mardi 14 février 2017

"Ici, les mots trompent..." Les Lumières, ou le règne de l'irréalisme, suite.

"Ici les mots trompent : par le mot « naturel », les philosophes du XVIIIe siècle et leurs continuateurs désignent des revendications « abstraites » fondées sur le refus d'accepter les différences sociales entre les hommes (c'est-à-dire pratiquement une certaine hiérarchie sociale, un certain ordre). Par « positif » on entend au contraire le droit ou la religion avec son contenu historique, situé dans l'espace et dans le temps. De sorte que (par exemple) la religion « naturelle » entendue au sens du XVIIIe siècle est, avant tout, une religion qui n'existe pas, et la religion positive, c'est le catholicisme pour les catholiques, et les diverses confessions chrétiennes pour ceux qui y ont été nourris. Cette « nature » a pour particularité de ne pas exister et et d'être posée pour répondre à une exigence de la « raison ». Contrairement au sens courant de ce mot, serait alors naturel ce qui n'est pas, mais serait conforme à certaines exigences existant dans l'« Homme ». Burke prend agressivement parti pour le « positif » contre le « naturel. » Ces partisans de la « nature » lui apparaissent comme des destructeurs, des hommes qui détruisent ce qui est au nom de ce qui n'est pas. Ces anglomanes (les intellectuels français ne l'étaient d'ailleurs pas tous, tant s'en fallait) en fait s'opposent sans le savoir à l'esprit de cette constitution anglaise dont ils se réclament, puisqu'ils n'ont pas compris que ce n'était pas une constitution, mais une coutume ; mais il est vrai qu'en voulant s'approprier la « coutume » des autres, on en fait une constitution. Il ne faut pas tant s'étonner, dès lors, que les mesures changent de sens, et que ce qui était liberté en-deçà de la Manche devienne tyrannie au-delà, puisque c'est alors une idée de la liberté qu'il faut imposer du dehors à une communauté historique qui ne l'a pas tirée d'elle-même. Pour résister à leurs ennemis du dehors et du dedans, ceux qui étaient tellement dévoués à la liberté qu'ils prétendaient l'imposer à tout le monde, ébauchent - c'est la Terreur - le premier projet d'un étatisme totalitaire. (Note de AMG : les totalitarismes français et russe furent donc le fruit d'une sorte d'immigration conceptuelle. Pour l'Allemagne, c'est moins vrai. Mais il y a la question de la rivalité mimétique avec le peuple élu juif : les nazis ont emprunté à leurs Juifs, réels ou fantasmés, certains de leurs critères moraux et religieux.) Cette liberté qui n'est pas organiquement sortie de l'histoire est ombrageuse, inquiète d'elle-même, toujours en proie aux soupçons, et elle tue pour se rassurer, pour que les hommes de demain (puisque aujourd'hui, il y a tant de « méchants » et de « fripons ») soient libres."

Jules Monnerot, en grande forme. On ne trouve pas un livre de lui dans les bibliothèques municipales parisiennes, qui sont pourtant, prises dans leur ensemble, très bien fournies.