lundi 7 mars 2016

Au Bonnard du jour... (V) Puissance et politesse.

Coincée entre Copé et Valls, la France s'ennuie


Il s'agit aujourd'hui d'une sorte de fable de La Fontaine sur l'envie, laquelle n'est pas pour rien classée parmi les péchés capitaux. Je ferai plus âpre une prochaine fois, même s'il suffit de savoir lire entre les lignes pour comprendre ce que je peux avoir en tête en vous faisant partager la connaissance de ce texte plutôt léger mais si tristement actuel. Bonne lecture !


"C'est une injustice de prétendre que les députés ne font rien. Il est vrai qu'ils ne s'occupent guère des périls qui nous pressent, mais ils sentent qu'il faudrait prendre des décisions, et ils veulent les prendre sur d'autres sujets. L'un d'eux propose que tous ceux qui font précéder leur nom d'un titre nobiliaire soient sujets à une taxe ; un autre, plus radical, demande que la mention de ces titres soit interdite dans tous les actes publics. Quels réformateurs ! Au moment où tant de dangers menacent l'État et les particuliers, quand des questions énormes semblent s'imposer aux législateurs, n'est-ce pas une belle chose qu'il en y ait pour s'inquiéter à l'idée qu'il existe encore des ducs et des princes ? Quelle impatience pour ce qui n'importe pas ! Quelle indifférence pour ce qui presse !

En vérité, on reconnaîtra là un nouveau trait de cette haine du passé de la France que nous avons, quant à nous, tant de peine à comprendre, et même à concevoir. En quoi un beau nom et un beau titre peuvent-ils blesser une âme qui a le bonheur de n'être pas née envieuse ? Nous voyons encore, sur ces noms dorés, sourire le génie noble et aimable de l'ancienne France. Ils la rapprochent de nous, ils parlent d'autant plus à notre imagination qu'ils nous rappellent moins des illustrations particulières que tout un monde à la fois illustre et léger, où la politesse était comme la pudeur de la puissance, un temps où le sceptre de la France ne pesait pas plus à l'Europe qu'un rayon. Et comme ces titres ne s'accompagnent plus d'aucun avantage matériel, on ne voit guère par où ils peuvent irriter l'envie. Ils sont les restes fragiles, à la fois pompeux et vains, d'un passé qui devrait être cher à tous les Français. De quels sentiments faut-il être animé, pour avoir envie de briser ces vases de verre ?

Si encore il s'agissait de revenir à une simplicité spartiate, j'avoue que, pour ma part, ces mesures ne me plairaient pas davantage, car je préfère à cette simplicité des rapports plus subtils : mais j'admirerais peut-être ces législateurs vertueux. Mais ce n'est pas du tout à cela que nous tendons. Jamais la vanité des individus n'a été plus vive, et le monde de la politique n'est pas l'endroit où elle se montre le moins. Les gens qui gouvernent n'ont pas toujours beaucoup de tenue : mais, s'ils sont souvent débraillés, ils ne sont presque jamais simples. Ceux qui ont été ministres quelques jours en gardent le nom toute leur vie. Presque tous les autres sont présidents, sans qu'on sache toujours ce qu'ils ont présidé. Beaucoup soudent leur prénom à leur nom, pour n'être pas confondus avec le vulgaire. Va-t-on taxer aussi ce trait d'union ? En vérité, si les Français sont à ce point égalitaires, c'est précisément parce que chacun d'eux brûle de prendre l'avantage sur les autres. L'égalité, pour eux, c'est le départ de la course. Ils veulent être égaux pour commencer : ce sont des égalitaires perpétuellement avides de distinction. Napoléon avait bien vu cela ; il s'était fait sur le caractère des Français quelques idées très justes, sinon très subtiles, grâce auxquelles il avait sur eux une prise extrêmement forte. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas au moment où la vanité individuelle se manifeste en tant de façons et où tant d'autres soins requièrent les faiseurs de lois, qu'il s'agit de faire la guerre aux vieux titres. Ils nous rappellent un temps où la France était très grande, et, si extraordinaire que cela paraisse, sans qu'il y eût en France de politiciens." ("Les vases de verre", in Le Solitaire du Toit, pp. 83-86)

"Où le sceptre de la France ne pesait pas plus à l'Europe qu'un rayon..." : Abel pousse un peu. Ach, à l'heure où certains Caïn nous rejouent, sur le mode moderne, la France juive, ce n'est pas bien grave. La démocratie, c'est moderne, la démocratie c'est à la fois la dictature et la voie vers la dictature, la démocratie, c'est l'enfer. A bientôt !


On a le désir qu'on mérite