lundi 11 février 2019

Péguy ! "C’est des places, grand Dieu, qu’il faut qui soient tenues..."

"Ses trois enfants qui grandissent tellement.
Pourvu qu’ils ne soient pas malades.
Et qui seront certainement plus grands que lui.
(Comme il en est fier dans son cœur).
Et ses deux gars seront rudement forts.
Ses deux gars le remplaceront, ses enfants tiendront sa place sur la terre.
Quand il n’y sera plus.
Sa place dans la paroisse et sa place dans la forêt.
Sa place dans l’église et sa place dans la maison.
Sa place dans le bourg et sa place dans la vigne.
Et sur la plaine et sur le coteau et dans la vallée.
Sa place dans la chrétienté. Enfin. Quoi.
Sa place d’homme et de chrétien.
Sa place de paroissien, sa place de laboureur.
Sa place de paysan.
Sa place de père.
Sa place de Lorrain et de Français.
Car c’est des places, grand Dieu, qu’il faut qui soient tenues.
Et il faut que tout cela continue.
Quand il n’y sera plus comme à présent.
Sinon mieux.
Il faut que la paysannerie continue.
Et la vigne et le blé et la moisson et la vendange.
Et le labour de la terre.
Et le pâtour des bêtes.
Quand il n’y sera plus comme à présent.
Sinon mieux.
Il faut que la chrétienté continue.
L’Église militante.
Et pour cela il faut qu’il y ait des chrétiens.
Toujours.
Il faut que la paroisse continue.
Il faut que France et que Lorraine continue.
Longtemps après qu’il ne sera plus.
Aussi bien comme à présent.
Sinon mieux.
Il pense avec tendresse à ce temps où il ne sera plus et où ses enfants tiendront sa place.
Sur terre.

Devant Dieu."