vendredi 7 septembre 2007

Bloy, Céline... La charité impitoyable.

Ayler



"Ayler n'est pas un musicien, c'est une énergie."


"Une telle force, une telle violence, une telle agressivité et une telle maladresse réunies pour la beauté la plus réjouie, la splendeur pure d'un état de grâce constant, c'est le but de tout artiste qui a compris qu'on ne le prendrait pas au jeu de la laideur confortable. Péguy lui-même se vantait que dans son oeuvre aucune trace de mal ne subsiste, tous ses vers chantent pour la positivité totale : « Je ne travaille pas dans le péché ; je suis un pécheur, mais il n'y a pas de péché dans mon oeuvre. » Voilà des artistes qui n'ont pas besoin du mal pour créer de grandes choses. Sans sortir de la profondeur mystique d'une âme superbe, ils offrent tout. Leur oeuvre est portée par le mystère d'un saint innocent.

Depuis le romantisme, on croit trouver une certaine virilité indispensable à peindre le mal et ses laideurs. Albert Ayler montre qu'on peut être aussi violent dans les délires positifs de l'exaltation dyonisiaque de Dieu ! Remercier le Seigneur à chaque cri, contre toute détresse, est un acte plus profond que de pleurnicher sur son désespoir.

Son triomphe sur tous les obstacles est un triomphe spirituel. La joie qu'il met à détruire la fausse vie est d'une grandeur insoupçonnable. Il envoie des éclairs de ravissement. Un ange en feu qui tombe sur la terre en riant aux larmes."

""Il prend des airs encore plus éculés que les standards gershwiniens et les triture cruellemment. Les fantômes de ces saucissons blancs reviennent sur nous en état de décomposition. Massacre de bagatelles. Ayler montre ce que les airs occidentaux les plus jolis sont devenus : des zombies vermineux et ridicules. Quelle merveilleuse intelligence d'avoir piqué en Europe les refrains les plus ancrés dans les esprits sans musique et de les avoir transportés dans une négritude effrayante au travers de diminuendo et crescendo éprouvants ! Les thèmes sont simples à retenir, l'improvisation impossible à apprécier. Albert a supprimé le concept de solo sur la mélodie. Il gonfle les chansonnettes les plus connues jusqu'à ce qu'elles explosent, ou les expose et réexpose jusqu'à l'obsession.

Ainsi, les plus pauvres clichés deviennent des trésors de vérité. L'exégèse douloureuse des lieux communs se fait dans une gaieté énorme et brutale."

"On ne devrait pratiquer le christianisme qu'à la façon des Noirs emportés dans les folies du sacré, en nage, embrasés par une grande foi qui y croit encore. Les hurlements de bonheur, les prières égosillées, la frénésie qui s'empare du corps en état de croyance totale sont la seule musique que comprend Dieu ; du fond de son absence, il est sensible à ces témoignages de fougue et d'amour. Dans ces moments-là, le chrétien afro-américain, dans son innocente sauvagerie, fait passer l'église de la névrose à l'hystérie collective. Quoi de plus beau qu'un Noir priant un saint avec une certaine idolâtrie ?

Transposer dans la religion catholique les pratiques païennes est une subversion dont je ne me lasse pas. Comme Ayler portait plus loin les sonneries de chasse à courre ou les chants de Noël, ses ancêtres, ensorcelés par l'Esprit-Saint, transcendaient le christianisme blanc en l'enrichissant de leurs pratiques africaines. Albert Ayler a réveillé ces anachronismes divins. Il semble jouer pour des funérailles interminables. Ses thèmes sont écrits pour célébrer, en grande pompe, la mort de milliers de noirs qui croyaient en la renaissance spirituelle. Sa musique est une musique de cérémonie."


(Librement condensé à partir des plus belles pages du livre de M.-E. Nabe sur Ayler, La Marseillaise.)


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