Le curé de campagne ne fait pas dans la dentelle.
"Sans doute cette jeune fille me croyait-elle fou ? Son regard fuyait le mien, et je croyais voir s’étendre le creux d’ombre de ses joues. — « Oui, ai-je repris, gardez pour d’autres une telle excuse. Je ne suis qu’un pauvre prêtre très indigne et très malheureux. Mais je sais ce que c’est que le péché. Vous ne le savez pas. Tous les péchés se ressemblent, il n’est qu’un seul péché. Je ne vous parle pas un langage obscur ! Ces vérités sont à la portée du plus humble chrétien pourvu qu’il veuille bien les recueillir de nous. Le monde du péché fait face au monde de la grâce ainsi que l’image reflétée d’un paysage, au bord d’une eau noire et profonde. Il y a une communion des saints, il y a aussi une communion des pécheurs. Dans la haine que les pécheurs se portent les uns aux autres, dans le mépris, ils s’unissent, ils s’embrassent, ils s’agrègent, ils se confondent, ils ne seront plus un jour, aux yeux de l’Éternel, que ce lac de boue toujours gluant sur quoi passe et repasse vainement l’immense marée de l’amour divin, la mer de flammes vivantes et rugissantes qui a fécondé le chaos. Qu’êtes-vous pour juger la faute d’autrui ? Qui juge la faute ne fait qu’un avec elle, l’épouse. Et cette femme que vous haïssez, vous vous croyez bien loin d’elle, alors que votre haine et sa faute sont comme deux rejetons d’une même souche. Qu’importent vos querelles ? des gestes, des cris, rien de plus — du vent. La mort, vaille que vaille, vous rendra bientôt à l’immobilité, au silence. Qu’importe, si dès maintenant vous êtes unis dans le mal, pris tous les trois dans le piège du même péché — une même chair pécheresse — compagnons — oui, compagnons ! compagnons pour l’éternité.
Je dois rapporter très inexactement mes propres paroles, car il ne reste rien de précis dans ma mémoire que les mouvements du visage sur lequel je croyais les lire. — « Assez ! » m’a-t-elle dit d’une voix sourde. Les yeux seuls ne demandaient pas grâce. Je n’avais jamais vu, je ne verrai jamais sans doute de visage si dur. Et pourtant je ne sais quel pressentiment m’assurait que c’était là son plus grand et dernier effort contre Dieu, que le péché sortait d’elle. Que parle-t-on de jeunesse, de vieillesse ? Cette face douloureuse était-elle donc la même que j’avais vue quelques semaines plus tôt, presque enfantine ? Je n’aurais su lui donner un âge, et peut-être n’en avait-elle pas, en effet ? L’orgueil n’a pas d’âge."
Et, quelques pages plus loin :
"Dieu ! la révélation de [l’existence de] l’impureté ne serait qu’une épreuve banale si elle ne nous révélait à nous-mêmes…"
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