Séduisant. Vrai ?
Je retrouve par hasard ce texte. Si l'on y met de côté quelques accents pompeux et une saillie bien commode contre la philosophie analytique, il y a me semble-t-il de quoi faire (les italiques sont de l'auteur, j'ai souligné un passage en gras) :
"De quoi en effet se compose notre actualité ? La réduction progressive de la vérité (donc de la pensée) à la forme langagière du jugement, point sur lequel s’accordent l’idéologie analytique anglo-saxonne et la tradition herméneutique (le doublet analytique/herméneutique cadenasse la philosophie académique contemporaine) aboutit à un relativisme culturel et historique qui est aujourd’hui simultanément un thème d’opinion, une motivation "politique" et un cadre de recherche pour les sciences humaines. Les formes extrêmes de ce relativisme, déjà à l’œuvre, prétendent assigner la mathématique elle-même à un ensemble "occidental" auquel on peut faire équivaloir n’importe quel dispositif obscurantiste ou symboliquement dérisoire, pourvu qu’on soit en état de nommer le sous-ensemble humain qui porte ce dispositif, et mieux encore qu’on ait des raisons de croire que ce sous-ensemble est composé de victimes. C’est à l’épreuve de ce croisement entre l’idéologie culturaliste et la conception victimaire de l’homme que succombe tout accès à l’universel, lequel ni ne tolère qu’on l’assigne à une particularité, ni n’entretient de rapport direct avec le statut – dominant ou victimaire – des lieux où en émerge la proposition.
Quel est le réel unificateur de cette promotion de la vertu culturelle des sous-ensembles opprimés, de cet éloge langagier des particularismes communautaires (lesquels renvoient toujours en définitive, outre la langue, à la race, à la nation, à la religion ou au sexe) ? C’est, de toute évidence, l’abstraction monétaire, dont le faux universel s’accommode parfaitement des bigarrures communautaristes. La longue expérience des dictatures communistes aura eu le mérite de montrer que la mondialisation financière, le règne sans partage de l’universalité vide du capital, n’avaient pour ennemi véritable qu’un autre projet universel, même dévoyé et ensanglanté, que seuls Lénine et Mao faisaient réellement peur à qui se proposait de vanter sans restriction les mérites libéraux de l’équivalent général, ou les vertus démocratiques de la communication commerciale. L’effondrement sénile de l’URSS, paradigme des Etats socialistes, a levé provisoirement la peur, déchaîné l’abstraction vide, abaissé la pensée de tous. Et ce n’est certes pas en renonçant à l’universel concret des vérités pour affirmer le droit des "minorités" raciales, religieuses, nationales ou sexuelles, qu’on ralentira la dévastation. Non, nous ne laisserons pas les droits de la vérité-pensée n’avoir pour instances que le monétarisme libre-échangiste et son médiocre pendant politique, le capitalo-parlementarisme, dont le beau mot de "démocratie" couvre de plus en plus mal la misère."
A. Badiou, Saint Paul, 1997.
"De quoi en effet se compose notre actualité ? La réduction progressive de la vérité (donc de la pensée) à la forme langagière du jugement, point sur lequel s’accordent l’idéologie analytique anglo-saxonne et la tradition herméneutique (le doublet analytique/herméneutique cadenasse la philosophie académique contemporaine) aboutit à un relativisme culturel et historique qui est aujourd’hui simultanément un thème d’opinion, une motivation "politique" et un cadre de recherche pour les sciences humaines. Les formes extrêmes de ce relativisme, déjà à l’œuvre, prétendent assigner la mathématique elle-même à un ensemble "occidental" auquel on peut faire équivaloir n’importe quel dispositif obscurantiste ou symboliquement dérisoire, pourvu qu’on soit en état de nommer le sous-ensemble humain qui porte ce dispositif, et mieux encore qu’on ait des raisons de croire que ce sous-ensemble est composé de victimes. C’est à l’épreuve de ce croisement entre l’idéologie culturaliste et la conception victimaire de l’homme que succombe tout accès à l’universel, lequel ni ne tolère qu’on l’assigne à une particularité, ni n’entretient de rapport direct avec le statut – dominant ou victimaire – des lieux où en émerge la proposition.
Quel est le réel unificateur de cette promotion de la vertu culturelle des sous-ensembles opprimés, de cet éloge langagier des particularismes communautaires (lesquels renvoient toujours en définitive, outre la langue, à la race, à la nation, à la religion ou au sexe) ? C’est, de toute évidence, l’abstraction monétaire, dont le faux universel s’accommode parfaitement des bigarrures communautaristes. La longue expérience des dictatures communistes aura eu le mérite de montrer que la mondialisation financière, le règne sans partage de l’universalité vide du capital, n’avaient pour ennemi véritable qu’un autre projet universel, même dévoyé et ensanglanté, que seuls Lénine et Mao faisaient réellement peur à qui se proposait de vanter sans restriction les mérites libéraux de l’équivalent général, ou les vertus démocratiques de la communication commerciale. L’effondrement sénile de l’URSS, paradigme des Etats socialistes, a levé provisoirement la peur, déchaîné l’abstraction vide, abaissé la pensée de tous. Et ce n’est certes pas en renonçant à l’universel concret des vérités pour affirmer le droit des "minorités" raciales, religieuses, nationales ou sexuelles, qu’on ralentira la dévastation. Non, nous ne laisserons pas les droits de la vérité-pensée n’avoir pour instances que le monétarisme libre-échangiste et son médiocre pendant politique, le capitalo-parlementarisme, dont le beau mot de "démocratie" couvre de plus en plus mal la misère."
A. Badiou, Saint Paul, 1997.
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