Belles bêtes.
"Notre époque ne produit pas que des terreurs innommables, prises d'otages à la chaîne, réchauffement de la planète, massacres de masse, enlèvements, épidémies inconnues, attentats géants, femmes battues, opérations suicides. Elle a aussi inventé le sourire de Ségolène Royal.
C'est un sourire qui descend du socialisme à la façon dont l'homme descend du cœlacanthe, mais qui monte aussi dans une spirale de mystère vers un état inconnu de l'avenir où il nous attend pour nous consoler de ne plus ressembler à rien.
C'est un sourire tutélaire et symbiotique. Un sourire en forme de giron. C'est le sourire de toutes les mères et la Mère de tous les sourires.
Comment dresser le portrait d'un sourire ? Comment tirer le portrait d'un sourire, surtout quand il vous flanque une peur bleue ?
C'est un sourire près de chez vous, un sourire qui n'hésite pas à descendre dans la rue et à se mêler aux gens. Vous pouvez aussi bien le retrouver, un jour ou l'autre, dans la cour de votre immeuble, en train de traquer de son rayon bleu des encoignures suspectes de vie quotidienne et de balayer des résidus de stéréotypes sexistes, de poncifs machistes ou de clichés anti-féministes. C'est un sourire qui parle tout seul.
Je souris partout est le slogan caché de ce sourire et aussi son programme de gouvernement. C'est un sourire de nettoyage et d'épuration. L'Axe du Bien lui passe par le travers des commissures. Le bien ordinaire comme le Souverain Bien. C'est un sourire de lavage et de rinçage. Et de rédemption. Ce n'est pas le sourire du Bien, c'est le sourire de l'abolition de la dualité tuante et humaine entre Bien et Mal. C'est le sourire que l'époque attendait, et qui dépasse haut la dent l'opposition de la droite et de la gauche, aussi bien que les hauts et les bas de l'ancienne politique.
Un sourire a-t-il d'ailleurs un haut et un bas ? Ce ne serait pas démocratique. Pas davantage que la hiérarchie du paradis et de l'enfer. C'est un sourire qui en finit avec ces vieilles divisions et qui vous aidera à en finir aussi. De futiles observateurs lui prédisent les ors de l'Elysée alors que l'affaire se situe bien au-delà encore, dans un avenir où le problème du chaos du monde sera réglé par la mise en crèche de tout le monde, et les anciens déchirements de la société emballés dans des kilomètres de layette inusable.
Quant à la part maudite, elle aura le droit de s'exprimer, bien sûr, mais seulement aux heures de récréation. Car c'est un sourire qui sait, même s'il ne le sait pas, que l'humanité est parvenue à un stade si grave, si terrible de son évolution qu'on ne peut plus rien faire pour elle sinon la renvoyer globalement et définitivement à la maternelle.
C'est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom.
C'est évidemment le contraire d'un rire. Ce sourire-là n'a jamais ri et ne rira jamais, il n'est pas là pour ça. Ce n'est pas le sourire de la joie, c'est celui qui se lève après la fin du deuil de tout."
- Philippe Muray, "Le sourire à visage humain.", septembre 2004.
(Texte librement condensé par mes soins ; l'original se trouve dans Moderne contre moderne, pp. 201-203).
Philippe Muray est décédé le 2 mars dernier. Sans doute lui consacrerai-je un texte de synthèse dans les semaines à venir. (Le Général, quand les médecins lui dirent qu'il devait arrêter la cigarette, ne pouvant s'y résoudre, finit par annoncer à tous les gens qu'il croisait qu'il avait cessé de fumer : par respect pour son propre personnage, il n'eut alors plus d'autre solution que de conformer son comportement à cette annonce répétée. Je ne suis pas le Général, mon personnage n'a pas la même dignité ; peut-être néanmoins cette annonce publique m'obligera-t-elle à me mettre au travail).
Après Mme Royal, changeons d'air :
C'est autre chose, non ?
<< Home