"La capitulation de la femme."
Travaillant comme je vous l'ai promis la dernière fois à une sorte d'érotique de la crise, je constate ce matin, d'une part qu'il va me falloir encore quelques jours pour en venir à bout, d'autre part que c'est aujourd'hui ce que l'on appelle la journée de la femme. Faisons en sorte, à notre petit comptoir, que ce soit effectivement « sa journée », ai-je donc pensé, au sens où l'on se dit parfois, avec humour noir : "C'est vraiment mon jour."
Voici donc le texte par le biais duquel j'avais décidé d'aborder ce problème (qu'à dessein je ne cherche pas à formuler plus précisément pour l'instant). Comme vous pourrez le constater, il se suffit pleinement à lui-même :
"Dans cet endroit qu'on appelle l'Angleterre, une chose aussi étrange qu'ahurissante s'est produite en cette fin de siècle. Ouvertement et ostensiblement, ce conflit ancestral s'est brusquement et silencieusement terminé ; l'un des deux sexes a soudain capitulé. A l'orée du vingtième siècle, au cours de ces dernières années, la femme a publiquement capitulé devant l'homme. Elle a sérieusement et officiellement reconnu que l'homme avait raison depuis toujours ; que la place publique ou Parlement était, en fait, plus importante que le foyer ; que la politique n'était pas (comme elle l'avait toujours soutenu) une excuse pour boire de la bière, mais une solennité sacrée devant laquelle les nouvelles adoratrices devaient se prosterner ; qu'à la taverne on pourrait non seulement admirer mais envier les patriotes bavards ; que parler n'était pas gaspiller son temps et que, de ce fait, les tavernes n'étaient pas un gaspillage d'argent. Nous les hommes, nous avions fini par par nous habituer à entendre nos épouses, nos mères, nos grands-mères et nos grand'tantes maudire en choeurs éplorés nos passe-temps, qu'ils fussent sport, boisson ou partis politiques. Et voici qu'arrive Miss Pankhurst, les larmes aux yeux : elle reconnaît que les femmes avaient tort et que les hommes avaient raison ; elle implore qu'on l'admette, ne serait-ce que dans la cour, afin qu'elle puisse entrevoir ces exploits masculins que ses soeurs raillent avec tant de légèreté.
Bien sûr, cette évolution des choses nous perturbe et même nous paralyse. Au long de cette vieille guerre entre le foyer et le cabaret, les hommes, comme les femmes, s'étaient laissés aller à des exagérations et des extravagances, sentant qu'il leur fallait préserver l'équilibre. Nous disions à nos épouses que le Parlement s'attardait sur des affaires de toute première importance ; jamais il ne nous était venu à l'esprit qu'elles le croiraient. Nous disions que tout le monde dans le pays devait avoir le droit de vote ; et nos épouses de rétorquer que personne ne devait fumer la pipe au salon. Dans les deux cas, l'idée était la même. « Cela n'a pas grande importance mais si vous laissez faire, ce sera la pagaille. » Nous disions que le pays ne pouvait se passer de Lord Huggins ni de M. Buggins. Nous savions pertinemment que la seule chose dont le pays ne pouvait se passer c'était que les hommes fussent des hommes et les femmes fussent des femmes. Ça, nous le savions ; nous pensions que les femmes le savaient encore mieux que nous ; et nous pensions aussi qu'elles le diraient. Et voici que, sans crier gare, les femmes se sont mises à dire toutes ces inepties auxquelles nous croyions à peine lorsque nous les disions. La noblesse de la politique ; la nécessité des votes ; la nécessité de Huggins ; la nécessité de Buggins ; tout ce courant limpide que nous déversent les lèvres des Suffragettes. Je suppose qu'il y a dans chaque combat, si vieux soit-il, une vague aspiration à vaincre ; mais jamais nous n'avions voulu vaincre les femmes aussi complètement que cela. Nous nous attendions juste à ce qu'elles nous laissent peut-être un peu plus de liberté pour nos sottises ; jamais nous n'aurions cru qu'elles les prendraient au sérieux. C'est pourquoi je suis tout désorienté par la situation actuelle…" (G. K. Chesterton (qui d'autre ?), 1910, Le monde comme il ne va pas, pp. 109-110.)
- Texte fort savoureux, toute la question étant de savoir jusqu'à quel point on peut le prendre à la lettre. Je m'efforcerai, d'ici peu j'espère, de l'interpréter dans le sens le plus légitimiste possible. Bonne journée à toutes et à tous !
Libellés : Chesterton, Pankhurst, Pureblog, Suffragettes
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