dimanche 31 juillet 2005

Points de repère (Ajout les 19 et 22.01.06).

(Voici le texte annoncé, accompagné de notes et d'une bibliographie. C'est un projet bâtard, puisque l'on risque de n'y rien comprendre si on ne connaît pas déjà les auteurs évoqués, et que dans ce cas on risque de le trouver par trop vague. Je le mets néanmoins en ligne parce que les thèmes qui y sont évoqués concernent tout un chacun, mais je l'ai d'abord écrit pour faire le point avec moi-même en une période de lectures intensives, presque désordonnées, et il en porte la trace. Que le grand Critique me croque !)




"Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l'humanité, ou rien, c'est exactement la même chose."
G. Flaubert.

"Les troubles sont une excellente chose."
Mao Zedong.




Le lecteur aura déjà noté, ce n'est guère difficile, l'influence qu'exercent sur l'auteur de ces lignes les livres de Jean-Pierre Voyer. Personne d'autre ne me donne autant le sentiment de parler du monde même dans lequel je me trouve évoluer. M. Voyer crée notamment par la destruction et la polémique (un recueil de sa correspondance a pour titre : Hécatombe [1]). Un seul intellectuel contemporain, qu'à ma connaissance il n'a jamais cité nommément, me semble exprimer une pensée assez solide pour ne pas être balayée par ces attaques : Alain Badiou. Lequel réussit même à susciter de la curiosité à l'égard d'auteurs que l'on pensait irrémédiablement disqualifiés par les attaques de Jean-Pierre Voyer (Lénine, Althusser [2]...).

Disons-le donc en une phrase : c'est en examinant les tensions entre les pensées respectives de MM. Voyer et Badiou que l'on doit pouvoir le mieux comprendre quelque chose de ce monde - voire de comment et sous quelles conditions on peut l'aider à changer. Il va sans dire que d'autres ont peut-être dépassé depuis longtemps ces questions : je serais ravi de les connaître. Mais mon horizon actuel est là, et c'est à en clarifier la configuration que je vais travailler ici.

Ce n'est certes guère mon problème : il est néanmoins fort possible que ce rapprochement puisse déplaire autant à l'un qu'à l'autre de ces messieurs. S'ils sont à peu près contemporains (A. Badiou est né en 1937, J.-P. Voyer à peine plus tard), ils n'ont pas vécu ces soixante dernières années de la même manière. Sans trop anticiper sur ce qui va suivre, on peut donner quelques repères : le premier fut maoïste [3] tandis que l'autre frayait avec les situationnistes. Alain Badiou a été et est toujours un militant, quand Jean-Pierre Voyer a écrit de cinglantes sentences contre le militantisme en tant que tel [4]. Le premier appartient de plein droit à la catégorie regroupée par le second sous le vocable de "pute intellectuelle" : fonctionnaire (professeur), il explique doctement tout le mal qu'il pense de l'état. Je ne sais pas de quoi le second vit et a pu vivre, mais certainement pas de l'argent du contribuable. Enfin, le sens de l'humour est très inégalement réparti entre eux.

On ne cherchera pas ici d'hypothétiques et inutiles réconciliations. Mais le fait est que je retrouve dans ces deux intellectuels la même tension qui me traverse à peu près depuis que je me suis intéressé à ce qui se passait autour de moi, à l'adolescence (A. Badiou dit quelque part qu'il est bien plus important d'être fidèle à ses conceptions politiques qu'à ses goûts artistiques, je suis pleinement d'accord avec lui), la tension, pour le dire très vite, entre anarchisme et communisme. Précisons tout de suite que cela n'implique nullement que M. Voyer soit "anarchiste" et M. Badiou "communiste", mais que l'un comme l'autre me semblent travailler sur cette tension, et que sans doute dans les deux cas la balance, s'il faut absolument qu'elle penche, ne penche pas tout à fait du même côté.


Essayons de présenter ces tensions.

Pour prendre un point de départ très simple, posons que ces deux auteurs n'ont pas renoncé à la question : "qu'est-ce qui fait que la vie vaut - ou peut valoir - la peine d'être vécue ?". Qu'ils cherchent tous deux à confronter leurs espoirs de dépassement de l'homme par lui-même à l'état du monde. Qu'ils possèdent une culture historique suffisante pour accepter des réponses diverses à cette question - notons pourtant déjà que M. Badiou est plus normatif de ce point de vue -, comme pour rejeter tout sentimentalisme humanitaire ou théorique [5]. Qu'ils sont tous deux des penseurs de la totalité, et qu'à cet égard ils sont tous deux anti-réformistes, anti-proudhoniens comme pouvait l'être Marx [6] - je mêle ici intentionnellement le vocabulaire de l'ontologie et celui de la politique. Qu'ils s'intéressent tous deux à la science et au progrès technique - A. Badiou rappelle quelque part la vocation de l'homme à devenir "maître et possesseur de la nature", J.-P. Voyer accable souvent de ses sarcasmes les lointains héritiers de Proudhon que sont les écologistes, les debordiens qui regrettent qu'on ne mange (et boive !) plus aussi bien qu'avant, etc... Qu'ils sont en même temps, et ceci est très important, tous deux idéalistes, au sens où l'est Hegel décrit et cité par K. Papaioannou (1977, p. 398) : "Pour lui, l'univers tout entier est le règne de la mort, le sépulcre de Dieu : seul l'homme manifeste et réalise la vie divine. Même ses crimes, dit Hegel comme pour répondre à Platon, même les pires aberrations de l'homme représentent "quelque chose d'infiniment plus haut que le cours régulier des astres, car ce qui erre ainsi est toujours l'esprit" ! (...) Hegel pousse jusqu'à ses plus extrêmes conséquences l'anthropocentrisme chrétien et noue et nie avec une égale véhémence aussi bien la vénération antique du cosmos que le panthéisme de la Renaissance. Le cosmos n'est ni le modèle de rationalité, ainsi que le pensait Platon, ni l'infini que vénérait Giordano Bruno : "Oui, tout le système solaire est quelque chose de fini... seul l'esprit exprime la véritable infinité." Reformulons notre question de départ en ces termes hégéliens : comment aider l'esprit à se réaliser ? Ce qui implique tout de suite une interrogation préliminaire : peut-on l'y aider [7] ?

Notre première ligne de partage va lentement se dessiner. Pour Jean-Pierre Voyer, le mieux que l'on puisse faire est de montrer comment l'esprit se réalise, ou s'est réalisé : la pensée arrive toujours après [8]. On peut aussi, et c'est aussi un travail considérable, montrer pourquoi il ne peut pas se réaliser ici et maintenant - depuis quelques semaines un de ses sites porte en exergue la phrase de Wittgenstein : "Le but de la philosophe n'est pas de dire ce qui devrait être ou ce qui est, mais de dire ce qui n'est pas, et c'est déjà beaucoup". Rien n'est plus ridicule que de formuler des souhaits et des recommandations, qui ne changent rien à la façon dont le monde évolue.

Chez Alain Badiou, la tentation de prescrire devrait être tout aussi radicalement absente. Toute sa philosophie, telle qu'elle se développe depuis L'être et l'événement (1988), tourne autour de la notion d'événement, en tant que surgissement imprévisible au sein du vide d'une situation - sachant qu'il y a et ne peut y avoir d'événements que dans quatre domaines : politique, amoureux, scientifique, artistique. Ce qui permet ou pourrait permettre d'expliquer pourquoi tous les vrais événements sont à la fois surprenants et explicables a posteriori. Le philosophe ne peut prédire ces événements, mais il peut les penser une fois qu'ils sont survenus (A. Badiou dira qu'alors le philosophe pense "sous condition" de la politique, de l'art...).

Pourtant, si je ne pourrais il est vrai citer de cas où M. Badiou enfreint ses propres théories, je le sens enclin à anticiper sur ce que seront les prochains événements, comme s'il ne se résignait pas à ce qu'ils soient vraiment si imprévisibles que ça, comme s'il avait, tout simplement, envie de les penser avant qu'ils n'aient eu lieu. Un exemple concret permettra de le montrer, mais a contrario.

Soit le "11 septembre". Jean-Pierre Voyer écrit un livre entier (Diatribe d'un fanatique, 2002) sur cet événement (au sens justement que M. Badiou donne à ce terme), s'efforce de pénétrer les motivations de ses auteurs [9]. Si tout ne lui plaît pas chez eux, il estime que c'est à lui de s'adapter - et de leur rendre au moins l'hommage que l'on doit à d'aussi fiers et convaincus guerriers. Alain Badiou, lui, écrira que "ce dont le crime de New York et les guerres qui le suivent témoignent, c'est de la synthèse disjonctive de deux nihilismes." (2003, p. 66 [10]), renvoyant ainsi dos à dos nihilistes commerçants américains et nihilistes islamistes. Non que M. Badiou prenne pour argent comptant la propagande occidentale sur M. Ben Laden, mais il n'a qu'antipathie pour ce qu'il croit deviner de ses intentions et ne fait donc pas l'effort, ou du moins un réel effort, de les comprendre - au sens où l'on parle de "sociologie compréhensive" [11]. Il n'est pas inutile ici de bien préciser que l'important n'est pas tant la différence - réelle - de jugement sur M. Ben Laden que la différence de méthode : pour Jean-Pierre Voyer M. Ben Laden est un fait qu'il faut prendre en compte, Alain Badiou n'y voit rien de bien nouveau à penser et le disqualifie assez rapidement.
On peut me répondre sur le thème de la poule et l'œuf : c'est parce que Oussama Ben Laden plaît à l'un et pas à l'autre que le premier prend la peine de l'étudier et pas l'autre. Peut-être. Mais je persiste à dire qu'il y a là une ligne de partage globale [12].

Et quand il ne s'agirait que d'une question d'inclination personnelle, cela ne nous renverrait pas moins à une deuxième tension - d'où viendrait en effet cette inclination ? Ne serait-ce pas d'un rapport au religieux ?

Revenons à la citation de K. Papaioannou, qui finalement peut nous servir de guide un peu plus longtemps [13]. On aura peut-être été frappé du ton religieux des phrases de Hegel. Je crois pouvoir dire que ce ton gêne beaucoup plus M. Badiou que M. Voyer. Pour le premier, la religion est désormais du passé. Si elle a eu un rôle des plus éminents à jouer, elle l'a joué, et c'est pourquoi elle ne revient que sous des formes caricaturales, notamment "intégristes". Et si elle peut revenir de cette manière, si même elle doit revenir de cette manière, c'est pour le dire vite, "la faute aux Américains" - j'entends par là que le système de domination capitaliste génère lui-même (quand il ne les aide pas directement financièrement) ces réponses simplistes et fondamentalistes. Sur ce dernier point, J.-P. Voyer a écrit des choses semblables ("Il est étonnant, mais logique, que face au triomphe mondial du manchestérianisme ce soit une foi de synthèse composée d'éléments archaïques (Roy [Olivier Roy, islamogue, NDLR]) qui se dresse mondialement. Seule l'abstraction de cet archaïsme peut lutter à armes égales avec l'abstraction commerciale. Allah est la première marque mondiale, loin devant Nike ta mère.", 2002, pp. 31-32). Mais il est on ne peut plus opposé au constat d'une fin de la religion. Au contraire, comme il l'écrivait dans un texte de 1982, "Le jugement de Dieu est commencé", c'est parce qu'au XIXe siècle on a cru trop vite en avoir fini avec la religion que celle-ci fait retour. On ne se débarrasse pas si facilement de la religion. Le fera-t-on un jour ? J.-P. Voyer s'interdit de répondre à cette question, tant du moins que l'on n'aura pas critiqué (ce qui veut dire ici : pris au sérieux, trié le bon grain de l'ivraie) la religion, tant qu'on ne l'aura pas mieux comprise. Je reviendrai bientôt sur ce point important, retenons que pour ce qui est de la religion A. Badiou tombe directement sous le coup de la critique de J.-P. Voyer. Cette critique est-elle justifiée ? On serait tenté de répondre que l'avenir le dira... En tout cas, les raisonnements et professions de foi athées que l'on trouve aussi bien dans le Court traité d'ontologie transitoire (1998, premier chapitre : "Dieu est mort") que dans Le siècle (pp. 234-239) sont certes fort persuasifs mais pèchent néanmoins par excès d'occidentalo-centrisme comme d'idéalisme, au sens de trop grande confiance en la puissance des idées.

Ces deux notions nous font revenir à Hegel, cette fois-ci sans K. Papaioannou. Philosophe de l'histoire, comme on ne peut l'ignorer ; j'ai d'autre part indiqué plus haut que mes duettistes partageaient une solide culture historique, ainsi qu'un certain sens de la relativité des circonstances. Mais, sur ce dernier point, de nouveau avec des tempéraments forts distincts. A. Badiou développe une philosophie, je l'ai dit, de l'événement comme surgissement imprévisible, surgissement que la philosophie doit ensuite comprendre et analyser, bref, penser. Il n'y a pas d'événements en philosophie, il n'y a que la possibilité de comprendre les événements qui ont eu lieu. Cette philosophie, qui s'appuie sur une ontologie mathématique que heureusement pour moi je n'ai pas à développer ici (que résume l'expression "platonisme du multiple"), est bien sûr puissamment intégratrice, puisque tous les événements de l'histoire sont susceptibles d'y être pris en compte. Précisons sans entrer dans les détails que M. Badiou donne une définition de l'événement qui permet d'éviter en grande partie (on peut discuter des cas particuliers) l'arbitraire - il ne s'agit pas de prendre certains faits au hasard ou selon un choix personnel et de leur conférer le label d'événements. Toujours est-il que la façon dont A. Badiou peut prendre au sérieux et faire dialoguer des philosophes (qui eux-mêmes ont pensé "sous condition" des événements dont ils avaient conscience) aussi différents que Platon, Aristote et les sophistes, Deleuze, Wittgenstein, Lacan... est assez vertigineuse, même si dans certains cas, ainsi que je l'ai déjà signalé, on peut se demander si la révérence explicite n'est pas plus ou moins feinte - dans le cas de Deleuze, auquel il a consacré un livre entier (1997a), on finit par suspecter, à forces de critiques, sauf en ce qui concerne l'utilisation répétée du concept de synthèse disjonctive, évoqué plus haut, que son "intégration" est une forme d'enterrement - de désintégration. Mais passons sur ce cas extrême, qui n'est d'ailleurs peut-être finalement qu'une critique au sens que J.-P. Voyer donne souvent à ce terme, et indiquons aussi clairement qu'il nous est possible que M. Badiou a une faculté étonnante à concilier les différences entre philosophes sans les faire disparaître, mais en les répartissant sur plusieurs niveaux - un peu comme, dans la théorie des types, Russell résolvait le paradoxe qui porte son nom [14]]. Référence à la philosophie analytique qui n'est d'ailleurs pas innocente tant M. Badiou s'y confronte et s'y intéresse beaucoup plus que ses plates saillies anti-anglo-saxonnes ne le laissent à première vue penser. Mais laissons ces problèmes difficiles pour la parution (annoncée depuis 1998) du deuxième tome de L'Etre et l'événement, il s'agissait juste de mentionner en passant ce point commun, que je crois important, avec J.-P. Voyer, lequel a consacré plusieurs textes récents au "père" de la philosophie analytique, G. Frege. Revenons au rapport de M. Badiou à l'histoire de la philosophie et résumons-le ainsi : il s'y trouve pour lui des acquis.
En revanche, dans sa philosophie du sujet, il se refuse à toute essentialisation, à toute naturalisation. Naturaliser le sujet, c'est le résigner à n'être que lui-même, le résigner à sa fatalité propre comme à celle du monde, au conservatisme. Seule la fidélité à un événement structure un sujet. On en trouvera une analyse exemplaire et passionnante dans le petit livre Saint Paul, la fondation de l'universalisme (1997b), Paul de Tarse y devenant lui-même dans sa fidélité à l'événement primordial que fut pour lui la venue du Christ.

Ce qui explique aussi sa sympathie pour le thème de l'homme nouveau, figure fondamentale de la pensée du XXe siècle (2005, p. 144) : le sujet n'étant pas naturel, on peut le changer. Et là on se retrouve aux antipodes de la pensée comme de la démarche de J.-P. Voyer. Si A. Badiou est philosophe avant tout, on finirait par se dire que J.-P. Voyer est d'abord anthropologue. Il cherche des invariants dans l'espèce humaine, s'interroge sur "le propre de l'homme" - pendant des années, il a répondu : la communication. L'homme n'est pas là pour satisfaire des besoins - ce n'est que sa part animale -, il est là pour communiquer. Ce qui est difficile, d'autant plus aujourd'hui qu'une toute petite minorité "possède" la communication (aliénée), tandis que la très grande majorité est réduite à l'esclavage [15]. Et l'on communique, précise cet hégélien, pour obtenir la reconnaissance de l'autre. Tout est affaire de lutte pour la reconnaissance et le prestige (ce pourquoi tous ceux qui ne dirigent pas la communication aujourd'hui, tous les salariés, sont des esclaves, qu'ils soient payés 20,000 euros par mois ou qu'ils crèvent de faim). A partir de là, il est évident que les pensées rationalistes et utilitaristes, en refusant de prendre en compte ces dimensions primordiales et en faisant dans le réel de la lutte pour la reconnaissance des coupes artificielles (l'intérêt, la raison, la religion...) ne peuvent que louper le coche. Ne parlons même pas dans ce cas des tentatives de créer un Homme nouveau [16]... Récemment, après le 11 septembre et sous l'influence d'Emile Durkheim M. Voyer a remis la religion au cœur de ses préoccupations, semblant (je dis bien semblant, mais en réalité la question ne se pose pas vraiment tant que la religion n'aura pas été vraiment critiquée) la considérer comme inhérente à l'homme en tant qu'homme - "Dieu est l'autre nom de l'humanité". Ce qui, paradoxalement, est une conclusion que M. Badiou pourrait presque faire sienne, lui qui écrivait dans L'éthique (1993) et répéta dans Le siècle que ce n'est que lorsqu'il se hisse au-dessus de lui-même que l'homme devient intéressant.

Un passage du Siècle, justement, son dernier chapitre, écrit en 2004 (le reste du livre est de 1998-99), au titre pour le moins explicite, "Disparitions conjointes de l'Homme et de Dieu" (pp. 233-251), permet d'être un peu plus précis sur cette question de l'anthropologie. A. Badiou y oppose entre eux et par rapport au plat humanisme contemporain "l'humanisme total" de Jean-Paul Sartre et "l'anti-humanisme total" de Michel Foucault, rappelant que pour celui-ci la philosophie s'est au moins depuis Kant abusivement identifiée à l'anthropologie, et que donc pour en "sortir" il vaut mieux lui substituer la "pensée". Si ce texte n'est pas spécialement polémique à l'égard de Sartre, à qui il est surtout reproché d'arriver "trop tard" (p. 244), on sent bien que M. Badiou y est plus proche de celui que Jean-Pierre Voyer traita un jour (1982, p. 9) de "crotte", et cela permet de saisir une autre différence entre nos deux éminents intellectuels. Jean-Pierre Voyer est un Aufklärer, un rationaliste qui se qualifie lui-même de "durkheimien", quand Alain Badiou est plus sensible aux sirènes de cette fameuse "pensée". La surprise alors, si c'en est une, est que le rationaliste Voyer est plus à l'écoute du religieux que l'anti-positiviste et anti-essentialiste Badiou.

Cette considération en appelle d'autres, qui arrivent à la fin de ce paragraphe, mais revenons d'abord à l'histoire, et notamment à l'histoire des idées. Contrairement à ce qu'on trouve chez A. Badiou, on ne verra pas chez J.-P. Voyer d'acquis ni de conciliation : il y a des penseurs qui ont évoqué ou senti des vérités primordiales quant à la communication, la lutte pour la reconnaissance et la vision de la totalité (Hegel, Durkheim, Marx en de trop rares endroits), et il y a la foule des utilitaristes (qui sont notamment ceux qui croient à l'existence de l'économie, cf. note 15). Et le paradoxe, c'est que cette vision plus unilatérale, voire, ce n'est pas une critique, manichéenne, ou binaire, partant de prémisses simples, permet à M. Voyer d'être, on l'a vu, peut-être plus à l'écoute du réel que M. Badiou, pour qui il y a des acquis et qui ne prête pas nécessairement autant d'attention qu'il le faudrait à ce qui s'en éloigne trop visiblement. Ce que l'on gagne en souplesse dans un sens (l'Histoire), on le perd dans un autre (le Présent). D'une façon générale, il y a chez Alain Badiou une certaine tendance, peut-être pas à "sacrifier" le présent (il insiste en tout cas à juste raison sur le rapport des "nouveaux réactionnaires" au présent béatifié (2004, p. 247)), mais à faire des promesses un peu vagues, ce que l'on ne trouvera certes jamais chez Jean-Pierre Voyer. On lui reprochera par ailleurs, quelque portée que l'on veuille par ailleurs donner aux conclusions épistémologiques que l'on peut tirer d'un livre comme Les mots et les choses, de trop se désintéresser des enseignements, tout relatifs puissent-ils être, de l'ethnologie et de la sociologie [17].


Dans la pratique, est-ce que cela change grand-chose ? Reprenons la formule précédente, et adaptons-la : ce que l'on gagne en souplesse dans un sens (l'adaptation au présent), on risque de le perdre en morale dans un autre (les acquis). Chassez la morale, elle finit toujours par revenir. On ne suggérera pas du tout que J.-P. Voyer est un cynique s'adaptant à toutes les situations. Il y a en fait deux manières de voir les choses. Soit on se contente de penser que M. Voyer est tout simplement plus pudique que M. Badiou dans sa manière d'exprimer ses préférences (politiques, morales...). Soit on en fait un problème théorique : jusqu'où peut-on élargir ses références morales de façon à respecter le réel tel qu'il évolue ? En caricaturant : jusqu'où le respect que l'on peut avoir pour le courage des "terroristes" du 11 septembre peut-il empêcher de les condamner ? Mais que veut dire ici "condamner" ? Est-ce qu'une condamnation de ce genre a le moindre intérêt ? C'est un problème théorique, disais-je, mais un problème théorique de morale - la voie ouverte à tous les poncifs, on le sait bien.

Nous sommes bien avancés. Mais c'est peut-être que nous avons mal posé la question. J'ai évoqué au début de ce texte le militantisme. Et qui dit militantisme dit tout de suite organisation - Alain Badiou milite dans une organisation appelée - cet homme est décidément explicite quand il le veut - Organisation Politique (à propos de laquelle tous les renseignements sont d'ailleurs bienvenus, soit dit en passant). Jean-Pierre Voyer ne fait l'éloge, et encore, sur le principe seulement, le reste étant de toute façon hors de son sujet, que des révoltes individuelles - Jacques Mesrine, François Besse - ceci du moins jusqu'au 11 septembre. Il est plus que réservé, on l'a vu, et c'est un point sur lequel il me convainc totalement, sur le droit de certains de parler au nom des autres. A tous ceux qui se demandent "ce qu'il faut faire", il se dénie la possibilité d'apporter le moindre conseil, et n'aborde aucunement, que je sache, la question de l'organisation. Chacun est juge de lui-même. Chercher des aides en matière de morale, éventuellement rebaptisée "éthique" parce que c'est supposé être plus concret, est soit une affaire purement individuelle, soit du pur verbiage.

Peut-on, compte tenu de ces préalables qui me semblent absolument nécessaires, s'organiser tout de même collectivement ? Le fait que l'Organisation Politique de M. Badiou [18] soit ce que l'on appelle un "groupuscule" peut, en toute rigueur, être interprété aussi bien comme une preuve de ridicule que comme l'indice qu'elle est l'organisation disciplinée et méthodique de révoltes individuelles et qui entendent le rester. J'aimerais le croire. Mais on ne peut manquer ici de rappeler que M. Badiou est aussi un fonctionnaire.
Sommes-nous plus avancés ? Un peu plus conscients peut-être.
Il resterait à aborder d'autres problèmes, notamment celui de la politique du pire, qui se pose dès que l'on évoque Hegel et le fameux travail du négatif. Il se trouve d'ailleurs qu'entre le début de la rédaction de ce texte et sa mise en ligne, Jean-Pierre Voyer y a fait allusion. Mais ceci nous ferait revenir aux cas d'espèce. Le plus important est sans doute de bien faire comprendre que rien chez M. Voyer n'est marqué du sceau de la passivité. On en conclurait presque en faisant de nouveau allusion à Bakounine et à la destruction créatrice...[19]


Mais la boucle n'est tout de même pas totalement bouclée, et je voudrais ajouter une piste, d'ordre moins directement politique. Peut-être des éléments intéressants sont-ils à trouver dans l'œuvre de Marcel Mauss : neveu de Durkheim, ethnologue promoteur d'un "homme total", c'est-à-dire connu à la fois sous toutes ses dimensions, ce qui m'évoque à la fois le sens de la totalité de M. Voyer et la faculté de M. Badiou à concilier des pensées si parfois antagonistes... : peut-être les idées de M. Mauss peuvent-elles contribuer à jeter un nouvel éclairage sur ces questions. On remarquera d'ailleurs de nombreux passages presque hégéliens sur la lutte pour la reconnaissance dans le fameux Essai sur le don (1925). Une des questions serait de savoir si M. Mauss tient de bout en bout sa totalité de l'homme ou s'il la dissout dans un esprit pluri-disciplinaire "moderne". Et je découvre que dans un texte sur Marx (1963) Kostas Papaioannou consacre un passage au thème de "l'homme total"... A suivre, donc.




Notes.


1.
On trouvera en bibliographie (commentée) les références des différents textes cités. Je me contenterai dans le corps du texte de citer les textes par leurs dates, sans préciser, sauf ambiguïté, leur auteur.


2.
"Halte-tu-serres", comme dit M. Voyer...


3.
"...maoïsme français qui fut le seul courant politique novateur et conséquent de l'après-Mai 1968.", écrit-il en 1999 (2004, p. 93).


4.
"Ce que nous combattons dans un terroriste, ce n'est pas le terroriste, c'est le militant. Les militants doivent être combattus partout où ils sont, qui qu'ils soient et quoi qu'ils fassent." (1982, p. 163).


5.
Bien que là encore il faille nuancer : je me demande parfois si M. Badiou ne sauve pas par diverses ressources rhétoriques (et la rhétorique des philosophes, ainsi que Saint Paul le disait déjà : "Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie", cette rhétorique séductrice est une saleté), s'il ne sauve pas, disais-je, certains artistes ou intellectuels plus par copinage ou nostalgie que par réel intérêt envers leur œuvre.


6.
Je suis seulement en train de découvrir Marx. Deux citations pour expliciter ce point de vue, toutes deux tirées de la préface au tome II des Œuvres, Gallimard, La pléiade, 1968, toutes deux de l'auteur de cette édition, M. Rubel : "Pour critiquer l'économie politique, il faut la considérer dans son rapport avec toute la société : niveau d'observation qui distingue radicalement la critique marxienne de celle des prédécesseurs." (p. LXV) ; "Pour la même raison, Marx (...) reproche [à Proudhon] d'être resté prisonnier du système bourgeois : "Proudhon supprime l'aliénation économique à l'intérieur de cette aliénation", il n'abandonne ni l'institution de la propriété ni celle du travail salarié." (p. LXVI).


7.
Dans tout exposé il importe de tenir des points pour acquis, même si on les sait par ailleurs sujets à dispute (et intéressants à disputer). Traiter chacun des thèmes que je viens d'exposer dans ce paragraphe serait ici pure et impudente folie. Seul importe de préciser que ce sont en partie ces thèmes qui font pour moi l'intérêt des œuvres de MM. Badiou et Voyer. Je peux bien sûr donner des éclaircissements, qui ne sont pas mon principal sujet. Je reviendrai ceci dit à la fin sur le thème du réformisme.


8.
Notamment : "La pensée n'a pas pour but de haranguer des foules mais de combattre les porteurs salariés de la pensée morte, la police sociale de la pensée, la merde intellectuelle, ce que l'I.S. nommait pudiquement "la culture". Le débat parmi les pauvres, en Iran, en Pologne et ailleurs, sur la nature du monde n'est autre que la réalisation de la philosophie, chère à Marx, la réalisation dans ce monde de ce débat sur la nature du monde qui avait lieu jusque-là dans la philosophie. Pour étouffer ce débat, pour le calomnier et l'empêcher de se reconnaître, l'ennemi déverse sur le monde des tonnes de merde intellectuelle. Si donc la pensée peut aider au débat entrepris par les pauvres, c'est d'abord en combattant directement dans la pensée le centre de production de cette merde : le putanat intellectuel et son point d'appui, l'armée de la fausse conscience. Et cela, non en prétendant apporter aux foules la pensée juste, mais beaucoup plus simplement en faisant triompher dans la pensée, contre la merde intellectuelle, l'action entreprise par ces foules dans le monde. Et comme nous disions, le monde fera le reste. C'est déjà bien assez de travail comme cela sans qu'il soit besoin d'aller encore haranguer les foules. Oui, hélas, il semble bien que la théorie, c'est travailler beaucoup." (1982, p. 77).


9.
On remarquera, dans la lignée de ce qu'il écrivait sur le militantisme (note 4), qu'il y loue M. Ben Laden et ses alliés de ne parler qu'au nom d'eux-mêmes.


10.
Le concept de synthèse disjonctive est emprunté à G. Deleuze (cf. Badiou, 1997a, p.36).


11.
Est-il tout à fait hors de propos de citer ici Hegel ? "Cette ratiocination [Räsonnieren] se comporte négativement à l'égard du contenu qu'elle appréhende ; elle sait le réfuter et le réduire à néant ; mais voir ce que le contenu n'est pas, c'est seulement là le négatif ; c'est une limite suprême qui n'est pas capable d'aller au-delà de soi pour avoir un nouveau contenu." (Phénoménologie de l'esprit, 1807, Introduction, trad. J. Hyppolite, 1941).


12.
On attend peut-être ici que je donne ma propre position. Il faut distinguer je crois plusieurs niveaux.

J'ai du respect et même une certaine admiration pour M. Atta et ses camarades pilotes.
J'aime beaucoup le sourire de M. Ben Laden, mais je sais trop peu de choses de lui pour m'en faire vraiment une idée - je ne suis pas sûr que ce soit très important.
Je ne trouve pas que le monde se soit beaucoup amélioré depuis le "11 septembre". Mais il faudrait connaître à la fois le début (les Etats-Unis sont-ils plus ou moins derrière ces événements ?) et la fin de l'histoire... Précisons que disant cela je ne contredis guère M. Voyer, qui s'attache surtout à la signification immédiate de l'attentat contre les Twin Towers. Mais j'écris quatre ans après.


13.
C'est anecdotique, mais on remarquera que Jean-Pierre Voyer a tenu un rôle auprès des éditions Champ libre (il m'est impossible d'être plus précis), qui donc ont publié ce texte, et qu'il y est fait référence à Platon, principale source d'Alain Badiou depuis au moins L'Etre et l'Evénement. Il m'aurait été difficile de trouver une phrase qui réunisse sous plus d'angles mes deux auteurs.


14.
Rendons à César : c'est dans l'Histoire de mes idées philosophiques (1960) de Russell que l'on trouve, en exergue, l'avertissement de Saint Paul cité plus haut. On y trouvera aussi la théorie des types.


15.
La primauté de la communication entraîne en même temps qu'elle se nourrit de l'inexistence de l'économie - "il n'y a pas de faits économiques". Ce thème, un des plus fondamentaux - et les plus discutés - de la pensée de Jean-Pierre Voyer, mérite bien sûr développement, qui n'a pas tout à fait leur place ici [Ajout du 22.01.06 : la fiche retranscrite plus bas aborde quelque peu ce point]. On se contentera de remarquer que M. Badiou, dont les intérêts sont pourtant fort divers, ne semble pas accorder la moindre importance à la "pensée économique".


16.
Ici, il faudrait nuancer, la porte n'a pas à être totalement fermée. Mais il est évident qu'il y a beaucoup de travail à faire avant de penser à un Homme nouveau.


17.
Ce passage et la fin du paragraphe précédent doivent de toute évidence beaucoup aux livres de Jacques Bouveresse. Mais si celui-ci fustige à raison les promesses vides ou tout au moins vagues des idolâtres de la "pensée", on remarquera qu'il ne critique pas M. Badiou avec autant d'à-propos et de précision qu'il ne le fait pour les ouvrages d'un Jean-François Lyotard, d'un Jacques Derrida, ou pour certaines remarques aventureuses de G. Deleuze. Il ne l'aime manifestement pas, mais sent, pour le dire familièrement, que "c'est du solide". Quant à A. Badiou, il ne cite pas nommément, à ma connaissance, M . Bouveresse, mais on sent très clairement qu'il le lit et prend en compte (et lui rend sans doute son peu d'affection).

Par ailleurs, évoquer J. Bouveresse amène à signaler le problème de la philosophie de la perception, qui n'avait pas vraiment sa place ici, à la fois parce que je ne sais pas du tout si M. Badiou s'en est occupé et parce qu'il est en cours de traitement, autant par J. Bouveresse que par J.-P. Voyer, lequel rédigea un premier texte à ce sujet en 1982 (p.115-125) et s'y attaqua de nouveau dans la pour l'heure inachevée Critique de la raison impure (dernier état : septembre 2004). En l'état actuel de mes réflexions, je ferai l'hypothèse que cet inachèvement est lié à la grande difficulté qu'il y a à relier politique et philosophie de la perception, mais cette hypothèse est soumise à au moins deux conditions : que cette Critique reste à jamais inachevée... et que je la relise dans cette optique !


18.
Dont, à toutes fins utiles je peux citer deux autres membres : Sylvain Lazarus (un anthropologue !) et Natacha Michel.


19.
On voit que le réformisme est un sujet secondaire par rapport à cela. J.-P. Voyer le condamne encore dans sa Diatribe..., mais il n'est pas sûr que cette condamnation soit capitale ni irréversible. A ce sujet, on peut signaler le livre de Martin Buber, Utopie et socialisme (1950), qui place aussi le propre de l'homme dans la communication (pp. 226-27) tout en se situant dans une optique plutôt proudhonienne. Et pourtant, tous les efforts de l'auteur pour montrer que ceux que l'on appelle les "socialistes utopiques" étaient sur certains points plus concrets que Marx ou Lénine, s'ils peuvent convaincre ici et là dans quelques domaines précis, ne font qu'amener à penser que toutes les tentatives communautaires, que je prends ici, ainsi que M. Buber lui-même, comme des symboles du réformisme, tant qu'elles resteront isolées (donc pour un certain temps encore...), sont vouées à l'échec. On en revient toujours, en dernière analyse, aux efforts que chacun peut faire sur soi.






Références bibliographiques.

Concernant les deux auteurs qui sont le sujet de ce texte, il n'y avait pas de raison d'être exhaustif, mais de s'efforcer de présenter les ouvrages les plus importants.

A. Badiou :
- L'Etre et l'événement, Seuil, 1988. Cet ouvrage est le livre-somme de l'auteur, je ne l'ai pas (encore) lu. On en trouve résumées et mises à l'épreuve les principales thèses dans la plupart des ouvrages postérieurs.
- Manifeste pour la philosophie, Seuil 1989 - fournit justement une bonne introduction.
- L'éthique. Essai sur la conscience du mal, Hatier, 1993 ; réédition avec préface inédite, Nous, 2003.
- Deleuze. La clameur de l'être, Hachette, 1997a.
- Saint-Paul. La fondation de l'universalisme, PUF, 1997b.
- Court traité d'ontologie transitoire, Seuil, 1998.
- Circonstances, 1, éd. Léo Scheer, 2003 (notamment sur le 11 septembre).
- Circonstances, 2, éd. Léo Scheer, 2004 (notamment sur l'attaque de l'Irak par les Etats-Unis).
- Le siècle, Seuil, 2005.


J.-P. Voyer :
- Une enquête sur la cause et la nature de la misère des gens, Champ libre, 1976, réédité par les Editions anonymes, Strasbourg, 1995.
- Rapport sur l'état des illusions dans notre parti, suivi de Révélations sur le principe du monde, 1981.
- Revue de préhistoire contemporaine, n°1, 1982. Cet ouvrage et le précédent sont les plus fondamentaux de l'auteur. Les trois suivants précisent ses positions.
- Hécatombe, La nuit, 1991.
- L'imbécile de Paris, Editions anonymes, 1995.
- Limites de conversation, Editions anonymes, 1998.
- Diatribe d'un fanatique, Editions anonymes, 2002. Ce texte, écrit peu de temps après le 11 septembre, a depuis été corrigé et complété par l'auteur. Je donne les références selon l'édition imprimée, mais conseille de lire la version amendée (et plus nuancée), disponible sur son site. Comme je l'ai signalé, à partir du 11 septembre et de cette Diatribe, la pensée de M. Voyer se recentre sur la religion et prend ainsi une nouvelle direction - concurremment à la découverte de la philosophie analytique.
La plupart de ces textes ainsi que de plus récents et inédits sur papier sont disponibles sur internet, ainsi que la liste des libraires qui les mettent en vente.


Textes cités ou évoqués :
Hegel : Œuvres politiques, avec une postface de K. Papaioannou, Champ libre, 1977.
K. Papaioannou : De Marx et du marxisme, Gallimard, 1983 (recueil d'articles).
M. Foucault : Les mots et les choses, Gallimard, 1966.
M. Mauss : Essai sur le don, repris dans Sociologie et anthropologie, PUF.
M. Buber : Utopie et socialisme, trad. française chez Aubier-Montaigne, 1977.
B. Russell : Histoire de mes idées philosophiques, 1960, Gallimard.

Bien évidemment, un approfondissement du sujet (m')oblige à lire Platon, Hegel, Marx, Durkheim, des ethnologues tels que Malinowski ou Sahlins... Ceci sans même évoquer des gens comme Gödel ou Cantor.

Un détour par la philosophie analytique s'impose aussi, principalement Frege et Wittgenstein.

En ce qui concerne Jacques Bouveresse, on se reportera, pour notre propos, à deux séries d'ouvrages :

- les textes polémiques : Le philosophe chez les autophages, Minuit, 1984, et Rationalité et cynisme, Minuit, 1985, ainsi que ses vues sur "l'affaire Sokal-Bricmont" : Prodiges et vertiges de l'analogie. De l'abus des belles-lettres dans la pensée, Raisons d'agir, 1999. Il est par ailleurs tout à fait sain pour l'esprit, et pas si éloigné de notre sujet, de lire le livre de A. Sokal et J. Bricmont : Impostures intellectuelles, O. Jacob, 1997. Il faut vraiment tout le talent d'Alain Badiou pour redonner une certaine envie de s'intéresser à quelqu'un comme J. Lacan après cela.

- les deux recueils consacrés à la philosophie de la perception : La perception et le jugement, J. Chambon, 1995 (dont je n'ai lu que l'introduction et le dernier texte, sur Frege) et Phénoménologie, grammaire et sciences cognitives, O. Jacob, 2003 (que je n'ai pas lu).

Il serait utile enfin de faire la part de Philippe Muray, qui à de nombreux égards fait comme un trait d'union entre Alain Badiou et Jean-Pierre Voyer, en passant par Hegel - mais il aurait fallu réécrire tout l'article... P. Muray amène à évoquer au moins une fois le nom de F. Nietzsche, peu cité par J.-P. Voyer - peut-être pourtant son nom est-il venu à l'esprit du lecteur à la découverte de ce texte. Et cette fois-ci je m'arrête !





(Ajout le 19.01.06) Quelques mois après, et sans l'avoir encore relu, je ne me rends pas compte à quel point ce texte reflète mes hésitations concernant Alain Badiou. Mes réticences à son égard se sont plutôt aggravées entretemps, mais pas assez pour que je renonce à le lire et à m'y intéresser. Un échange de propos sur lequel mon ami Fleur bleue a attiré mon attention illustre assez correctement le bien et le mal que l'on peut penser du personnage : le texte est intitulé "Alain Badiou est un abruti", le meilleur commentaire, favorable à Badiou, est signé Abdallah.

(22.01.06) Suite aux mésaventures de la fiche Wikipedia que j'avais consacrée, quelque temps avant la rédaction de ce texte, à M. Voyer, je la retranscris ici, sans autre commentaire.

"Personnage discret, sur lequel on possède peu de renseignements, Jean-Pierre Voyer est avant tout une pensée et un style, dont on ne s'attachera ici qu'à résumer les grandes lignes. Ceci est d'autant plus légitime que les travaux philosophiques et polémiques de M. Voyer sont autant de variations et d'approfondissements sur un thème principal : les conditions et les possibilités de la communication entre les hommes.
Pour M. Voyer, l'humanité commence réellement avec la communication : la satisfaction des besoins reste purement et simplement animale - point de départ de sa critique de Marx, dès la fin des années 70. Etre homme, c'est communiquer, c'est rechercher la reconnaissance (Hegel). Bien qu'il ne s'épanche pas sur la nature de cette communication, et ce d'autant moins qu'il la considère aliénée, M. Voyer évoque notamment Mai 68, période durant laquelle des inconnus pouvaient s'adresser la parole dans la rue et discuter de choses importantes pour eux. Ce point de départ, qui est aussi un foyer de réflexion, peut sembler vague ou trop large, mais c'est lui qui donne aux écrits de M. Voyer leur érudition et leur variété - bien que proche pendant quelques années des situationnistes (ses premiers livres, Reich, mode d'emploi, Introduction à la science de la publicité, et la très belle Enquête sur la cause et la nature de la misère des gens, ont été publiés par G. Lebovici aux éditions Champ libre), M. Voyer, s'il partage avec eux le goût de l'invective, élargit considérablement leur horizon. Il ne s'agit pas de donner des leçons aux autres, encore moins de promouvoir des modèles ou de s'enfermer dans un conformisme sectaire, mais de réfléchir aux rares possibilités d'échanges proprement humains en milieu capitaliste. M. Voyer reprend pour ce faire la controverse entre Marx et Hegel : selon lui, si Marx vit bien les insuffisances idéalistes de la pensée politique de Hegel, il le critiqua au nom d'une vision utilitariste de la condition humaine, en fait la même que celle d'Adam Smith, Ricardo ou J. Stuart Mill, s'interdisant par là-même de poser les conditions d'une véritable émancipation. Une bonne partie du travail de M. Voyer consistera dès lors à dépister cet utilitarisme, chez Marx donc, chez les situationnistes, jusque, à tort ou à raison, dans la pensée d'un Marcel Mauss. Ce travail sera l'occasion d'une fructueuse controverse avec le M.A.U.S.S (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales), reproduite dans Hécatombe. Rétrospectivement, la limite des travaux pourtant bien intentionnés du M.A.U.S.S apparaît clairement : ses collaborateurs ne peuvent se résoudre à accepter l'idée de M. Voyer de l'inexistence de l'économie, ils s'enferrent dans une volonté de conciliation de l'"éthique" et de l'"économique". Car si les hommes en tant qu'hommes ne font que communiquer, si ce qu'ils cherchent est la reconnaissance, il n'y a pas d'économie (au sens d'économie politique), il n'y a, finalement, que de l'affectif, et c'est là, malgré quelques intuitions inverses, une autre limite de Marx - et une autre force de Hegel. Il est absolument impossible de séparer ou de prélever du réel une sphère économique : tout ce que l'on peut faire est de repérer les variations du statut des marchandises à travers les époques (et pour ce faire, Marx peut toujours être un guide précieux).

Bien évidemment, une telle pensée permet tout autant de comprendre les échecs répétés des prédictions des économistes que de relativiser les questions sociale, écologiste ou relatives à la "société du spectacle", mais ce qui est peut-être le plus important est de comprendre qu'il s'agit là d'une pensée de la totalité - qu'il faudra un jour prendre le temps de comparer aux réflexions de Mauss sur "l'homme total". Quoi qu'il en soit, il est logique qu'après le 11 septembre, qu'il accueille comme une manifestation de foi et de confiance dans un monde utilitariste, M. Voyer ait été amené à réévaluer l'œuvre d'un autre penseur de la totalité, passionné par la religion, et par ailleurs lui aussi influencé par Hegel : Emile Durkheim - lequel lui fournit au passage de nouvelles armes, concurrentes à celles qu'il trouve dans la philosophie analytique, et plus précisément chez Frege, contre l'idée de l'existence de "l'économie".

Dans un autre domaine, plus directement polémique, la lecture des lettres d'insultes et d'invectives envoyées par M. Voyer à certaines "putes intellectuelles" depuis la fin des années 70, révèle un remarquable don de détection des arrivistes et des renégats. De Pierre Nora à Bertrand Delanoë en passant par Jacques Attali et Serge July, les charges apparaissent rétrospectivement, quoique fort drôles, plus justes que féroces. D'une façon générale, la grande force des écrits de M. Voyer est de nous parler du monde dans lequel nous vivons. Si ce que les hommes cherchent est la communication, il y aura une différence de nature et non de degré entre ceux qui peuvent communiquer plus ou moins librement (car la communication ne peut être vraiment libre que si elle est générale), et ceux qui ne le peuvent pas, et qui ne sont en dernière analyse que des esclaves, le salariat n'étant que la forme moderne de l'esclavage. Un simple regard de chaque salarié sur ce qu'il est effectivement libre de faire ou de ne pas faire devrait confirmer pleinement un tel diagnostic, dont la simplicité binaire n'est en rien un handicap. Un cadre supérieur est autant un esclave qu'un ouvrier, tous deux peuvent se faire virer du jour au lendemain, aucun d'eux n'a le moindre pouvoir de communiquer. Que l'un vive plus confortablement que l'autre ne change rien à cet état de faits.

Telles sont, indiquées de manière encore générale, les principaux thèmes explorés par M. Voyer. Nous l'avons déjà dit, on ne peut nier qu'ils expriment des vérités que tout un chacun peut ressentir, ce qui n'est pas donné à tous. On ajoutera que par rapport à des pamphlétaires qu'il cite de temps à autre, tels M.-E. Nabe ou P. Muray, les textes de M. Voyer ont le double avantage d'être plus nourris de culture philosophique et scientifique, ce qui veut dire qu'ils offrent une assise conceptuelle plus solide, et de se faire moins d'illusions sur le passé ou sur une quelconque terre promise. Reste qu'un doute demeure, que l'on se propose d'explorer au fil du temps en approfondissant cette fiche : jusqu'où, en bon "hégélien", M. Voyer choisit-il ce qui représente le "négatif" ? Jusqu'à quel point plaque-t-il ses préférences, par ailleurs plus que respectables et intellectuellement très stimulantes, sur ses aperçus historiques ? Un hégélien choisit ses faits, il a raison ; il ne s'en cache pas, on l'en respecte - mais jusqu'où peut-on le suivre dans sa voie ?"

Libellés : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Dérapage.

Un proche m'ayant accusé, je ne sais pourquoi, de me livrer à des « dérapages antisémites », voici, tant qu'à faire, deux petites listes, non exhaustives :

- Karl Marx, Marcel Proust, Emile David Durkheim, Marcel Israël Mauss, Gustav Landauer, Franz Kafka, Martin Buber, Marcel Dalio, Ludwig Wittgenstein, Simone Weil ;

- Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, Alexandre Adler, Jacques Attali, André Glucksmann, Robert et Elisabeth Badinter, Elie Wiesel, Patrick Benguigui Bruel, Simone Veil...

Et une citation, dont je n'ai pas pu vérifier l'authenticité, mais qu'on attribue à Bernanos : "Hitler a déshonoré l'antisémitisme." En tout cas, il a « bien » choisi ses cibles.

Libellés : , ,

vendredi 29 juillet 2005

Emile à l'appui.

Je trouve chez Durkheim des idées proches de celles développées dans le texte précédent - nous sommes en 1893. (Les italiques sont de moi.)

"Ce n'est pas à dire, d'ailleurs, que la conscience commune soit menacée de disparaître totalement. Seulement, elle consiste de plus en plus en des manières de penser et de sentir très générales et très indéterminées, qui laissent la place libre à une multitude croissante de dissidences individuelles. Il y a bien un endroit où elle s'est affermie et précisée, c'est celui par où elle regarde l'individu. A mesure que toutes les autres croyances et toutes les autres pratiques prennent un caractère de moins en moins religieux, l'individu devient l'objet d'une sorte de religion. Nous avons pour la dignité de la personne un culte qui, comme tout culte fort, a déjà ses superstitions. C'est donc bien, si l'on veut, une foi commune ; mais d'abord elle n'est possible que par la ruine des autres, et par conséquent ne saurait produire les mêmes effets que cette multitude de croyances éteintes. Il n'y a pas compensation. De plus, si elle est commune en tant qu'elle est partagée par la communauté, elle est individuelle par son objet. Si elle tourne toutes les volontés vers une même fin, cette fin n'est pas sociale. Elle a donc une situation tout à fait exceptionnelle dans la conscience collective. C'est bien de la société qu'elle tire tout ce qu'elle a de force, mais ce n'est pas à la société qu'elle nous attache : c'est à nous-mêmes. Par conséquent, elle ne constitue pas un lien social véritable." (De la division du travail social, PUF, pp.146-47).

Dans la fin de son livre, Durkheim semblera revenir sur le poids de ces affirmations : une meilleure organisation de la justice sociale pourrait satisfaire tout le monde, la division du travail accomplirait sa fonction, chacun serait à la fois spécialisé, conscient de contribuer au bien de la société et d'être épanoui grâce à elle, et vive l'harmonie. C'est laisser de côté ce problème de la "conscience commune" si nettement posé dans le passage que je viens de citer, ou tout au moins accorder au volontarisme une place subitement plus importante que celle que la sociologie de Durkheim lui laisse d'ordinaire.

D'une façon générale, lire Durkheim après Muray est plus qu'amusant, tant les prévisions du premier, dans l'ensemble assez justes, deviennent erronées ou plus fragiles lorsque on en arrive au monde le plus contemporain, celui que Muray, à tort ou à raison (mais c'est une autre histoire, justement), situe Après l'Histoire. Et bien sûr on retombe alors sur les questions de volontarisme et de possibilités d'action.

Libellés : ,

mardi 26 juillet 2005

L'actualité brûle !

Une citation de Hegel pour commencer :

"L'histoire mondiale n'est pas le terrain du bonheur. Les périodes de bonheur y sont des pages vides ; car ce sont des périodes d'harmonie, des temps sans conflits." Faîtes-en ce que vous voulez.


Je dois mettre en ligne sous peu un texte consacré à Jean-Pierre Voyer et Alain Badiou. Ce qui suit est lié aux idées qui y sont développées (ainsi qu'aux quelques notes que j'ai déposées sur ce blog ces derniers temps), mais je n'arrive pas à trouver les quelques heures consécutives de disponibilité qui me permettront de présenter quelque chose de lisible. L'actualité n'attendant pas, non plus que Voyer, dont le dernier texte sur les attentats à Londres (cf. liens - Voyer I : "Murawiec, penseur de réservoir") tombe si j'ose dire en plein dans mon texte, je mets donc ce soir la charrue avant les bœufs.

La Révolution française a fini de mettre à bas un régime en bien mauvais état. Il y eut alors , d'emblée, deux possibilités. Appelons-les la démocratique et l'émancipatrice. La démocratique, celle des droits de l'homme, celle de 1789, est la bourgeoise, qui allait petit à petit s'imposer. C'est la révolution de l'individu, la révolution utilitariste, que la Restauration n'allait finalement guère contrarier (tant l'on voit bien que l'enjeu de la liberté de la presse n'était pas le plus important) et que le Second Empire allait même soutenir.

L'émancipatrice, à laquelle on peut accoler les noms de Robespierre et Saint-Just, est celle qui veut tout de suite dépasser le stade des "libertés formelles" si justement critiquées par Marx. On sait qu'elle n'y parvint pas. Ces gens-là pourtant avaient pris au sérieux les promesses inscrites dans la Déclaration des droits de l'homme et cherchaient à rendre concrètement possible l'exécution de ces promesses, en tirant de cette volonté toutes les conséquences nécessaires - ils en furent radicalement empêchés. De temps à autre aux XIXème et XXème siècles cette cohérence conceptuelle allait resurgir, en France (la Commune) ou ailleurs (Octobre 17, Makhno, spartakistes...). Pendant ce temps l'ordre bourgeois utilitariste s'installait toujours plus avant dans les coutumes et les mœurs, avec une pause, relative mais pas négligeable du tout dans l'après-deuxième guerre mondiale, quand le poids et le prestige de l'URSS, conjugués au piteux état de la droite, permirent de créer un rapport de forces, certes profondément matérialiste et utilitariste, mais au moins quelque peu empreint de solidarité.

Inutile d'insister sur l'égoïsme actuel. Mais voici que des gens, parfois Anglais, Américains ou Français, mais venus d'ailleurs, se mêlent de nous attaquer - et quelque part, les salopards d'impérialistes que nous sommes ne peuvent leur donner tout à fait tort. Voyer écrit, à raison je crois, que le problème n'est pas tant de savoir comment les affronter que de savoir comment nous affronter nous-mêmes : tant que nous resterons des ordures utilitaristes contentes d'elles - et je rajoute une nouvelle fois : impérialistes -, il n'y a aucune raison que ces gens portés par une ferveur totalisante, unifiante, s'arrêtent de nous dire, de cette brûlante et explosive façon, ce qu'ils pensent de nous.

Fidèle à ses principes, Voyer se garde de nous dire comment. Badiou, plus militant dans l'âme, évoquerait des nécessités d'organisation - mais dans les faits il n'est pas beaucoup plus disert sur le "que faire".

Il est vrai que le problème est inextricable. Nous avons détruit la civilisation de l'Ancien régime, sa religion, ses corporations, ses solidarités, et avons refusé de mettre quelque chose à la place, laissant le capital occuper le terrain, tout-puissant devant des êtres humains d'autant plus démunis concrètement que dans le même temps on les sacralisait philosophiquement et politiquement dans la catégorie de "l'individu". On peut penser pis que pendre en tant que tel de l'Être suprême créé par les Conventionnels, au moins avaient-ils saisi qu'il fallait créer une nouvelle et profonde unité. Mais nous voici bien plus athées que les Français de 1793, n'ayant aucune envie de ressembler aux hurleurs islamistes, ne pouvant revenir en arrière, et plus bloqués que jamais au seuil des voies émancipatrices que nous avions tracées.
Citons Marx : "La classe ouvrière est révolutionnaire, ou elle n'est rien." On peut remplacer "classe ouvrière" par "les salariés", "les dominés", "les esclaves", voire même "les Français" ou "les Occidentaux" si l'on y tient, la question n'a pas tant varié depuis 1865. La seule voie de l'unité est le projet collectif d'émancipation.
Qui ne se crée pas ex nihilo. Mais peut-être que l'ordure sarkozyenne sécuritaire et libérale, la fatuité julyenne et la peur de l'Arabe y contribueront d'une façon harmonieuse, pour un résultat plus intéressant qu'un simple scrutin électoral, quelque réjouissant qu'ait été son résultat. En tout cas, la pente est forte, comme disait l'autre.

Libellés : , , , , , , , ,

lundi 25 juillet 2005

Il n'y a pas d'alternative entre réforme et révolution. Il faut qu'il y ait possibilité de révolution pour que la réforme soit en position d'obtenir autre chose que d'insignifiants hochets. On comprend l'insistance de certains à opposer à tout crin les révolutions, nécessairement "totalitaires", et le réformisme "humain".

Libellés :

vendredi 22 juillet 2005

Paradoxe ?

Si l'existence de l'Union Soviétique, la possibilité d'une alternative au régime capitaliste, la pression que cela faisait peser sur gouvernements occidentaux et capital, ont fait beaucoup pour que les richesses soient, après 1945, mieux redistribuées, ne faudrait-il pas, si l'on tient vraiment à faire de Marx le père du communisme totalitaire, accepter qu'il soit aussi le père d'une sociale-démocratie à peu près efficace ?

Libellés : ,

mercredi 20 juillet 2005

Si à une époque reculée le capital a lâché du lest, c'est parce qu'entre les revendications réformistes et les revendications révolutionnaires il y avait une continuité évidente : ceux que l'on ne satisfaisait pas - que l'on n'achetait pas - risquaient de virer communistes, ce qui dans ce temps-là n'était pas un vain mot, à défaut d'être une définition souhaitable.

Au lieu que maintenant il y a solution de continuité entre les altermondialistes et les "islamistes". Ceux-là ne peuvent s'appuyer sur la peur que ceux-ci provoquent pour faire passer leurs revendications. C'est au contraire cette peur qui justifie de ne pas même prêter attention à ces revendications.

Libellés :

mercredi 13 juillet 2005

On me reproche parfois de trop citer Voyer ou de lire Nabe. Il est possible que je sois influençable, mais quand on voit le portrait des quatre kamikazes de Leeds (Leeds United ! If the kids are united... Live at Leeds !), on se croirait dans la Diatribe d'un fanatique, on a même l'impression que c'est Voyer qui a suggéré ce commentaire de l'oncle de l'un d'eux : "Tout d'un coup, il s'est mis à regarder les infos, à lire les journaux..." Quant à Nabe, j'ai déjà cité son idée comme quoi la réalité était devenue la meilleure et la plus fantaisiste des romancières : vous oseriez appeler un personnage de kamikaze "Sadique Khan" ? La réalité, elle, a osé.

Ceci posé, on peut toujours réfléchir à cette nouveauté que des gens "osent" commettre des attentats-suicides en Europe. Ça fait trembler, car on sait bien, et ce n'est pas l'initiative xénophobe de M. Sarcocuzy de contrôle aux frontières qui va y changer grand-chose (alors même que les kamikazes de Londres étaient Anglais !), que si quelqu'un est prêt à mourir pour tuer, il y arrivera à peu près toujours. Mais peut-être qu'il faut ça pour que "nos" gouvernants se bougent... Je suis trop optimiste : tant qu'ils ne seront pas visés personnellement et que de tels événements peuvent leur donner de quoi redorer leur blason (peut-être se souvient-on que G.W. Bush était devenu un "grand président" le 12 septembre 2001), on ne voit pas en quoi cela les dérangerait vraiment que quelques anonymes se fassent déchiqueter.

(J'allais oublier : en ce 14 juillet, meilleurs vœux à tous les patriotes, Français, Anglais, Irakiens, sud-Américains...)

Libellés : , , ,

mardi 12 juillet 2005

I love America.

God bless John Wayne and Lance Armstrong !

Libellés : ,

jeudi 7 juillet 2005

London's burning...

Au menu de ce jour : rosbif cuit façon hallal !

C. Marker disait que si le cinéma retransmettait les odeurs, jamais plus on ne pourrait faire un film de guerre, tout le monde quitterait la salle.

Libellés :

mercredi 6 juillet 2005

L'amour de Blair.

Certes, que M. Tony Blair ait de quoi pavoiser peut énerver. A la réflexion cependant, n'est-il pas plus réjouissant encore, pour un Français qui supporte quotidiennement leur prétention et leur nullité, de voir MM. Chirac ou Delanoë de nouveau ridiculisés ? Et de surcroît, par quelqu'un qu'ils détestent ? Laissons donc les Anglais se débrouiller avec leur petit chef - qui d'ailleurs a l'air encore plus répugnant quand il pavoise que quand il est en difficulté, et félicitons-nous du désarroi des ordures made in France. (Je laisse complètement de côté la question de savoir à quel point c'est ou non une "bonne chose" d'avoir les Jeux). Et si M. Delanoë a voulu se prostituer pour MM. Lagardère ou Bouygues, on ne va pas non plus le plaindre d'en avoir pris plein le cul pour finir.

Certaines voix s'élèveront sans doute, maintenant que Paris a perdu, pour déplorer que l'on ait mis autant d'argent dans une candidature qui a échoué : peut-être aurait-il fallu dénoncer cela auparavant pour être crédible. De toutes les façons, n'importe quel parisien sait bien que M. Delanoë n'a rien à faire de ses administrés, les sommes investies dans ce petit jeu ne font que le révéler une fois de plus. Allez, ça fera toujours quelques abrutis en moins à Paris dans quelques années...


(Ajout du 7 juillet). D'un point de vue de "politique politicienne", il est possible que M. Delanoë ait perdu hier toute chance d'être, comme on dit, "présidentiable". Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve à ce niveau, mais il y aurait ici une forme de justice. M. Blair est un chinois, c'est-à-dire un terrifiant composé de capitalisme et de stalinisme, mais au moins il prend des décisions explicitement politiques - donner aux riches, niquer les pauvres, tuer les Arabes... M. Delanoë prétend qu'il ne fait pas de politique, ce qui est évidemment absurde - la métamorphose de Montmartre en pays de bobos, par exemple, si ce n'est pas de la politique, et de la politique violente, je ne sais pas ce que c'est. Cela l'amène en tout cas à centrer son action sur des choses aussi secondaires que les J.O., et à s'exposer à voir ruiner ses espoirs personnels par les humeurs et les pots-de-vin de quatre ou cinq notables ventrus et corrompus - à ambitions et méthodes pitoyables, échec ridicule et dérisoire.

Libellés : , , ,