Le curé de campagne envoie du bois.
"Le monde du Mal échappe tellement, en somme, à la prise de notre esprit ! D’ailleurs, je ne réussis pas toujours à l’imaginer comme un monde, un univers. Il est, il ne sera toujours qu’une ébauche, l’ébauche d’une création hideuse, avortée, à l’extrême limite de l’être. Je pense à ces poches flasques et translucides de la mer. Qu’importe au monstre un criminel de plus ou de moins ! Il dévore sur-le-champ son crime, l’incorpore à son épouvantable substance, le digère sans sortir un moment de son effrayante, de son éternelle immobilité. Mais l’historien, le moraliste, le philosophe même, ne veulent voir que le criminel, ils refont le mal à l’image et à la ressemblance de l’homme. Ils ne se forment aucune idée du mal lui-même, cette énorme aspiration du vide, du néant. Car si notre espèce doit périr, elle périra de dégoût, d’ennui. La personne humaine aura été lentement rongée, comme une poutre par ces champignons invisibles qui, en quelques semaines, font d’une pièce de chêne une matière spongieuse que le doigt crève sans effort. Et le moraliste discutera des passions, l’homme d’État multipliera les gendarmes et les fonctionnaires, l’éducateur rédigera des programmes — on gaspillera des trésors pour travailler inutilement une pâte désormais sans levain.
(Et par exemple ces guerres généralisées qui semblent témoigner d’une activité prodigieuse de l’homme, alors qu’elles dénoncent au contraire son apathie grandissante… Ils finiront par mener vers la boucherie, à époques fixes, d’immenses troupeaux résignés.)"
Bernanos était au front pendant la guerre 1914-1918, il faut ici le rappeler.
<< Home