mercredi 25 juillet 2007

Un constat sur l'individualisme.

Qui ne vient pas de la plume d'un odieux collectiviste, mais de quelqu'un farouchement accroché à son indépendance, W. Gombrowicz :

"Quelle fierté ! Comme si cette liquidation représentait pour moi un terme depuis longtemps souhaité : enfin seul, tout seul, sans personne et rien sauf moi, seul dans les ténèbres absolues... j'étais donc parvenu à mon extrême, j'avais atteint les ténèbres. Amer le terme, amer le goût de la victoire, amer le but ! Mais c'était fier, vertigineux, marqué par la maturité impitoyable de l'esprit, enfin autonome. Et c'était aussi épouvantable et, privé de tout appui, je me sentais en moi comme aux mains d'un monstre capable de tout faire, de tout faire, de tout faire avec moi ! La sécheresse de la fierté. Le gel de la pointe. La sévérité et le vide. Et alors ? Et alors ?"

(La pornographie, [1960], Christian Bourgois, 1980, p. 35).

On remarquera par ailleurs, plus de vingt ans après Ferdydurke, la même métaphore de la boue comme réunion moderne des individus, à un moment où le narrateur, malgré ses préventions initiales ("La nation et tout son cortège de romantismes constituait pour moi une mixture absolument imbuvable, inventée pour mon tourment", p. 140), se prend à croire à la possible existence d'une fraternité dans la résistance (l'action se déroule en 1943 en Pologne ; par ailleurs, Hénia et Karol sont ici les représentants de la jeunesse, que tout par conséquent oppose aux autres personnages, lesquels n'ont pas besoin d'être présentés pour la compréhension de ce qui suit) :

"Toute cette médiocrité romantique, si irritante l'instant d'avant, se dissipa comme par miracle et nous communiâmes tous dans le sentiment que l'union fait la force et la vérité. Nous restions à table, à la façon d'un détachement militaire qui attend les ordres, et envisage l'éventualité d'un combat. La résistance, le combat, l'ennemi... ces mots se chargèrent soudain d'une vérité plus réelle que la vie de tous les jours et firent irruption dans la salle comme un vent frais ; insensibles désormais à la disparité douloureuse de Hénia et de Karol, nous étions tous des frères d'armes. Pourtant cette fraternisation manquait de pureté ! En réalité... elle aussi était insupportable et, pour tout dire, malpropre ! Car, entre nous soit dit, n'étions-nous pas, nous les adultes, quelque peu ridicules et répugnants dans ce combat ? comme on l'est quand on fait l'amour quand on a passé l'âge. Cela cadrait-il avec la maigreur de Frédéric, l'énormité bouffie de Hippo, l'évanescence de sa femme ? Le détachement que nous formions était un détachement de réservistes, et notre union était union dans la décomposition - la mélancolie et le dégoût présidaient à notre fraternisation dans le combat et l'enthousiasme.

Que, malgré tout, l'enthousiasme et la fraternisation fussent encore possibles, je m'en émerveillais par moments. Mais à d'autres moments j'avais envie de crier à Hénia et Karol : ah, partez donc, ne frayez pas avec nous, fuyez notre boue, fuyez notre farce !" (pp. 141-42)


Je vous signale par ailleurs :

- une intéressante analyse (bien qu'un peu lyrique...) des contradictions de la "mondialisation" chez deDefensa ;

- une défense de Défense de l'Occident de Henri Massis, rudement critiqué par R. Guénon dans sa Crise du monde moderne (je n'ai lu ni Massis ni cet article, j'espère qu'il vaut le coup).

A la vôtre, vilains vieux !

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