La réalité est la réalité est la réalité est la réalité...
"L'impossibilité absolue de créer la totalité caractérise l'âme humaine. Pourquoi donc commencer par telle ou telle partie qui nous est née sans nous ressembler, comme si mille étalons fougueux avaient visité la mère de notre enfant ? Ah, c'est seulement pour préserver les apparences de notre paternité que nous devons de toutes nos forces nous rendre semblable à notre oeuvre puisqu'elle ne veut pas se rendre semblable à nous."
"Et toujours l'ennui qui pèse, et sous le poids de l'ennui (...) la réalité se transforme peu à peu en univers de songe, ah, laissez-moi rêver ! Nul ne sait plus ce qui est réel et ce qui est inexistant, où est la vérité et où l'illusion, ce qu'on ressent et ce qu'on ne ressent pas, où est le naturel et où l'artifice, on s'y perd et ce qui devrait être se mêle à ce qui est, chaque catégorie disqualifie l'autre et lui enlève toute justification, oh la grande école d'irréel !"
W. Gombrowicz, Ferdydurke, 1937 ("Folio", pp. 107-108 et 189).
C'est l'été - un été sans nuit, vive le Nord -, on dort, on mange, on dort, on mange (on engraisse donc, participant ainsi au suicide de l'Occident), on papillonne deci-delà, remettant à plus tard, à toujours plus tard, la synthèse magistrale sur le holisme qui renouvellera de fond en comble les sciences humaines en France (ou comment unir Durkheim et Tocqueville, arracher l'amer aristocrate aux griffes des "libéraux" qui croient à l'économie - à propos, avez-vous lu ceci ? Pendant que Sarkozy mouline et encule, d'autres travaillent ; à propos encore, question à M. sarko-aliéné, qui s'y connaît mieux que moi : J.-P. Voyer, maintenant qu'il s'est attaqué à Aristote, doit-il lire Condition de l'homme moderne ?
......................................................................................................
Bref. D'abord, et attendant d'autres explorations clitoridiennes, une remarque liée aux notes précédentes : je découvre que c'est un Turc qui avait commandé L'origine du monde à Gustave Courbet. Il n'y a pas de hasard.
Ensuite, quelques lignes extraites de l'article de Gombrowicz Contre la poésie :
"On pourrait... définir le poète professionnel comme un être qui ne s'exprime pas parce qu'il exprime des vers."
"Il faut de temps à autre stopper la production culturelle pour voir si ce que nous produisons a encore un lien quelconque avec nous."
"Comme les poètes vivent entre eux et qu'entre eux ils façonnent leur style, évitant tout contact avec des milieux différents, ils sont douloureusement sans défense face à ceux qui ne partagent pas leurs crédos. Quand ils se sentent attaqués, la seule chose qu'ils savent faire est affirmer que la poésie est un don des dieux, s'indigner contre le profane ou se lamenter devant la barbarie de notre temps, ce qui, il est vrai, est assez gratuit. Le poète ne s'adresse qu'à celui qui est pénétré de poésie, c'est-à-dire qu'il ne s'adresse qu'au poète, comme un curé qui infligerait un sermon à un autre curé. Et pourtant, pour notre formation, l'ennemi est bien plus important que l'ami. Ce n'est que face à l'ennemi et à lui seul que nous pouvons vérifier pleinement notre raison d'être et il n'est que lui pour nous montrer nos points faibles et nous marquer du sceau de l'universalité."
J'encourage les lecteurs de ce texte à élargir aux écrivains, aux intellectuels, aux hommes politiques, etc., ce que Gombrowicz y écrit sur "l'esprit syndical" des poètes et leur peu de lien avec ce que Baudelaire appelait la "vitalité universelle" - quand bien même, en période de festivisme petit-bourgeois, cette vitalité semblât-elle quelque peu diminuée.
Et à propos d'intellectuels, cherchant via Google le texte, auquel faisait allusion Muray, dans lequel Gombrowicz reproche à la philosophie de "manquer de pantalons et de téléphones", je suis tombé sur cette interview de Marcel Gauchet par Elisabeth Lévy, dont je vous livre quelques fragments. (Un jour je détaillerai ce qui me rapproche et ce qui me sépare de M. Gauchet. Pour être bref, disons que ce monsieur croit à l'Economie, ce qui, pour quelqu'un qui a pratiqué l'ethnologie, peut surprendre. Disons aussi que comme Benjamin Constant, sur lequel il a travaillé, il a tendance à trop vite assimiler le fait et le droit. - Ach, un jour, un jour...)
" - Si le débat intellectuel ne se déroule pas dans les médias, où se passe-t-il ?
- Je suis désolé d'être un peu pessimiste, mais, pour l'essentiel, il ne se passe pas. Une fois qu'on a éliminé le ramdam, le roulement de tambour, l'autopromotion, il n'y a pas grand-chose derrière. L'ambiance dépressive dans la société a son équivalent dans la vie intellectuelle. D'un côté, l'université souffre d'implosion galopante. Il nous reste quelques vieilles gloires, à la retraite depuis longtemps, qu'on est contents de sortir dans les grandes circonstances : nous avons toujours Lévi-Strauss, 95 ans. Derrière, on ne voit pas la relève. Le monde universitaire part en capilotade. D'autre part, la vraie réflexion, en prise sur les questions générales que se posent les citoyens, est très peu représentée dans l'espace public et elle est réfugiée dans les salons, les petits cercles, les sociétés de pensée, les revues qui jouent de ce point de vue un rôle de conservatoire du littoral. Ces réseaux sont extraordinairement minoritaires, très disséminés, mais aussi très vivants. On en trouve un peu partout, et ce qui est frappant, c'est qu'ils ne sont pas formés d'intellectuels certifiés. On retrouve d'ailleurs là le véritable sens du mot « intellectuel » : il ne s'agit pas d'une élite du diplôme, mais de gens qui s'efforcent de réfléchir au-delà de leur métier ou de leur spécialité."
"Les intellos ancienne manière étaient de faux généralistes, souvent de distingués spécialistes dans leur domaine mais qui n'avaient de généraliste que la posture engagée. Si vous êtes pour la révolution mondiale, vous êtes omnicompétent, mais tout ce que vous avez à dire, c'est que vous êtes pour la révolution mondiale. Vous ne savez rien sur rien par ailleurs, comme cela a été abondamment montré. La généralité de la posture masquait l'indigence de la compréhension véritable du monde contemporain. (...) A l'opposé, c'est bien une intelligence générale du monde contemporain qui se cherche au travers de la nébuleuse qui est en train de prendre corps. Cela suppose de croiser des regards très différents, d'abandonner la suffisance de l'expert, de dialoguer avec d'autres que des intellectuels, de mettre en commun des connaissances et des expériences. C'est très important, car qui sont aujourd'hui les spécialistes de la généralité ? Il en existe : les hommes politiques, en charge de prendre des décisions dans des domaines où ils ne connaissent rien."
"Je déteste tout ce que Ken Loach raconte comme intello, mais comme cinéaste il m'apprend quelque chose du monde. S'il regardait ses propres films, il cesserait d'être trotskiste."
"Le système marche tout seul. Sans doute est-il nécessaire de mettre un peu d'huile dans les rouages, mais on n'y peut pas grand-chose. On n'y comprend rien, mais ce n'est pas grave. Essayons de faire en sorte que ça se passe sans trop de casse. Nous assistons à une démission de l'intelligence, liée à la croyance selon laquelle le processus social fonctionne de façon quasi automatique. C'est en ce sens que le moment où nous sommes est profondément libéral.
- Est-ce l'idée même du volontarisme qui apparaît désormais désuète au plus grand nombre ?
- Au total, nous vivons plus riches et plus vieux. Que demander de plus ? Le monde moderne a été porté, jusqu'à une date récente, par une aspiration fondamentale qu'on appelait la démocratie, c'est-à-dire l'idée que l'humanité allait se rendre maîtresse de son destin. Mais finalement, en laissant faire, on se porte aussi bien. Le volontarisme démocratique apparaît dépassé. C'est la chimère du moment. Il continue néanmoins de me paraître préférable à la démission. La gauche elle-même est devenue à sa façon libérale : elle pense qu'il ne faut rien imposer mais améliorer le libéralisme par le fric. Il n'est pas de problème que la subvention bien distribuée ne puisse résoudre. On n'a plus affaire à la « vieille gauche » qui voulait rationaliser le fonctionnement de la société. Désormais, l'objectif est que, moyennant l'injection de subsides sur tous les points sensibles, cela finisse par marcher tout seul. C'est ce qui fait la différence avec le libéralisme de droite qui veut, pour sa part, que chacun se débrouille. Mais, de part et d'autre, on a dans la tête le même schéma du renoncement."
De temps à autre cet auteur, malgré sa réputation, se permet, comme Tocqueville d'ailleurs, des méchancetés fort peu libérales.
Suite au prochain épisode, guidés par Simenon, le clitoris, Renaud Camus...
"Et toujours l'ennui qui pèse, et sous le poids de l'ennui (...) la réalité se transforme peu à peu en univers de songe, ah, laissez-moi rêver ! Nul ne sait plus ce qui est réel et ce qui est inexistant, où est la vérité et où l'illusion, ce qu'on ressent et ce qu'on ne ressent pas, où est le naturel et où l'artifice, on s'y perd et ce qui devrait être se mêle à ce qui est, chaque catégorie disqualifie l'autre et lui enlève toute justification, oh la grande école d'irréel !"
W. Gombrowicz, Ferdydurke, 1937 ("Folio", pp. 107-108 et 189).
C'est l'été - un été sans nuit, vive le Nord -, on dort, on mange, on dort, on mange (on engraisse donc, participant ainsi au suicide de l'Occident), on papillonne deci-delà, remettant à plus tard, à toujours plus tard, la synthèse magistrale sur le holisme qui renouvellera de fond en comble les sciences humaines en France (ou comment unir Durkheim et Tocqueville, arracher l'amer aristocrate aux griffes des "libéraux" qui croient à l'économie - à propos, avez-vous lu ceci ? Pendant que Sarkozy mouline et encule, d'autres travaillent ; à propos encore, question à M. sarko-aliéné, qui s'y connaît mieux que moi : J.-P. Voyer, maintenant qu'il s'est attaqué à Aristote, doit-il lire Condition de l'homme moderne ?
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Bref. D'abord, et attendant d'autres explorations clitoridiennes, une remarque liée aux notes précédentes : je découvre que c'est un Turc qui avait commandé L'origine du monde à Gustave Courbet. Il n'y a pas de hasard.
Ensuite, quelques lignes extraites de l'article de Gombrowicz Contre la poésie :
"On pourrait... définir le poète professionnel comme un être qui ne s'exprime pas parce qu'il exprime des vers."
"Il faut de temps à autre stopper la production culturelle pour voir si ce que nous produisons a encore un lien quelconque avec nous."
"Comme les poètes vivent entre eux et qu'entre eux ils façonnent leur style, évitant tout contact avec des milieux différents, ils sont douloureusement sans défense face à ceux qui ne partagent pas leurs crédos. Quand ils se sentent attaqués, la seule chose qu'ils savent faire est affirmer que la poésie est un don des dieux, s'indigner contre le profane ou se lamenter devant la barbarie de notre temps, ce qui, il est vrai, est assez gratuit. Le poète ne s'adresse qu'à celui qui est pénétré de poésie, c'est-à-dire qu'il ne s'adresse qu'au poète, comme un curé qui infligerait un sermon à un autre curé. Et pourtant, pour notre formation, l'ennemi est bien plus important que l'ami. Ce n'est que face à l'ennemi et à lui seul que nous pouvons vérifier pleinement notre raison d'être et il n'est que lui pour nous montrer nos points faibles et nous marquer du sceau de l'universalité."
J'encourage les lecteurs de ce texte à élargir aux écrivains, aux intellectuels, aux hommes politiques, etc., ce que Gombrowicz y écrit sur "l'esprit syndical" des poètes et leur peu de lien avec ce que Baudelaire appelait la "vitalité universelle" - quand bien même, en période de festivisme petit-bourgeois, cette vitalité semblât-elle quelque peu diminuée.
Et à propos d'intellectuels, cherchant via Google le texte, auquel faisait allusion Muray, dans lequel Gombrowicz reproche à la philosophie de "manquer de pantalons et de téléphones", je suis tombé sur cette interview de Marcel Gauchet par Elisabeth Lévy, dont je vous livre quelques fragments. (Un jour je détaillerai ce qui me rapproche et ce qui me sépare de M. Gauchet. Pour être bref, disons que ce monsieur croit à l'Economie, ce qui, pour quelqu'un qui a pratiqué l'ethnologie, peut surprendre. Disons aussi que comme Benjamin Constant, sur lequel il a travaillé, il a tendance à trop vite assimiler le fait et le droit. - Ach, un jour, un jour...)
" - Si le débat intellectuel ne se déroule pas dans les médias, où se passe-t-il ?
- Je suis désolé d'être un peu pessimiste, mais, pour l'essentiel, il ne se passe pas. Une fois qu'on a éliminé le ramdam, le roulement de tambour, l'autopromotion, il n'y a pas grand-chose derrière. L'ambiance dépressive dans la société a son équivalent dans la vie intellectuelle. D'un côté, l'université souffre d'implosion galopante. Il nous reste quelques vieilles gloires, à la retraite depuis longtemps, qu'on est contents de sortir dans les grandes circonstances : nous avons toujours Lévi-Strauss, 95 ans. Derrière, on ne voit pas la relève. Le monde universitaire part en capilotade. D'autre part, la vraie réflexion, en prise sur les questions générales que se posent les citoyens, est très peu représentée dans l'espace public et elle est réfugiée dans les salons, les petits cercles, les sociétés de pensée, les revues qui jouent de ce point de vue un rôle de conservatoire du littoral. Ces réseaux sont extraordinairement minoritaires, très disséminés, mais aussi très vivants. On en trouve un peu partout, et ce qui est frappant, c'est qu'ils ne sont pas formés d'intellectuels certifiés. On retrouve d'ailleurs là le véritable sens du mot « intellectuel » : il ne s'agit pas d'une élite du diplôme, mais de gens qui s'efforcent de réfléchir au-delà de leur métier ou de leur spécialité."
"Les intellos ancienne manière étaient de faux généralistes, souvent de distingués spécialistes dans leur domaine mais qui n'avaient de généraliste que la posture engagée. Si vous êtes pour la révolution mondiale, vous êtes omnicompétent, mais tout ce que vous avez à dire, c'est que vous êtes pour la révolution mondiale. Vous ne savez rien sur rien par ailleurs, comme cela a été abondamment montré. La généralité de la posture masquait l'indigence de la compréhension véritable du monde contemporain. (...) A l'opposé, c'est bien une intelligence générale du monde contemporain qui se cherche au travers de la nébuleuse qui est en train de prendre corps. Cela suppose de croiser des regards très différents, d'abandonner la suffisance de l'expert, de dialoguer avec d'autres que des intellectuels, de mettre en commun des connaissances et des expériences. C'est très important, car qui sont aujourd'hui les spécialistes de la généralité ? Il en existe : les hommes politiques, en charge de prendre des décisions dans des domaines où ils ne connaissent rien."
"Je déteste tout ce que Ken Loach raconte comme intello, mais comme cinéaste il m'apprend quelque chose du monde. S'il regardait ses propres films, il cesserait d'être trotskiste."
"Le système marche tout seul. Sans doute est-il nécessaire de mettre un peu d'huile dans les rouages, mais on n'y peut pas grand-chose. On n'y comprend rien, mais ce n'est pas grave. Essayons de faire en sorte que ça se passe sans trop de casse. Nous assistons à une démission de l'intelligence, liée à la croyance selon laquelle le processus social fonctionne de façon quasi automatique. C'est en ce sens que le moment où nous sommes est profondément libéral.
- Est-ce l'idée même du volontarisme qui apparaît désormais désuète au plus grand nombre ?
- Au total, nous vivons plus riches et plus vieux. Que demander de plus ? Le monde moderne a été porté, jusqu'à une date récente, par une aspiration fondamentale qu'on appelait la démocratie, c'est-à-dire l'idée que l'humanité allait se rendre maîtresse de son destin. Mais finalement, en laissant faire, on se porte aussi bien. Le volontarisme démocratique apparaît dépassé. C'est la chimère du moment. Il continue néanmoins de me paraître préférable à la démission. La gauche elle-même est devenue à sa façon libérale : elle pense qu'il ne faut rien imposer mais améliorer le libéralisme par le fric. Il n'est pas de problème que la subvention bien distribuée ne puisse résoudre. On n'a plus affaire à la « vieille gauche » qui voulait rationaliser le fonctionnement de la société. Désormais, l'objectif est que, moyennant l'injection de subsides sur tous les points sensibles, cela finisse par marcher tout seul. C'est ce qui fait la différence avec le libéralisme de droite qui veut, pour sa part, que chacun se débrouille. Mais, de part et d'autre, on a dans la tête le même schéma du renoncement."
De temps à autre cet auteur, malgré sa réputation, se permet, comme Tocqueville d'ailleurs, des méchancetés fort peu libérales.
Suite au prochain épisode, guidés par Simenon, le clitoris, Renaud Camus...
Libellés : Arendt, balp, Baudelaire, Constant, Courbet, Durkheim, Gauchet, Gombrowicz, Loach, Muray, R. Camus, Sarkozy, Simenon, Stein, Tocqueville, Voyer
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