"Il n'y a rien à profaner."
"Mais il n'y a rien à profaner. On a tout mis à la fosse commune en 1793. L'enjeu est aujourd'hui de trouver un lieu refuge pour des personnes qui ont fui la guerre et la misère."
"En appelant des #migrants à profaner la Basilique Saint-Denis, nécropole de nos rois, "La France Insoumise" et l’extrême-gauche démontrent que, dans leur folie immigrationniste, ils sont prêts à piétiner notre civilisation et à profaner un lieu de culte historique. Indigne."
Marine Le Pen, à tort ou à raison, a utilisé le verbe « profaner » au sujet de l'action commune d'étrangers et de membres de la France insoumise à la Basilique Saint-Denis. A quel point, sur Twitter, a-t-elle réfléchi avant d’utiliser ce vocable, je l’ignore, mais il n’est pas indifférent de remarquer que ce terme est depuis vingt ou trente ans - notamment depuis l’affaire de Carpentras, en 1990, elle avait alors 22 ans et son père s’était alors retrouvé malgré lui aux premières loges, il est aisé d’imaginer qu’elle ait pu s’en trouver marquée - réservé, dans notre République en manque de sacré, aux attaques contre les sépultures juives. Des tombes chrétiennes seront « dégradées », des tombes juives sont « profanées ». Dans la Ferme des animaux d’Orwell tous les animaux sont égaux mais certains plus égaux que d’autres ; dans la laïcité républicaine, la religion est censée être une affaire privée, mais certains ont encore droit au sacré public - en leur qualité de victimes pour une grande part.
(Peut-être est-ce là une des causes du masochisme européen actuel : si seules les victimes ont droit à la considération, alors sacrifions nous nous-mêmes pour être des victimes, pour être à nouveau estimés… par qui ? Par nous-mêmes ? Voilà bien une dérisoire pulsion d’orgueil - et une forme subtile quoique grotesque de paternalisme. Par ceux qui profitent de notre masochisme ? Ils auraient bien tort de ne pas nous prendre pour les cons (bizarrement, le sens étymologique me revient soudainement à l’esprit…) que nous sommes.)
Bref, Marine Le Pen a eu du nez en utilisant ce terme (excessif ou non en l’espèce, ce n’est pas la question). Et Clémentine Autain, en commençant sa réponse par "Mais il y a rien à profaner", formule magnifique à de nombreux égards, est d’une sincérité que l’on ne peut que louer. Elle ne voit clairement pas qu’il puisse y avoir quelque chose à profaner à la Basilique Saint-Denis. De toutes façons, ajoute-t-elle, "On a tout mis à la fosse commune en 1793." Provocation, bêtise pure, manque de culture, réflexe gaucho-génocidaire ? Ce n’est qu’un tweet, ne partons pas dans une analyse trop pointue et nécessairement spéculative des motivations de cette si sympathique militante. Au surplus, l’argument qu’elle utilise juste après cette saillie n’est en bonne logique pas stupide : on peut effectivement considérer que sauver des vies humaines « de la guerre et de la misère » est plus important, au moins en situation d’urgence, que de se soucier des tombes qui se trouvent à l’endroit où l’on peut sauver ces victimes qui cherchent un « refuge » .
Le premier problème, c’est que les étrangers (refusez le terme migrant !) que l’on voit sur les images des incidents de la Basilique Saint-Denis n’ont pas précisément l’air d’être à l’article de la mort. Ont-ils même fui « la guerre et de la misère », cela reste à prouver. "Si ce n’est toi, c’est donc ton frère" : il y a chez les esprits militants comme Clémentine Autain, lorsqu’on émet des objections de ce genre, une bizarre inversion de l’attitude du loup dans la fable de La Fontaine (un homme d’avant 1793, horresco referens…) - si ces gens-là ne sont pas vraiment en danger, ou ne sont pas vraiment ce que j’aimerais qu’ils soient (pour avoir une bonne image de moi-même, encore une fois), ce n’est pas grave, il y en a d’autres, quelque part, qui sont comme ça, en attendant ceux-ci font l’affaire. Si eux ne crèvent pas la dalle, d’autres, oui, je ne vais pas chercher plus loin. Le loup cherche un coupable (parce qu’il a faim), Clémentin Autain cherche des victimes (parce qu’elle a faim d’estime d’elle-même ?), "sans autre forme de procès" dans les deux cas. Un peu d’étymologie souligne que cette nouvelle allusion à La Fontaine n’est pas sans fondement : "Provenç. proces, avancement et procès ; espagn. proceso ; ital. processo ; du lat. processus, action de s'avancer, apophyse, progrès, avancement, de processum, supin de procedere, procéder" (30 secondes de Google, ce n’est pas dur). Il ne faut pas mettre la charrue de la pitié avant les boeufs de l’intelligence, il faut procéder pas à pas, recourir à des « formes de procès », histoire de vérifier, dans la mesure du possible et sans être policier, je veux bien, mais en utilisant ses yeux, son cerveau et son expérience, de vérifier à qui l’on a affaire. Mais il est vrai qu’il est plus simple de "tout mettre à la fosse commune", comme en 1793.
Le deuxième problème est plutôt une ambiguïté. Il y a évidemment du sacré pour Clémentine Autain. La souffrance des pauvres, par exemple. Là encore, elle n’a pas tort. Mais sans aller jusqu’à lui conseiller de lire Léon Bloy, pour qui cette souffrance était sacrée et qui a écrit des pages bouleversantes à ce sujet, mais qui a cru qu’« on » n’avait pas tout mis à la fosse commune en 1793, notamment pas Louis XVII, sans lui faire des suggestions aussi évidemment grotesques par rapport à sa vision du monde, on aimerait qu’elle s’interroge sur le pourquoi de cette sacralité, sur le pourquoi de son engagement. Son tweet peut être lu comme un assemblage de naïveté, de bêtise et de haine, mais elle n’en est pas moins ardente à défendre certains combats, et depuis longtemps. Vous me voyez venir : c’est un vieux fond de christianisme qui s’agite en elle, le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles, etc. Tout à fait, mais si l’on veut relever (comme on relève le goût d’une sauce) ces idées qui peut-être ne s’appliquent pas à exactement à la personnalité de Clémentine Autain, il faut à la fois revenir au début de ce texte et élargir le débat. Un esprit religieux - chrétien, juif, musulman, etc. - sait ce qui est sacré et ce qui ne l’est pas, et a au moins une idée des raisons pour lesquelles ceci ou cela est ou n’est pas sacré. (Si c’est de moins en moins vrai des chrétiens, tant pis pour eux…). Un esprit républicain sanctifie d’autant plus les « valeurs » avec lesquelles il nous casse les couilles (avant de nous mettre en tôle ?) qu’il ne sait pas les définir, et nous sert une tambouille où le sacré, le laïque, le conformisme et la volonté d’être anticonformiste (Baudelaire (ou Tocqueville ? googlez…) appelait cela "l’originalité banale") pataugent sur fond de schizophrénie et d’agressivité péremptoire.
Il n’est pas sûr d’ailleurs que Marine Le Pen ait les idées beaucoup plus claires sur ce sujet (sa nièce, en revanche…). Mais si j’élargis le propos, je vais me laisser aller à des considérations anti-républicaines que certes la logique appelle, ce n’est pas Maurras qui me contredira, mais qui ne sont pas toujours bien prises par les républicains - le même Maurras a goûté la prison du pays des Droits de l’Homme avant comme après la Seconde Guerre mondiale, rappelons-le…
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