lundi 1 août 2005

L'unité dans la lutte.

Un peu par curiosité, un peu pour saisir une éventuelle occasion de dire du mal de quelqu'un, j'ai lu La pensée tiède de Perry Anderson, un essai sur la décadence française, paru accompagné, on le sait peut-être, d'une réponse de P. Nora dans le même livre - histoire de colmater au plus vite la brèche. Finalement, il n'y a pas grand-chose à dire sur ces textes, qui n'excitent que Le monde diplomatique, d'autant que malheureusement M. Anderson, s'il déplore le manque d'ouverture des "élites" intellectuelles françaises sur l'étranger, ne cite pas beaucoup de noms d'auteurs à découvrir. Tant pis !

En revanche, je profite de l'occasion pour donner ma petite opinion sur "les divisions et les déchirements internes dans lesquels la France s'est débattue et qui ont fait sa hantise" - P. Nora ne remarque pas que c'est très souvent (il y a l'exception de l'après-Fronde) quand les Français se sont foutus sur la gueule qu'ils ont aussi joué un rôle important (pas toujours bon...) dans l'évolution du monde, et que le déclin qu'il stigmatise autant que P. Anderson survient justement en même temps que nous nous étripons moins. A une faible échelle, les controverses sur le TCE n'ont d'ailleurs pas par hasard accompagné un (faible) renouveau de notre rôle politique.

Bref, je ne sais pas s'il y a ou s'il y a eu une unité de la France, mais si tel est ou a été le cas, c'est au moins pour une grande part du fait de notre plaisir à nous disputer. P. Nora donne d'ailleurs une autre piste de recherche, dans un paragraphe qui me séduit d'autant plus que je le lis de manière à peu près inverse à celle dont son auteur l'a écrit :

"Perry Anderson se refuse obstinément à voir que le révolutionnarisme français, tel qu'il se maintient aujourd'hui, est l'expression d'un fondamental et tragique conservatisme français. Ce mélange de Joseph de Maistre et de Robespierre n'a qu'un inconvénient : son irréalité complète et sa nuisance. En empêchant la société française de relever ses vrais défis, il lui interdit de se transformer."


(Ajout le soir) Je reviens sur ces "divisions et déchirements internes dans lesquels la France s'est débattue et qui ont fait sa hantise" : peut-être font-ils surtout la hantise de P. Nora, qui extrapole bien vite de sa position personnelle à celle de tout un pays. Par ailleurs, relisant cette formule, elle m'a fait penser à une du même genre, nettement plus célèbre, ces fameux "mensonges qui nous ont fait tant de mal" qu'un autre grand apôtre de la réconciliation nationale avait stigmatisés à son profit personnel. La magnaminité des vainqueurs de l'heure... La réconciliation chez John Ford, c'était quand même autre chose. D'ici le prochain John Ford, restons donc chez Samuel Fuller - Run of the arrows - ou chez Straub (Non-réconciliés) : voilà de "vrais défis".


(Ajout le 19.09.08) L'après-Fronde n'est pas une exception : la pacification qui se produisit alors est une conséquence de la Fronde, à la fois parce que Louis XIV verrouille son régime, et parce que personne, les vainqueurs comme les vaincus, ne veut voir revenir pareils troubles. Ce que je pensais être un contre-exemple va donc dans le sens de ma thèse.

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