"La gestion par l'État moderne de ces génocidées en puissance que sont toujours les masses…"
Pas de place pour la plaisanterie aujourd'hui, je reprends le fil des variations murayennes sur Macron et le social-occulto-« libéralisme » hélas si français. Vous vous souvenez peut-être de la brève citation du 14 juillet : "Ce qui commença par le père s'achève par la masse."
Il s'agit évidemment de la théorie freudienne du meurtre du père au début de la civilisation. L'important n'est pas le statut de vérité de cette hypothèse, mais de lier cette façon de penser avec l'essor des masses, de la démographie, du « vouloir-guérir », toutes choses dont nous (enfin, nous, P. Muray, surtout) avons parlé ces dernières semaines. Voici donc la suite du raisonnement :
"Le grand troupeau de la fin et la fin comme troupeau… Voilà le malaise dans la civilisation. Comment se constitue une masse ? Par identification des uns aux autres, répond Freud. Remplacement progressif de l'idéal du moi au profit d'une identification de chaque moi à un même objet ; le tout bien entendu autour du fameux meurtre du père suivi de l'établissement d'une démocratie élémentaire sur la base sacrée du mort vers lequel convergent l'identification et la soumission de la communauté. Il y a une culpabilité obscure bien cachée, il y a un meurtre qui fait la foule, et l'on comprend que celle-ci n'ait aucune envie de se pencher de trop près sur ce qui l'a rendue possible… J'ai toujours trouvé très éclairant que quelqu'un comme Heidegger, cherchant à démontrer que le sens originaire du mot logos n'est pas discours ou parole, mais rassemblement ou collection ou mise ensemble, soit obligé de s'appuyer sur une citation où le rassemblement, la mise en tas et en masse, concernent justement des cadavres. C'est le célèbre passage du Chant XXIX de l'Odyssée où Agamemnon rencontre aux enfers les prétendants tués : « Et je ne sais guère de quelle autre manière on pourrait rassembler (lézaïto), en les cherchant dans toutes la cité, des hommes aussi nobles. » Comme si on ne pouvait recueillir comme masse que ce qui est mort ou se trouve en rapport étroit, direct, avec la mort…
Alors seulement peut-on comprendre la cause secondaire sexuelle : poussée érotique interne visant à unir les hommes, écrit Freud. L'acte manqué par excellence étant le ratage sexuel, l'acte suprêmement réussi sera la réalisation de la fusion dans l'anonymat général. Comme une sorte de prix de consolation que se donnerait l'espèce de temps en temps… Puisqu'on n'arrive décidément pas à faire fusion à deux, il faut bien au moins qu'on y réussisse imaginairement, fantomatiquement, c'est-à-dire à mille, dix mille ou cent mille. (…) Son nom est légion par incapacité à être union. (…) Les États, le pouvoir comme on disait naguère, ne s'occupent que de ce phénomène. Ils n'existent que dans leur rapport au nombre des habitants et c'est pourquoi les revendications ou protestations du nombre sont si inutiles, émanant du nombre qui demande à être informé sur le pouvoir au lieu de chercher à l'être sur le nombre qu'il est. Les États ont à croire et faire croire en surface que tout se passe comme prévu, depuis la nuit des temps, ils s'époumonent donc à réordonner, peser, gérer, comptabiliser, recenser, sonder, encourager ou régler la multiplication. Et de temps en temps à pratiquer des coupes sombres par telle ou telle guerre. Sous ce rapport, leur vocation de base est évidemment génocidaire, c'est la seule liberté d'action, la seule souveraineté qu'ils aient jamais eue puisqu'ils n'ont de sens qu'à exercer leur action sur le nombre."
Je pourrais laisser P. Muray continuer, clarifions plutôt. L'expression « ratage sexuel » suggérerait à un esprit malveillant que l'auteur de Festivus, Festivus était un mauvais baiseur aigri. C'est possible, aucune idée, mais ce n'est pas la question, qui est encore une fois que le sexe n'est pas mystique, n'est pas fusionnel. Il suffit je pense de comparer l'état de sa compagne durant le plaisir avec ce qu'elle peut être le lendemain matin en cas de contrariété, pour comprendre ce que cela signifie. On jouit seul, point-barre, même si ce n'est pas avec n'importe qui (le désir choisir, le désir discrimine, grande incohérence que de vouloir donner de l'importance (trop) au sexe tout en prônant un discours « tolérant », arasant, égalitaire, etc.).
Par ailleurs, l'idée de Muray est que la spécificité du XIXe siècle (ce pourquoi le titre de son livre évoque ce siècle à travers les âges…) vient de qu'il explicite, comme une nouveauté et une promesse bientôt réalisée, les thèmes inconscients de la religion grégaire de l'humanité, de la volonté de l'humanité d'être espèce finalement, d'être unie, harmonieuse, etc., tout ce que contre quoi selon lui le christianisme a lutté, estimant ces espérances aussi artificieuses que dangereuses, pour ce qui dans l'homme et dans l'humanité dépasse justement l'espèce.
Si enfin on relie ces thèmes aux progrès de la médecine et à l'essor démographique au début du XIXe, toutes les conditions sont réunies pour que les individus, qui souhaitent de plus en plus faire masse, et pensent éventuellement, dans certains domaines, que cela favorise leur action ("Tous ensemble, tous ensemble !"), ce qui n'est pas nécessairement faux à tout coup, passent à côté de la contrepartie : l'État aura d'autant plus besoin et d'autant moins scrupule à les traiter comme des ressources humaines, comme des masses statistiques, comme des données chiffrées interchangeables, etc., que c'est, depuis le XIXe donc, selon P. Muray, exactement ce que les gens demandent.
A génocide, génocide et demi : si le premier génocide des temps modernes est tombé sur le peuple le plus singulier qui se trouvait alors en Europe (avec les gitans, qui y ont aussi eu droit), celui qui refusait de se laisser réduire par l'universalisme, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, celui qui en tout cas, assimilation ou pas, persévérait dans son être, ce que l'on appelle la mondialisation, et qui est la continuation au niveau mondial de ce devenir-masse, se manifeste finalement par une suite de petits génocides, si l'on ose l'expression : des attaques contre les cultures nationales (incarnées par des démocrates ou des dictateurs, qu'importe) à l'expansion de l'euthanasie et de l'avortement (on revient à la thématique du « vouloir-guérir »), en passant bien sûr, on retrouve là M. Macron et l'actualité la plus immédiate, à ce qu'il est maintenant convenu d'appeler, et ce n'est pas une mince victoire de l'auteur de la formule (Renaud Camus, rendons à César), le grand remplacement.
Peut-on en tirer une conclusion ? Les thèses de Muray confirment ce que tout le monde peut observer ces dernières années, ce qui est aussi la thèse de D. Cohn-Bendit, retrouvant d'un point de vue laudatif une intuition critique de S. Weil (la christique, pas la génocidée-génocidaire) : en démocratie, ce sont les minorités organisées qui gouvernent. Parce qu'elles font moins masse, justement, parce qu'elles restent plus dans l'ordre du qualitatif - ce qui ne veut pas dire que leurs revendications soient plus justes, rien à voir. Il s'agirait donc d'organiser le lobbying efficace de la majorité silencieuse… sans pour autant se croire plus intelligent qu'elle sur le fond.
Il s'agit évidemment de la théorie freudienne du meurtre du père au début de la civilisation. L'important n'est pas le statut de vérité de cette hypothèse, mais de lier cette façon de penser avec l'essor des masses, de la démographie, du « vouloir-guérir », toutes choses dont nous (enfin, nous, P. Muray, surtout) avons parlé ces dernières semaines. Voici donc la suite du raisonnement :
"Le grand troupeau de la fin et la fin comme troupeau… Voilà le malaise dans la civilisation. Comment se constitue une masse ? Par identification des uns aux autres, répond Freud. Remplacement progressif de l'idéal du moi au profit d'une identification de chaque moi à un même objet ; le tout bien entendu autour du fameux meurtre du père suivi de l'établissement d'une démocratie élémentaire sur la base sacrée du mort vers lequel convergent l'identification et la soumission de la communauté. Il y a une culpabilité obscure bien cachée, il y a un meurtre qui fait la foule, et l'on comprend que celle-ci n'ait aucune envie de se pencher de trop près sur ce qui l'a rendue possible… J'ai toujours trouvé très éclairant que quelqu'un comme Heidegger, cherchant à démontrer que le sens originaire du mot logos n'est pas discours ou parole, mais rassemblement ou collection ou mise ensemble, soit obligé de s'appuyer sur une citation où le rassemblement, la mise en tas et en masse, concernent justement des cadavres. C'est le célèbre passage du Chant XXIX de l'Odyssée où Agamemnon rencontre aux enfers les prétendants tués : « Et je ne sais guère de quelle autre manière on pourrait rassembler (lézaïto), en les cherchant dans toutes la cité, des hommes aussi nobles. » Comme si on ne pouvait recueillir comme masse que ce qui est mort ou se trouve en rapport étroit, direct, avec la mort…
Alors seulement peut-on comprendre la cause secondaire sexuelle : poussée érotique interne visant à unir les hommes, écrit Freud. L'acte manqué par excellence étant le ratage sexuel, l'acte suprêmement réussi sera la réalisation de la fusion dans l'anonymat général. Comme une sorte de prix de consolation que se donnerait l'espèce de temps en temps… Puisqu'on n'arrive décidément pas à faire fusion à deux, il faut bien au moins qu'on y réussisse imaginairement, fantomatiquement, c'est-à-dire à mille, dix mille ou cent mille. (…) Son nom est légion par incapacité à être union. (…) Les États, le pouvoir comme on disait naguère, ne s'occupent que de ce phénomène. Ils n'existent que dans leur rapport au nombre des habitants et c'est pourquoi les revendications ou protestations du nombre sont si inutiles, émanant du nombre qui demande à être informé sur le pouvoir au lieu de chercher à l'être sur le nombre qu'il est. Les États ont à croire et faire croire en surface que tout se passe comme prévu, depuis la nuit des temps, ils s'époumonent donc à réordonner, peser, gérer, comptabiliser, recenser, sonder, encourager ou régler la multiplication. Et de temps en temps à pratiquer des coupes sombres par telle ou telle guerre. Sous ce rapport, leur vocation de base est évidemment génocidaire, c'est la seule liberté d'action, la seule souveraineté qu'ils aient jamais eue puisqu'ils n'ont de sens qu'à exercer leur action sur le nombre."
Je pourrais laisser P. Muray continuer, clarifions plutôt. L'expression « ratage sexuel » suggérerait à un esprit malveillant que l'auteur de Festivus, Festivus était un mauvais baiseur aigri. C'est possible, aucune idée, mais ce n'est pas la question, qui est encore une fois que le sexe n'est pas mystique, n'est pas fusionnel. Il suffit je pense de comparer l'état de sa compagne durant le plaisir avec ce qu'elle peut être le lendemain matin en cas de contrariété, pour comprendre ce que cela signifie. On jouit seul, point-barre, même si ce n'est pas avec n'importe qui (le désir choisir, le désir discrimine, grande incohérence que de vouloir donner de l'importance (trop) au sexe tout en prônant un discours « tolérant », arasant, égalitaire, etc.).
Par ailleurs, l'idée de Muray est que la spécificité du XIXe siècle (ce pourquoi le titre de son livre évoque ce siècle à travers les âges…) vient de qu'il explicite, comme une nouveauté et une promesse bientôt réalisée, les thèmes inconscients de la religion grégaire de l'humanité, de la volonté de l'humanité d'être espèce finalement, d'être unie, harmonieuse, etc., tout ce que contre quoi selon lui le christianisme a lutté, estimant ces espérances aussi artificieuses que dangereuses, pour ce qui dans l'homme et dans l'humanité dépasse justement l'espèce.
Si enfin on relie ces thèmes aux progrès de la médecine et à l'essor démographique au début du XIXe, toutes les conditions sont réunies pour que les individus, qui souhaitent de plus en plus faire masse, et pensent éventuellement, dans certains domaines, que cela favorise leur action ("Tous ensemble, tous ensemble !"), ce qui n'est pas nécessairement faux à tout coup, passent à côté de la contrepartie : l'État aura d'autant plus besoin et d'autant moins scrupule à les traiter comme des ressources humaines, comme des masses statistiques, comme des données chiffrées interchangeables, etc., que c'est, depuis le XIXe donc, selon P. Muray, exactement ce que les gens demandent.
A génocide, génocide et demi : si le premier génocide des temps modernes est tombé sur le peuple le plus singulier qui se trouvait alors en Europe (avec les gitans, qui y ont aussi eu droit), celui qui refusait de se laisser réduire par l'universalisme, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, celui qui en tout cas, assimilation ou pas, persévérait dans son être, ce que l'on appelle la mondialisation, et qui est la continuation au niveau mondial de ce devenir-masse, se manifeste finalement par une suite de petits génocides, si l'on ose l'expression : des attaques contre les cultures nationales (incarnées par des démocrates ou des dictateurs, qu'importe) à l'expansion de l'euthanasie et de l'avortement (on revient à la thématique du « vouloir-guérir »), en passant bien sûr, on retrouve là M. Macron et l'actualité la plus immédiate, à ce qu'il est maintenant convenu d'appeler, et ce n'est pas une mince victoire de l'auteur de la formule (Renaud Camus, rendons à César), le grand remplacement.
Peut-on en tirer une conclusion ? Les thèses de Muray confirment ce que tout le monde peut observer ces dernières années, ce qui est aussi la thèse de D. Cohn-Bendit, retrouvant d'un point de vue laudatif une intuition critique de S. Weil (la christique, pas la génocidée-génocidaire) : en démocratie, ce sont les minorités organisées qui gouvernent. Parce qu'elles font moins masse, justement, parce qu'elles restent plus dans l'ordre du qualitatif - ce qui ne veut pas dire que leurs revendications soient plus justes, rien à voir. Il s'agirait donc d'organiser le lobbying efficace de la majorité silencieuse… sans pour autant se croire plus intelligent qu'elle sur le fond.
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