vendredi 7 décembre 2007

Terminologie.

Pour tenter de gagner du temps à l'avenir, définissons ici :

- le syndrome de Constant : confondre une évolution en cours, significative mais pas nécessairement unilatérale ni capitale, avec un processus majeur et irréversible. La plupart du temps, il s'agit de prendre ses désirs pour des réalités, puisqu'on assimile d'autant plus aisément la mutation dont il est question à une nécessité du temps présent, que l'on est heureux de cette mutation, que l'on cherche à ce qu'elle se poursuive, le plus rapidement et avec autant d'ampleur qu'il est possible. Néanmoins, dans le cas de Constant lui-même, les choses étaient plus complexes, et la définition de ce syndrome par conséquent plus "neutre". Ce syndrome est particulièrement actif aujourd'hui chez les libéraux ou néo-libéraux, au nom du "réalisme", ce pourquoi Constant peut bien lui prêter son nom. A l'époque du marxisme triomphant, cela serait apparu plus paradoxal, même si, in fine, la démarche est à peu près la même, avec l'appui de la "science" en plus pour le marxisme.

- le paradoxe de Tocqueville : plus les gens sont libres de faire ce qu'ils veulent, plus ils font la même chose. Comme c'est une des grandes énigmes de la société démocratique dont Tocqueville fut l'un des premiers témoins, je lui attribue la paternité de ce paradoxe que l'on trouve aussi chez Baudelaire (l'originalité banale), voire chez Joseph de Maistre. Derrière cette idée se trouve la question "pourquoi le prestige est-il prestigieux", a fortiori dans une société individualiste.

- le paradoxe de Muray-Wittgenstein : on a plus de chances d'avoir un comportement d'homme libre en posant la règle comme extérieure à soi (la Loi divine, par exemple), ce qui permet dans une certaine mesure de ruser avec elle, qu'en la posant en soi (le protestantisme, la loi morale kantienne), ce qui est une bonne manière d'être en permanence esclave. Ce paradoxe est bien sûr lié au précédent, sans lui être équivalent. J'aurais pu lui donner d'autres noms et abuse un peu, du point de vue conceptuel, en y mêlant Wittgenstein, mais adjoindre son nom à celui de Muray permet de relier des domaines (psychologie, religion, philosophie morale, anthropologie...) en principe disjoints, j'assume donc ce petit coup de force.

- le théorème de Linton : celui-ci est la nouveauté du jour pour les habitués de ce café, il est cité par M. Sahlins (p. 321 de La découverte du vrai Sauvage). La formule générale est : il n'y a pas de culture pure, si ce n'est en droit, du moins en fait, toute culture est le produit de mélanges et d'interactions avec d'autres cultures. L'illustration en est l'Américain moyen décrit en 1936 par Ralph Linton :

après le petit déjeuner, notre brave homme s'installe pour lire les nouvelles du jour "imprimées en caractères inventées par les anciens Sémites, sur un matériau inventé en Chine, par un procédé inventé en Allemagne. En dévorant les comptes rendus des troubles extérieurs, s'il est un bon citoyen conservateur, il remerciera un dieu hébreu dans un langage indo-européen d'avoir fait de lui un Américain cent pour cent."

(Pour parlant que soit cet exemple, on ne le résumera pas aux échanges matériels et linguistiques qu'il évoque, les échanges d'ordre idéologique sont tout aussi concernés : on pourrait ainsi étudier d'où vient la notion de "conservateur" pour un "Américain moyen", par rapport au conservatisme européen.)


J'adjoindrai probablement d'autres remarques synthétiques de ce genre au fil du temps, cela nous fera un point de repère.

- (le 12.01.08) le principe de Kierkegaard est formulé ainsi dans Ou bien... ou bien... (Gallimard, "Tel", p. 45) : "Un seul élément ne peut jamais être le fondement d'une hiérarchie." On en trouve une confirmation éclatante dans Homo Hierarchicus, à propos de la civilisation indienne traditionnelle, dans laquelle différents niveaux de distinction entre les castes étaient à l'oeuvre. La théorie de Dumont de la hiérarchie comme englobement du contraire va dans ce même sens d'une complexité inhérente à cette notion.

Bien sûr, si l'on veut, par exemple, classer les gens du plus grand au plus petit, on contredira ce principe, mais il s'agira alors du degré zéro de la notion de hiérarchie, c'est une hiérarchie purement quantitative - presque un oxymore. Dès que l'on introduit du qualitatif, il y a du complexe, avec plusieurs éléments en jeu et en interaction les uns envers les autres.

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