"Plus que tout autre homme jamais né de la femme..."
Ceux qui me lisent depuis longtemps - il y en a ! - savent que j’ai beaucoup lu et aimé Durkheim. Les lecteurs plus récents savent que je lis et aime Péguy. Mais je ne connaissais pas le texte assez cruel du second sur le premier. Je le cite cependant moins pour sa vacherie à l’égard du grand Émile que parce que ce que Péguy y dit sur la rigidité d’esprit de certains vis-à-vis de l’imprévisibilité de la Création vaut pour tous les technocrates, francs-maçons, socialistes, macroniens, utopistes et transhumanistes contemporains… (Les coupures ne sont pas de moi, j’ai trouvé ce texte dans une petite anthologie).
"Le maître était dur, maigre, osseux, les yeux flamboyants comme un prophète, tout haussé de sa propre sainteté, entêté, sourcilleux de l’importance capitale qu’il avait ; lui-même il était sa propre, et sa première victime ; c’était un saint laïque ; rongé de travail, épuisé de calcul et de laboratoire, émacié, dyspeptique, il avait l’assurance que plus que tout autre homme jamais né de la femme, il travaillait au bonheur final, à la toute prochaine béatitude, à la fixation, si longtemps attendue, de la décevante humanité. (…) Il referait la création du Créateur, car il faut toujours en revenir là ; et sa Création serait cent fois plus belle, était infiniment plus régulière et plus saisie des mathématiques éternelles que la Création du simple Créateur ; la vieille Création était toute pleine de défauts, pleine des irrégularités les plus apparentes, on lui eût pardonné d’être pleine de malheurs et de deuils si ces malheurs avaient été réguliers, ces deuils uniformes, ces douleurs mathématiques, mais joies et douleurs, morts et naissances, maladies et santés, absences et présences, exils et possessions, maigreurs stériles et fécondités, tout ce vieux premier monde, cette vieille et première Création était un univers de troubles, un monde grouillant d’incertitudes, le refuge des inquiétudes, le palais des illusions, l’asile et comme le repaire d’on ne sait quelles irrégularités voulues ; monde essentiellement insaisissable au mathématicien, peu saisissable au physicien ; (…) un monde qui était un perpétuel et vivant défi aux quiétudes, aux planitudes, au platitudes, aux certitudes, aux ensevelissements scientifiques.
C’était cette création d’inquiétude et d’inconnaissable, cette création de lie et de bouillonnement, cette sotte et cette maîtresse création, cette création de fermentation et de boue, mal arrangée, mal régulière et mal obéissante, cette servante-maîtresse, honteuse et inaccessible, plus maîtresse que servante, plus inconnaissable, en un sens, que Dieu même, c’était cette vieille création du grand Dieu, souillée de sève et de vin, pantelante, vibrante, toute pleine de lait et de sang, qu’il s’agissait de remplacer par mademoiselle la création des sociologues."
Suite et fin demain de ce texte - superbe, je suis tout content de vous en faire profiter -, qui va devenir de plus en plus chestertonien, et dans le dernier paragraphe duquel il est difficile de ne pas noter l’importance du thème de l’alcool - je ne dis pas ça uniquement par islamophobie. Bien à vous !
<< Home