"Cette sorte d’approfondissement intérieur ne ressemble à aucun autre…"
Le curé de campagne et Bernanos parlent de la prière, voilà bien quelque chose que je ne connais pas, mais :
"Nous nous faisons généralement de la prière une si absurde idée ! Comment ceux qui ne la connaissent guère — peu ou pas — osent-ils en parler avec tant de légèreté ? Un trappiste, un chartreux travaillera des années pour devenir un homme de prière, et le premier étourdi venu prétendra juger de l’effort de toute une vie ! Si la prière était réellement ce qu’ils pensent, une sorte de bavardage, le dialogue d’un maniaque avec son ombre, ou moins encore — une vaine et superstitieuse requête en vue d’obtenir les biens de ce monde, — serait-il croyable que des milliers d’êtres y trouvassent jusqu’à leur dernier jour, je ne dis pas même tant de douceurs — ils se méfient des consolations sensibles mais une dure, forte et plénière joie ! Oh ! sans doute, les savants parlent de suggestion. C’est qu’ils n’ont sûrement jamais vu de ces vieux moines, si réfléchis, si sages, au jugement inflexible, et pourtant tout rayonnants d’entendement et de compassion, d’une humanité si tendre. Par quel miracle ces demi-fous, prisonniers d’un rêve, ces dormeurs éveillés semblent-ils entrer plus avant chaque jour dans l’intelligence des misères d’autrui ? Étrange rêve, singulier opium qui loin de replier l’individu sur lui-même, de l’isoler de ses semblables, le fait solidaire de tous, dans l’esprit de l’universelle charité !
J’ose à peine risquer cette comparaison, je prie qu’on l’excuse, mais peut-être satisfera-t-elle un grand nombre de gens dont on ne peut attendre aucune réflexion personnelle s’ils n’y sont d’abord encouragés par quelque image inattendue qui les déconcerte. Pour avoir quelquefois frappé au hasard, du bout des doigts, les touches d’un piano, un homme sensé se croirait-il autorisé à juger de haut la musique ? Et si telle symphonie de Beethoven, telle fugue de Bach le laisse froid, s’il doit se contenter d’observer sur le visage d’autrui le reflet des hautes délices inaccessibles, n’en accusera-t-il pas que lui-même ?
Hélas ! on en croira sur parole des psychiatres, et l’unanime témoignage des Saints sera tenu pour peu ou pour rien. Ils auront beau soutenir que cette sorte d’approfondissement intérieur ne ressemble à aucun autre, qu’au lieu de nous découvrir à mesure notre propre complexité il aboutit à une soudaine et totale illumination, qu’il débouche dans l’azur, on se contentera de hausser les épaules. Quel homme de prières a-t-il pourtant jamais avoué que la prière l’ait déçu ?"
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