Welcome to the human race ?
J'ai écrit ce brouillon après avoir vu le film Passion de Brian de Palma. Je n'ai jamais réussi à vraiment le finir, il y est fait allusion à un projet de texte sur John Carpenter... qui n'a jamais quitté le stade du projet. Je peux donc en quelque sorte me citer moi-même sans enfreindre les règles de mon quotidien de blogueur de cette année 2017. Il faut simplement resituer le contexte.
Fin décembre 2013, je poste chez le Dr Orlof un commentaire sur la notion de transcendance dans le film de Scorsese, Le loup de Wall Street. Voici ce commentaire :
"Il n'y a pas de rédemption parce que nous sommes ici dans un univers sans transcendance aucune : c'est le pur règne de l'immanence : fric pour le fric, sexe sans visée qui lui soit intégrée. Il y a bien, effectivement, quelques restes de valeurs de solidarité amicale (ou de solidarité de classes, ou de complicité entre malfrats ?) - encore peut-on penser que c'est l'ami de Di Caprio qui donne le billet au FBI, pensant que tout est foutu (c'est juste une hypothèse). C'est à la fois la cohérence et la limite émotionnelle du film. Seuls deux moments rompent quelque peu, mais pas radicalement, avec cette immanence. La scène du métro, contrepoint du "réel" par rapport à l'univers factice dans lequel évolue le personnage principal ; la fin de l'enterrement de sa vie de garçon, quand il déambule, suivi par une caméra en plongée qui pourrait être un point de vue divin, au milieu des corps fatigués de la partouze. Dans les deux cas, c'est assez mineur : une note de social, une échappée vers une sorte de métaphysique burlesque de la touze. Scorcese ne pouvait peut-être pas faire mieux.
"Non récupérable" pouvait être un compliment dans certains contextes : le personnage de Di Caprio ne l'est pas non plus, mais d'une façon négative. On se dit que Scorsese a raison de le suivre ainsi, mais qu'on n'est pas bien avancé non plus. On comprend et on peut en partie adhérer à l'intelligence du projet, tout en ne pouvant s'empêcher d'y voir un certain échec du cinéma, art humain s'il en fut, à donner tout de même - et sans moralisme, cela va sans dire, sauf pour le crétin de Rue89 qui a recensé le film - un point de vue humain sur cette sorte de désir moderne pour l'inhumanité."
Quelques mois plus tard, la vision (tardive) de Passion et la relecture d'un bon texte de L. Maubreuil sur ce film (je ne retrouve pas le lien...), me ramènent à cette réflexion sur le statut vacillant de la transcendance chez les vieux cinéastes italo-catho-américains. Je commence donc le texte que vous allez lire. Je le mets de côté pour le peaufiner, tombe quelque temps plus tard sur une recension par le Dr Orlof d'un film de David Cronenberg, cinéaste pour lequel j'ai nettement moins d'empathie que Scorsese et surtout De Palma, mais qui semble, si j'en crois le Docteur, orienter alors ses recherches dans le même sens qu'eux. Ici, mes souvenirs sont flous : j'imagine que j'ai voulu voir le Cronenberg, ne l'ai pas fait, ai oublié mon projet, etc. Quoi qu'il en soit, voici cette ébauche, que je ne corrige pas :
"Passion c'est le Loup de Wall street de De Palma : pub au lieu de finance, femmes lesbiennes et manipulatrices (et Dieu que ce film est misogyne, d'une certaine manière) au lieu de mâles machos et simplets, et dans les deux cas très peu d'au-delà. Érotisme généralisé chez Brian (dans la première partie du film, la meilleure), bestialité chez Martin : l'un annule l'érotisme (parce qu'il sait ce qui va suivre, contrairement au spectateur, plutôt stimulé au contraire) par une sorte de dilution systématique - en cela bon reflet de ce monde aux sollicitations érotiques, ou se voulant telles, permanentes (mais qui jouit ?) - ; l'autre reste au niveau où il a toujours été, animal, comme l'est la sexualité masculine quand elle ne dialogue pas, si j'ose dire, avec la sexualité féminine. Pour en rester à ce niveau de la sexualité, on pourrait dire que De Palma est plus conscient ici que Scorcese de ce que le monde actuel implique, puisqu'il y a une déperdition, une dilution je le répète, dans et de l'univers érotique de Passion par rapport à d'autres oeuvres de De Palma, qu'elles soient ou non teintées de saphisme (ce qui est régulièrement le cas, tout de même), alors que la libido des traders actuels et celle des mafieux passés n'a rien de bien différent pour Scorsese. En revanche, et bien que je ne sois pas un grand scorsesien, la perte de la transcendance serait plus significative dans l'oeuvre de Martin, dans Le loup… par rapport à ce qui précède, que chez Brian, qui s'est toujours occupé du cinéma avant de penser à la transcendance (noté par moi-même le lendemain : c'est abusif). Ces symétries qui valent ce qu'elles valent aboutissant à la même sensation chez le spectateur, lequel pense que ces deux vieux routiers, enregistrent, dans tous les sens du terme, le même échec du cinéma à avoir un point de vue autre que celui du capitalisme hyperlibéral actuel. Le capitalisme dévore tout, ça n'a pas changé sur le principe depuis Marx, mais il y a de moins en moins de choses à dévorer : nos deux ritals, qui savent ce qu'art veut dire, peuvent encore montrer a contrario la logique destructrice du capitalisme, ils ne peuvent plus semble-t-il, ou semblent-ils le croire, le faire via une oeuvre d'art. La meilleure scène de Passion, qui ne se situe pas dans la meilleure partie du film mais à la couture des deux, est celle du split-screen entre le meurtre et le ballet (L'après-midi d'un faune, oeuvre d'avant-garde scandaleuse du début XXe devenue consensuelle pour les classes aisées, ou comment l'art devient culture), comme l'analyse très bien le Dr. Maubreuil : De Palma nous fait comprendre par la réactualisation de ce procédé qu'il a si bien utilisé dans le passé, qu'il n'a plus rien à dire, de la même manière que le ballet n'ajoute rien au meurtre, et réciproquement, c'est presque un split-screen pour rien, une sorte de comble du maniérisme. Et ce qui suit, qui se suit, justement, avec un léger ennui, en recyclant les techniques qui ont pu nous étourdir dans d'autres films du maître, ce qui suit n'a pas grand intérêt, on se fout totalement de qui est coupable, qui va mourir, qui va savoir quoi, etc. Voilà qui est douloureux : De Palma sait que même les belles lesbiennes, dans le monde actuel, n'ont plus d'intérêt, surtout si elles sont peu morales, ce qui est le minimum syndical pour une belle lesbienne. - Pour Scorsese, je l'ai exprimé ailleurs, c'est à peu près la même chose.
Et finalement, cela renvoie à ce texte que je n'ai jamais écrit, où je me demandais si l'adieu au cinéma que j'ai aimé ne se trouvait pas dans les dernières scènes de L.A. 2013, avec l'extrémisme de Snake Plissken / John Carpenter, et ce "Welcome to the human race" final, qui date déjà d'il y a presque vingt ans. Ce n'est pas que le film soit parfait, il boîte un peu, est un tantinet didactique. Mais Le loup de Wall street et Passion sonnent encore comme des commentaires, ou des addenda, parce qu'il n'est pas (encore) / plus possible de faire autre chose et que Scorsese et De Palma le savent, au voeu de Carpenter/Plissken.
Et bien sûr, en art rien d'impossible, un type va arriver, est arrivé et je ne le connais pas, qui réduit à néant tout ce que j'ai écrit, qui prouve que le cinéma peut être le lieu d'une transcendance plus forte que le réel actuel sans fuir ce réel. Merci de me signaler si ce type existe - mais j'attends les preuves, et elles doivent être solides…"
Fin un peu pompeuse, comme il m'arrive de temps à autre et que j'aurais corrigée si j'avais remis ce texte sur l'ouvrage. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'attendre le Messie, le sauveur, le nouveau prodige ou quoi que ce soit du genre, mais de se demander si le cinéma peut redevenir un art significatif, et ceci de façon positive - pas en servant la soupe du post-modernisme, du fascisme commercial ou du transhumanisme. Ce n'est pas gagné. Je me faisais la réflexion il y a quelque temps qu'il serait à l'heure actuelle tout à fait impossible en France de montrer des Arabes musulmans tels que ceux que mon travail m'oblige à côtoyer tous les jours, lesquels semblent sortis d'un film colonial des années 30 : mielleux, hypocrites, menteurs et un peu cons (moins qu'ils ne le paraissent, mais plus qu'ils ne le croient). Outre qu'il faut trouver les acteurs, ce qui n'est déjà pas gagné, le financement, le visa du CNC, tout ça... n'en parlons pas. Et ceci pour décrire une simple vérité quotidienne, pas pour de grands discours ou des généralités. - Du coup, il est bien possible que la littérature reprenne le relais et le flambeau - Heil Karl Kraus ! - et profite de son statut de plus en plus marginal pour y gagner en liberté de parole. Mais là je parle au lieu de me citer... - et donc je la ferme.
Voilà, à bientôt !
Fin décembre 2013, je poste chez le Dr Orlof un commentaire sur la notion de transcendance dans le film de Scorsese, Le loup de Wall Street. Voici ce commentaire :
"Il n'y a pas de rédemption parce que nous sommes ici dans un univers sans transcendance aucune : c'est le pur règne de l'immanence : fric pour le fric, sexe sans visée qui lui soit intégrée. Il y a bien, effectivement, quelques restes de valeurs de solidarité amicale (ou de solidarité de classes, ou de complicité entre malfrats ?) - encore peut-on penser que c'est l'ami de Di Caprio qui donne le billet au FBI, pensant que tout est foutu (c'est juste une hypothèse). C'est à la fois la cohérence et la limite émotionnelle du film. Seuls deux moments rompent quelque peu, mais pas radicalement, avec cette immanence. La scène du métro, contrepoint du "réel" par rapport à l'univers factice dans lequel évolue le personnage principal ; la fin de l'enterrement de sa vie de garçon, quand il déambule, suivi par une caméra en plongée qui pourrait être un point de vue divin, au milieu des corps fatigués de la partouze. Dans les deux cas, c'est assez mineur : une note de social, une échappée vers une sorte de métaphysique burlesque de la touze. Scorcese ne pouvait peut-être pas faire mieux.
"Non récupérable" pouvait être un compliment dans certains contextes : le personnage de Di Caprio ne l'est pas non plus, mais d'une façon négative. On se dit que Scorsese a raison de le suivre ainsi, mais qu'on n'est pas bien avancé non plus. On comprend et on peut en partie adhérer à l'intelligence du projet, tout en ne pouvant s'empêcher d'y voir un certain échec du cinéma, art humain s'il en fut, à donner tout de même - et sans moralisme, cela va sans dire, sauf pour le crétin de Rue89 qui a recensé le film - un point de vue humain sur cette sorte de désir moderne pour l'inhumanité."
Quelques mois plus tard, la vision (tardive) de Passion et la relecture d'un bon texte de L. Maubreuil sur ce film (je ne retrouve pas le lien...), me ramènent à cette réflexion sur le statut vacillant de la transcendance chez les vieux cinéastes italo-catho-américains. Je commence donc le texte que vous allez lire. Je le mets de côté pour le peaufiner, tombe quelque temps plus tard sur une recension par le Dr Orlof d'un film de David Cronenberg, cinéaste pour lequel j'ai nettement moins d'empathie que Scorsese et surtout De Palma, mais qui semble, si j'en crois le Docteur, orienter alors ses recherches dans le même sens qu'eux. Ici, mes souvenirs sont flous : j'imagine que j'ai voulu voir le Cronenberg, ne l'ai pas fait, ai oublié mon projet, etc. Quoi qu'il en soit, voici cette ébauche, que je ne corrige pas :
"Passion c'est le Loup de Wall street de De Palma : pub au lieu de finance, femmes lesbiennes et manipulatrices (et Dieu que ce film est misogyne, d'une certaine manière) au lieu de mâles machos et simplets, et dans les deux cas très peu d'au-delà. Érotisme généralisé chez Brian (dans la première partie du film, la meilleure), bestialité chez Martin : l'un annule l'érotisme (parce qu'il sait ce qui va suivre, contrairement au spectateur, plutôt stimulé au contraire) par une sorte de dilution systématique - en cela bon reflet de ce monde aux sollicitations érotiques, ou se voulant telles, permanentes (mais qui jouit ?) - ; l'autre reste au niveau où il a toujours été, animal, comme l'est la sexualité masculine quand elle ne dialogue pas, si j'ose dire, avec la sexualité féminine. Pour en rester à ce niveau de la sexualité, on pourrait dire que De Palma est plus conscient ici que Scorcese de ce que le monde actuel implique, puisqu'il y a une déperdition, une dilution je le répète, dans et de l'univers érotique de Passion par rapport à d'autres oeuvres de De Palma, qu'elles soient ou non teintées de saphisme (ce qui est régulièrement le cas, tout de même), alors que la libido des traders actuels et celle des mafieux passés n'a rien de bien différent pour Scorsese. En revanche, et bien que je ne sois pas un grand scorsesien, la perte de la transcendance serait plus significative dans l'oeuvre de Martin, dans Le loup… par rapport à ce qui précède, que chez Brian, qui s'est toujours occupé du cinéma avant de penser à la transcendance (noté par moi-même le lendemain : c'est abusif). Ces symétries qui valent ce qu'elles valent aboutissant à la même sensation chez le spectateur, lequel pense que ces deux vieux routiers, enregistrent, dans tous les sens du terme, le même échec du cinéma à avoir un point de vue autre que celui du capitalisme hyperlibéral actuel. Le capitalisme dévore tout, ça n'a pas changé sur le principe depuis Marx, mais il y a de moins en moins de choses à dévorer : nos deux ritals, qui savent ce qu'art veut dire, peuvent encore montrer a contrario la logique destructrice du capitalisme, ils ne peuvent plus semble-t-il, ou semblent-ils le croire, le faire via une oeuvre d'art. La meilleure scène de Passion, qui ne se situe pas dans la meilleure partie du film mais à la couture des deux, est celle du split-screen entre le meurtre et le ballet (L'après-midi d'un faune, oeuvre d'avant-garde scandaleuse du début XXe devenue consensuelle pour les classes aisées, ou comment l'art devient culture), comme l'analyse très bien le Dr. Maubreuil : De Palma nous fait comprendre par la réactualisation de ce procédé qu'il a si bien utilisé dans le passé, qu'il n'a plus rien à dire, de la même manière que le ballet n'ajoute rien au meurtre, et réciproquement, c'est presque un split-screen pour rien, une sorte de comble du maniérisme. Et ce qui suit, qui se suit, justement, avec un léger ennui, en recyclant les techniques qui ont pu nous étourdir dans d'autres films du maître, ce qui suit n'a pas grand intérêt, on se fout totalement de qui est coupable, qui va mourir, qui va savoir quoi, etc. Voilà qui est douloureux : De Palma sait que même les belles lesbiennes, dans le monde actuel, n'ont plus d'intérêt, surtout si elles sont peu morales, ce qui est le minimum syndical pour une belle lesbienne. - Pour Scorsese, je l'ai exprimé ailleurs, c'est à peu près la même chose.
Et finalement, cela renvoie à ce texte que je n'ai jamais écrit, où je me demandais si l'adieu au cinéma que j'ai aimé ne se trouvait pas dans les dernières scènes de L.A. 2013, avec l'extrémisme de Snake Plissken / John Carpenter, et ce "Welcome to the human race" final, qui date déjà d'il y a presque vingt ans. Ce n'est pas que le film soit parfait, il boîte un peu, est un tantinet didactique. Mais Le loup de Wall street et Passion sonnent encore comme des commentaires, ou des addenda, parce qu'il n'est pas (encore) / plus possible de faire autre chose et que Scorsese et De Palma le savent, au voeu de Carpenter/Plissken.
Et bien sûr, en art rien d'impossible, un type va arriver, est arrivé et je ne le connais pas, qui réduit à néant tout ce que j'ai écrit, qui prouve que le cinéma peut être le lieu d'une transcendance plus forte que le réel actuel sans fuir ce réel. Merci de me signaler si ce type existe - mais j'attends les preuves, et elles doivent être solides…"
Fin un peu pompeuse, comme il m'arrive de temps à autre et que j'aurais corrigée si j'avais remis ce texte sur l'ouvrage. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'attendre le Messie, le sauveur, le nouveau prodige ou quoi que ce soit du genre, mais de se demander si le cinéma peut redevenir un art significatif, et ceci de façon positive - pas en servant la soupe du post-modernisme, du fascisme commercial ou du transhumanisme. Ce n'est pas gagné. Je me faisais la réflexion il y a quelque temps qu'il serait à l'heure actuelle tout à fait impossible en France de montrer des Arabes musulmans tels que ceux que mon travail m'oblige à côtoyer tous les jours, lesquels semblent sortis d'un film colonial des années 30 : mielleux, hypocrites, menteurs et un peu cons (moins qu'ils ne le paraissent, mais plus qu'ils ne le croient). Outre qu'il faut trouver les acteurs, ce qui n'est déjà pas gagné, le financement, le visa du CNC, tout ça... n'en parlons pas. Et ceci pour décrire une simple vérité quotidienne, pas pour de grands discours ou des généralités. - Du coup, il est bien possible que la littérature reprenne le relais et le flambeau - Heil Karl Kraus ! - et profite de son statut de plus en plus marginal pour y gagner en liberté de parole. Mais là je parle au lieu de me citer... - et donc je la ferme.
Voilà, à bientôt !
<< Home