lundi 30 avril 2018

De la logique avant toute chose, et pour cela préfère (Saint) Thomas…

Un pied de trop dans ce décalque de Verlaine, tant pis. Il est toujours agréable de lire dans le journal (en l’occurrence Le Figaro : cette interview de J. Milblank : http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2018/04/27/31006-20180427ARTFIG00168-john-milbank-le-liberalisme-est-une-erreur-anthropologique.php?redirect_premium), des choses que l’on a écrites ou défendues, soit récemment, soit, sous l’impulsion notamment de Jean-Pierre Voyer, depuis des années. Quelques extraits : 

"Certaines revendications de minorités sexuelles qui réclament l'abolition de la différence entre hommes et femmes et la tentative de dissoudre cette différence dans une identité « transgenre » heurtent profondément le sens commun. On voit là les limites du relativisme. Bien sûr il est difficile d'argumenter contre la logique même de la théorie du genre, mais il est possible par exemple de pointer les contradictions d'un discours hyper relativiste. Par exemple, le discours sécularisé a beaucoup de mal à établir une frontière entre ce qui relève d'une nature donnée ou du choix. On le voit dans le discours « transgenre » qui oscille entre une vision de la sexualité entre pur déterminisme ("je suis né comme ça") et pur choix ("je choisis mon orientation sexuelle"). Cette contradiction apparaît aussi chez les féministes qui défendent l'idée d'une solidarité entre les femmes tout en niant l'idée d'une féminité naturelle qui serait pourtant le liant de cette solidarité. Ce dualisme de la postmodernité, qui distingue entre un pur déterminisme d'un côté, et une pure volonté de l'autre, mène à une impasse. Si on pousse les prémisses postmodernes jusqu'au bout, c'est le chaos."

Note de AMG : ce genre de contradiction logique, j’appuie sur le déterminisme biologique et sur l’idéalisme de la volonté en même temps, selon mon interlocuteur, en niant au passage tout ce qui fait justement le sel de l’existence, à savoir les rapports de l’âme et du corps, ce qu’on appelait à une époque l’incarnation, ce genre de contradiction logique, disais-je, est peut-être ce qu’il y a de plus caractéristique d’un certain milieu intellectuel. Le beurre, l’argent du beurre et la sodomie par le crémier, dirais-je si j’étais capable de grossièreté. 

"Le libéralisme peut vouloir dire beaucoup de choses. C'est avant tout une erreur anthropologique : l'intuition d'Hobbes et de Locke de construire une théorie politique en partant des individus isolés, détachés de tous liens. L'individu est décrit comme une créature inquiète et désirante faisant preuve de volonté, et non plus comme un être constitué par ses liens aux autres ayant des finalités. Ce libéralisme pense de façon abstraite l'individu en dehors de tout contexte culturel, social ou historique."

Note de AMG : comme le disait Jean-Pierre Voyer dans le temps, le libéralisme part de Robinson Crusoé comme modèle de la condition humaine et comme modèle de société, on ne fait pas plus paradoxal ni plus irréaliste. On s’étonne après cela que le capitalisme connaisse des « crises »…

"La démocratie marche seulement si elle est un mode de gouvernement mixte : dans la tradition aristotélo-thomiste, nous pensons qu'un bon régime politique est un mélange de démocratie, d'aristocratie et de monarchie dans un sens technique. Il doit y avoir un rôle pour une élite engagée. Il y a besoin d'une fonction monarchique dans le pouvoir, qui incarne le long terme et la continuité politique, mais aussi la nécessité de l'urgence et de l'exception. Même dans les temps les plus démocratiques, chaque pays a son leader : c'est un fait remarquable, une permanence qui a su résister à la modernité. Mais je pense aussi qu'il faut renouveler les formes locales et informelles de démocratie participative. Tout le monde devrait avoir un rôle dans son quartier, sa rue, son village, son lieu de travail. Dans l'Angleterre médiévale, une personne sur dix avait une sorte de rôle représentatif, aussi minime soit-il: vous pouviez être le « gardien de la bière » de votre village. Contrairement aux apparences, le Moyen-Âge était peut-être plus démocratique qu'aujourd'hui, dans le sens où les gens avaient plus de prise sur la vie ordinaire." 

Tout cela, d’abord sans me rendre compte que cela entrait dans un cadre aristotélo-thomiste, je l’écris depuis le début de ce blog. Il n’est peut-être pas inutile de vous citer ici, une nouvelle fois, un texte de Vincent Descombes (lequel doit connaître mieux, via Wittgenstein, son Aristote que son saint Thomas, personne n’est parfait), qui dit à peu près la même chose - dans un état d’esprit différent, plus moderne - sur cette nécessité, pour mener au quotidien une vie plus démocratique, de ne pas mettre, de ne pas répandre de la démocratie partout : 

"Une chose est de dire que la démocratie et le principe de l'égalité humaine sont des idées très importantes parce qu'ils incarnent ce que l'humanité avait toujours voulu sans le savoir, ce qui est conforme à l'ordre naturel des choses, ce qui va dans le sens de l'histoire ; autre chose est de dire qu'ils sont très importants, mais n'expriment nullement de façon harmonieuse le tout de ce que tous les hommes avaient toujours voulu, le bien universel. Quand la philosophie accepte de se laisser éclairer par l'anthropologie, elle doit même aller plus loin et reconnaître que les valeurs modernes sont parfaitement incompatibles avec d'autres choses importantes et précieuses de la vie humaine, du moins au premier abord et tant qu'on n'a pas introduit toutes sortes de complexités nécessaires. La démocratie, c'est très bien, la famille c'est très bien, mais la famille démocratique, cela n'existe pas. Ce qui peut exister, peut-être, et doit certainement être recherché, c'est la famille dont les membres sortent sur l'agora avec les vertus de caractère d'un citoyen démocratique. Cette famille sera donc démocratique par sa finalité, par son adéquation aux conditions d'une société démocratique, mais pas littéralement par son fonctionnement, car aucune famille ne saurait être conçue sur le modèle d'une société contractuelle, d'un instrument au service d'individus qui ont accepté de coopérer. Même chose pour l'école : elle est l'exemple même d'une condition non démocratique, du moins immédiatement, de la démocratie. De l'école devraient sortir des citoyens prêts à se tenir les uns les autres pour des égaux, mais à l'école elle-même, il est exclu que toutes les opinions aient le même droit à se faire entendre, ou qu'elles soient toutes respectables, ce serait même absurde de le demander. Qui plus est, sans ce passage par une école où tout n'est pas à égalité, les citoyens ne seront pas capables de pratiquer l'autolimitation qui permet de rendre viable l'égalité, que ce soit dans l'exercice de la souveraineté et dans les rapports sociaux."

Je citais ces lignes brillantes en 2006 (http://cafeducommerce.blogspot.fr/2006/08/sociologies-ajouts-le-18-et-le-2108.html#annexe : c’est un texte interminable, ne prenez pas la peine de le lire, je prouve simplement ce que j’avance). Il est rassurant d’un côté, inquiétant de l’autre, que ce qu’écrivait V. Descombes dans une revue spécialisée ou J.-P. Voyer sur son site seulement connu de quelques post-situationnistes comme votre serviteur, soit maintenant dans le Figaro. Ça ne vaut pas encore un référendum sur l’immigration ou un retour massif à la foi de nos pères, mais c’est déjà ça.


Sinon, oui, « gardien de la bière », je pourrais postuler. Avec paiement en nature.