauf à le faire devenir porno, et dans ce cas, n'est-ce pas plus excitant avec une femme qui n'a pas pour occupation courante d'accueillir des éjaculations faciales ?

10- Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre odorat ?

J'ai toujours trouvé que la scène du Professeur où Alain Delon enfouit goulûment et désespérément son visage dans les cuisses de la belle Sonia Petrova sentait vraiment et délicieusement la chatte.

11- Si vous pouviez prolonger une séquence soudain interrompue, quelle porte fermée rouvririez-vous, quel rideau tiré écarteriez-vous ou quel panoramique s'esquivant vers le décor anodin, redresseriez-vous ?

Comme d'autres, je trouve cette question difficile, ou paradoxale. Ma réponse sera donc un rien ambivalente : la très érotique scène lesbienne de The killing of Sister George, où une femme mûre se met à déshabiller la belle jeune endormie est formidablement sensuelle, on râle qu'elle soit interrompue... mais il était difficile qu'elle dure plus longtemps : le réveil de la jeune, qui si mes souvenirs sont bons interrompt les attouchements en cours, est à la fois une frustration, un accomplissement naturel de la scène, et le signe de la maîtrise d'Aldrich, grand cinéaste s'il en fût.

12- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle poitrine ?

Mon érotisme ayant pendant longtemps - pendant mon pucelage ? - été plus centré sur les seins que sur les fesses (j'irais parfois jusqu'à soutenir que l'on ne découvre vraiment le cul des femmes qu'une fois qu'on en a prise une en levrette), j'aurais tendance à me cacher derrière ou dans toutes les belles poitrines auxquelles je peux penser... J'avoue avec un rien de honte, parce qu'une part de moi a une vraie haine pour le porno, que le souvenir des seins de « Laure Sainclair » me bouleverse toujours.

13- Les plus belles dents ?

BB, Lauren Bacall et ma femme.

14- Vous êtes enfermé jusqu'au matin, avec le partenaire de jeu de votre choix, dans un musée berlinois qui a reconstitué des centaines de décors de films. Lequel choisissez-vous pour votre nuit ?

Ce n'est pas berlinois, mais germano-polonais (je n'aurais sans doute pas eu cette idée sans une telle référence géographique) : Adam et Eve recréent l'humanité depuis Auschwitz - qui ne me suggère pas un film particulier, mais hante le cinéma (et un peu trop la critique de cinéma).

15- Quel est pour vous le mot, la phrase ou le dialogue le plus empreint de sensualité ?

Sensualité, je ne sais pas si c'est le mot, mais j'adore la réplique de la coiffeuse dans Vertigo, avant la fin de la « retransformation » de Kim Novak, quand James Stewart donne des conseils précis : "The gentleman certainly does know what he wants."

16- Quelle est votre scène de douche préférée ?

Difficile d'éviter Psycho et Pulsions. Sinon, ce n'est pas vraiment érotique, mais j'aime bien l'utilisation du Requiem de Fauré par Vecchiali quand N. Silberg prend sa douche dans Corps à coeur.

17- Existe-t-il une actrice que vous aimeriez-vous voir dans un film pornographique ?

D'une certaine manière, toutes celles que j'ai désirées. Mais d'une certaine manière seulement, et, si j'ose dire, pas « pour de vrai ».

18- Quel film et/ou quel cinéaste vous paraît le moins érotique ?

L'inepte Amant, bien sûr, mais à peu près toutes les scènes supposées érotiques du cinéma français depuis vingt ans pourraient figurer ici. Pauvre France !

19 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer le plus beau ventre ?

L'érotisme cinématographique du ventre dénudé est assez récent et correspond à un cinéma que je ne connais pas nécessairement bien. Je dirais celui de Françoise Dorléac dans Les demoiselles de Rochefort.

20- Les plus belles mains ?

Bergman ayant souvent (trop ?) insisté sur l'attirance des femmes pour les mains d'hommes, je pense par associations d'idées et contrecoup aux mains de l'admirable Liv Ullmann. Le souvenir du gant enlevé de Gilda revient tout de suite à l'esprit. Gloria Grahame, aussi... Autant demander quelle actrice on préfère !

21- Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre goût ?

Je n'arrive pas à retrouver le nom de ce film produit par L. von Trier, film que je n'avais pas trouvé très intéressant, mais qui comporte une scène célèbre d'amour dans une cuisine. Le fait qu'il s'agisse d'un vrai porno (intello et branché, certes, mais tout de même) permettait d'y aller franco dans le mélange sexe-nourriture. En même temps j'aime trop la bouffe et l'odeur des femmes pour avoir vraiment envie de les mélanger - et tant pis si ce n'est pas le sens exact de la question. (Odorat et goût étant mêlés, spécialement en matière érotique, je renvoie à la question 10 et au fumet présumé de Sonia Petrova).

22- Quelle est votre comédie musicale préférée ?

Dans ce contexte, cela revient à demander quelle est la comédie musicale la plus érotique. Tous en scène est moins érotique que d'autres (notamment Phantom of the paradise - Jessica Harper ! - voire aussi ce film musical qu'est Suspiria), mais on aura du mal à faire mieux que le numéro Astaire-Charysse sur la fin - qui donne d'ailleurs une des plus belles scènes des Histoire(s) du cinéma.

23- En inversant le principe de La Rose pourpre du Caire, si vous pouviez pénétrer dans un film, lequel choisiriez-vous ?

Encore une fois, vu le contexte, cela revient logiquement à choisir un des films de la question 2. Que Kim Novak me permette donc de la suivre dans son itinéraire, en n'oubliant pas de me laisser, s'il est besoin « a second chance »...

24- Quelle est votre scène muette entre deux amants préférée ?

En anticipant sur la question suivante, je pourrais répondre la scène finale des Temps modernes. Dans le cinéma parlant, je pense à ma réponse à la question 4. Allez, la sortie de la chute d'eau à la fin de Johnny Guitar.

25- Quel film vous a toujours semblé manquer d'une ou de plusieurs séquences érotiques ?

Je n'en vois pas... Même sans sexe, un bon film est toujours érotique. C'est vraiment un exemple absurde, mais imagine-t-on Les temps modernes avec une scène érotique, alors même que Paulette Goddard y est extraordinairement sexy ? Dans un autre genre, l'érotisme homophile à la fois discret et dégoulinant des films de Melville y perdrait beaucoup si l'auteur s'était senti obligé d'y faire figurer une scène d'amour classique. Le sexe (« hétérosexuel ») chez Melville est une sorte d'hygiène, qui lui permet comme à ses personnages de ne s'occuper par ailleurs que de ce qui les intéresse, en l'occurrence des histoires d'hommes. Se forcer à filmer une scène érotique aurait autant coûté à Melville que cela aurait perturbé l'équilibre, disons psycho-sexuel, de son univers.

On ne ressent donc pas nécessairement le manque d'une scène spécifique. En revanche, j'ai en horreur les films soi-disant pudiques, où ça ne couche pas, et qui de fait sont anti-érotiques au possible. Je pense notamment au Sautet avec Dussolier et Auteuil (Un coeur en hiver, i.e. Une bite au congel), ou à Lost in translation : ce n'est pas une scène précise qui manque, mais le fait d'éviter la rencontre des corps qui rejaillit en chaque cas sur tout le film.

26- Quel est pour vous le plus beau plan de femme ou d'homme endormi ?

Je ne me souviens pas de la scène de Bus Stop à laquelle M. Cinéma fait référence, mais il me semble que Marylin dort encore de façon fort envoûtante dans les déjà cités Misfits.

27- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle nuque ?

Au risque que mes souvenirs soient inexacts : Anna Karina chez Godard.

28 - Le plus beau sexe ?

Puissance du fantasme autant que hommage rendu à la Sale histoire de Eustache, j'ai l'impression qu'il y en aurait beaucoup... Pour rester dans le domaine du « réel », la jolie motte de Isabelle Huppert nue devant son père gentiment alcoolo, Mastroianni, qui la lui farfouille doucement avec une tendresse paradoxalement pudique, et conclut rêveusement : "Tu es devenue une vraie femme..." (Ferreri, Histoire de Piera).

29- Vous prenez miraculeusement, au sein d'un film, la place d'un potentiel partenaire sexuel : lequel ?

Joker ? Question fort ambiguë, d'autres que moi l'ont noté. Je n'ai pas aimé Mulholland drive, mais peux rêver me retrouver à la place de l'une des deux (ou des deux, pour ainsi dire) actrices dans leur grande scène saphique.

30- Quelle voix vous a le plus troublé au cinéma ?

Bacall, Russell, Grahame, Novak, Monroe... Parély, Demazis, S. Simon, Deneuve... Il y en a trop. Un clin d'oeil à Juliet Berto, dont paradoxalement je ne retrouve pas en mémoire la voix à l'instant présent !

31- Y a-t-il un film classé X, dont vous aimeriez découvrir le remake sans aucune scène pornographique ?

Rêves de cuir, pour voir ce qu'il resterait de son dispositif sans scènes hard, et Entrez vite, vite, je mouille... de Bouyxou, que je n'ai jamais vu et imagine donc un peu, nécessairement, sans connaître son côté porno, ce qui n'est pas évident vu son titre... Drôle de question !

32- Quelle est votre scène de danse préférée (hors comédies musicales) ?

Je triche un peu mais pas vraiment, tout en liant cette question à la question 11 : les premiers pas de danse esquissés l'air de rien par F. Astaire et C. Charysse, avant qu'ils ne se mettent à danser dans le parc : si leur numéro est magnifique, ces tout premiers pas me laissent à chaque fois sans voix.

33- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer les plus belles fesses ?

Je rejoins sans peine Nightswiming sur ce coup, la scène où Ben Gazzara contemple les fesses d'Ornella Muti dans Conte de la folie ordinaire m'avait transporté. Mais pour splendides que soient ces fesses, elles ne font pas tout : il y a l'amour mélancolique que Gazzara leur porte, l'atmosphère de la plage, la lumière... J'ai toujours voué une grande affection à Ferreri, toutes choses égales d'ailleurs, depuis que j'ai découvert cette scène (et, plus tard dans « mon » temps, celle évoquée à la question 28).

34- Le plus beau sourire ?

Je ne suis même pas sûr qu'elle sourie beaucoup dans ce film, mais je pense à Jacqueline Bisset dans La nuit américaine. Et à la réflexion, je me dis qu'elle ne sourit pas, mais que l'on passe le film à attendre de sa beauté mélancolique un sourire radieux qui serait le plus beau, le plus paradisiaque jamais vu.

35- Existe-t-il un plan, une séquence ou un film qui aient réussi à vous émoustiller sans avoir à priori été conçus à cet effet ?

Il y a maintenant un certain nombre d'années, j'ai tourné un court-métrage (assez influencé par Jean-Claude Guiguet, paix à son âme) interprété par deux jolies actrices. Le tournage s'est dans l'ensemble très bien passé, si bien passé que lors d'une prise d'une scène de dispute (purement verbale, il n'y avait pas de contact physique entre les filles), j'étais si content de la façon dont mes actrices jouaient que j'en ai eu une bonne érection. En toute honnêteté, il m'a toujours semblé depuis que ce n'était que la réussite du jeu des comédiennes qui m'avait ainsi stimulé, et qu'il en aurait été de même si la scène avait concerné deux petits vieux édentés. Je ne sais trop s'il y a une morale à en tirer - une théorie de la relativité des érections ? - ou si cela répond vraiment à la question.

36- Quelle actrice ou quel acteur aimeriez-vous voir grimé en l'autre sexe ?

Vaste question, M. Cinéma ayant ici me semble-t-il quelque peu botté en touche.. Pour les femmes, Claudia Cardinale et Jeanne Moreau ont montré ce que l'on pouvait tirer du travestissement, je n'ai pas moi-même d'idée à soumettre. Pour les hommes, on peut d'une certaine manière - car il est plutôt heureux qu'il ne l'ait pas fait, pour des raisons comparables à celles que je décrivais au sujet du cinéma de Melville, auquel il est lié - rêver à un Delon travesti.

37- Quel regard-caméra vous a le plus ému ?

J'ai failli oublier cette question... Pour changer des grands classiques (Monika, Les 400 coups, La dolce vita...), je dirais que le train arrivant en gare de La Ciotat nous regarde depuis toujours.

38 et 39- Quel réalisateur est selon vous le mieux parvenu à filmer l'acte sexuel (hors films pornographiques) ? Est-ce le même que celui que vous considérez comme le plus grand maître en érotisme ?

Je mêle ces deux questions parce que rien ne me vient à l'esprit pour la première [ajouté le soir : il y a bien le Numéro deux de Godard, mais c'est plus un film sur la vie sexuelle quotidienne d'un couple : ça ne diminue pas son mérite, mais on n'y trouve pas une scène bouleversante de coït] et parce que je reste marqué par l'idée d'André Bazin selon laquelle on ne peut vraiment filmer le sexe et la mort. A la limite, le magnifique strip-tease de Rebecca Romijn-Stamos dans la Femme fatale de De Palma pourrait être une réponse à la question 38, mais il ne s'agit justement pas d'un acte sexuel, « seulement » de ce qui précède. Tout en renvoyant à la question 2, je dirais sans originalité que Mizoguchi, Bunuel, Bresson, Rohmer, Ophüls, Lubitsch, parfois Lang et Truffaut, et tant pis pour ceux que j'oublie (Hawks-Ford-Walsh notamment), ont contribué à la formation de ma sexualité, ce dont, quelle que soit celle-ci, je ne peux leur être que reconnaissant. Citons Freud (beurk ?) pour conclure : "celui qui débarrasserait l'humanité de la sexualité serait considéré [à tort] comme un héros..." Péché originel forever !


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RIDEAU !

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