Y a-t-il un rapport sexuel ?
"On voit, ce qu'on appelle voir, des choses simples et connues de longue date : le capitalisme n'est qu'un banditisme, irrationnel dans son essence et dévastateur dans son devenir. Il a toujours fait payer quelques courtes décennies de prospérité sauvagement inégalitaires par des crises où disparaissaient des quantités astronomiques de valeur, des expéditions punitives sanglantes dans toutes les zones jugées par lui stratégiques ou menaçantes, et des guerres mondiales où il se refaisait une santé."
"En dépit de tout ce qui en dévalue jour après jour l'autorité, il est certain que le mot « démocratie » reste l'emblème dominant de la société politique contemporaine. Un emblème, c'est l'intouchable d'un système symbolique. Vous pouvez dire ce que vous voulez de la société politique, vous montrer à son égard d'une férocité « critique » sans précédent, dénoncer « l'horreur économique », du moment que vous le faites au nom de la démocratie (dans le genre : « Cette société qui se prétend démocratique, comment peut-elle faire ceci ou cela ? »), vous serez pardonné. Car à la fin, c'est au nom de son emblème, et donc au nom d'elle-même, que vous avez tenté de juger cette société. Vous n'en êtes pas sorti, vous êtes resté son citoyen, comme elle dit, vous n'êtes pas un barbare, on vous retrouvera à votre place démocratiquement fixée, et sans doute, d'abord, aux prochaines élections." (A. Badiou, 2009)
"Non seulement nous sommes moins démocrates que Danton et Condorcet, mais nous sommes, sur bien des points, moins démocrates que Choiseul et Marie-Antoinette. Avant la Révolution, les nobles les plus aisés étaient de petits bourgeois besogneux si on les compare à nos Rothschild ou nos Russell. De par son image publique, la vieille monarchie française était infiniment plus démocratique qu'aucune monarchie contemporaine. Quiconque ou presque, en ayant envie, pouvait pénétrer dans le palais et voir le roi en train de jouer avec ses enfants, ou de se limer les ongles. Le peuple possédait le monarque comme il possède Primrose Hill : on ne peut déplacer la colline, mais on a le droit de se vautrer dessus. La vieille monarchie française reposait sur cet excellent principe qu'un chat pouvait regarder un roi. De nos jours, un chat ne peut regarder un roi, à moins de faire partie de son entourage. La presse jouit de toute liberté, mais elle ne s'en sert que pour aduler le pouvoir. La différence réelle revient (...) à ceci : la tyrannie du dix-huitième siècle signifiait que vous pouviez dire : « Le R*** de Br***rd est un débauché ». La liberté du vingtième siècle signifie, en fait, que vous avez le droit de dire : « Le Roi de Brenford est un père de famille modèle. »"
"La démocratie, au sens humain du terme, n'est pas l'arbitrage de la majorité ; ni même l'arbitrage universel. Il est plus juste de la définir comme l'arbitrage du premier venu. J'entends par là qu'elle repose sur cette habitude de club qui consiste à considérer un parfait étranger comme un prolongement de soi, à assumer que vous avez inévitablement certains points communs. (...) Les règles que vous observeriez devant n'importe quel nouveau-venu dans une taverne, c'est ça la véritable loi anglaise. Le premier passant que vous apercevez par la fenêtre, c'est le roi d'Angleterre. Le déclin des tavernes, qui n'est qu'un aspect du déclin général de la démocratie, a, sans aucun doute, affaibli cet esprit masculin d'égalité. (...) Il est déjà assez triste que des hommes qui jadis se retrouvaient dans la rue ne sachent plus se retrouver que sur le papier ; il est déjà assez triste que les hommes aient pratiquement réduit le suffrage à une fiction."
"Beaucoup peuvent penser que j'écarte trop rapidement la proposition d'accorder le droit de vote aux femmes, même si la plupart d'entre elles ne le souhaitent pas. On ne cesse de répéter que les hommes ont reçu le droit de vote (les travailleurs agricoles par exemple) alors qu'une minorité seulement était en faveur de celui-ci. (...) Si nous avons réellement imposé les élections générales à de libres travailleurs qui n'en voulaient sûrement pas, nous avons fait là quelque chose de profondément antidémocratique ; et si nous sommes démocrates, nous devrions revenir en arrière. C'est la volonté du peuple que nous voulons et non pas ses suffrages ; donner à un homme un suffrage contre sa volonté, c'est donner à ce suffrage plus de prix qu'à la démocratie qu'il exprime. (...) La question n'est pas de savoir si les femmes sont dignes de voter mais plutôt si le vote est digne des femmes."
"Quiconque a connu la véritable camaraderie dans un club ou un régiment, sait qu'elle est impersonnelle. Il existe une formule pédante utilisée dans les clubs, qui décrit à la perfection les émotions masculines : « suivre son idée ». Les femmes se parlent, les hommes s'adressent au sujet dont ils parlent. Plus d'un honnête homme s'est tant et si bien lancé dans l'explication de quelque système, qu'il en a oublié la présence à ses côtés de ses meilleurs amis ici-bas. Cela n'est pas réservé aux intellectuels ; qu'ils parlent de Dieu ou du golf, les hommes sont avant tout des théoriciens. Les hommes sont tous impersonnels ; c'est-à-dire républicains. A l'issue d'une passionnante conversation, nul ne se rappelle qui a dit ce qui méritait d'être retenu. Chacun parle à une multitude visionnaire ; à une nuée mystique, au « club »." (G. K. Chesterton, 1910)
"Positivement, cela veut dire que la politique, au sens de la maîtrise subjective (...) du devenir des peuples, aura, comme la science ou l'art, valeur par elle-même, selon les normes intemporelles qui peuvent être les siennes. On refusera donc de l'ordonner au pouvoir ou à l'État. Elle est, elle sera, organisatrice au sein du peuple rassemblé et actif du dépérissement de l'État et de ses lois."
- "Après quoi vient le moment de conclure : vivre « en Immortel », comme le désiraient les Anciens, est, quoi qu'on en dise, à la portée de n'importe qui." (A. Badiou, 2009)
- n'importe qui, mais pas tout seul... Peut-être avez-vous par ailleurs noté que dans ces citations que j'ai montées en système (j'aurais d'ailleurs pu trouver des phrases sur le « banditisme » de l'oligarchie aussi claires chez Chesterton que chez Badiou (ou Soral)), se pose le problème de la place des femmes. Nous y reviendrons, mais nous pouvons déjà formuler la thèse (de Chesterton, pas de Badiou, ce n'est pas un point sur lequel j'essaierai de les rapprocher) : c'est quand les femmes se sont mises en tête d'être démocrates que la démocratie a commencée à disparaître - et à être remplacée par le culte du suffrage et du bulletin. C'est une question d'équilibre. Je vous détaille ça la prochaine fois !
(Les citations d'Alain Badiou sont extraites des livres L'hypothèse communiste, Second manifeste de la philosophie et du recueil collectif de textes Démocratie, dans quel état ?, tous publiés en 2009, respectivement aux nouvelles éditions Lignes, chez Fayard et à La Fabrique. Pour Chesterton, j'ai utilisé (et parfois regroupé) des textes du Monde comme il ne va pas, édité par L'Age d'Homme en 1994.)
"En dépit de tout ce qui en dévalue jour après jour l'autorité, il est certain que le mot « démocratie » reste l'emblème dominant de la société politique contemporaine. Un emblème, c'est l'intouchable d'un système symbolique. Vous pouvez dire ce que vous voulez de la société politique, vous montrer à son égard d'une férocité « critique » sans précédent, dénoncer « l'horreur économique », du moment que vous le faites au nom de la démocratie (dans le genre : « Cette société qui se prétend démocratique, comment peut-elle faire ceci ou cela ? »), vous serez pardonné. Car à la fin, c'est au nom de son emblème, et donc au nom d'elle-même, que vous avez tenté de juger cette société. Vous n'en êtes pas sorti, vous êtes resté son citoyen, comme elle dit, vous n'êtes pas un barbare, on vous retrouvera à votre place démocratiquement fixée, et sans doute, d'abord, aux prochaines élections." (A. Badiou, 2009)
"Non seulement nous sommes moins démocrates que Danton et Condorcet, mais nous sommes, sur bien des points, moins démocrates que Choiseul et Marie-Antoinette. Avant la Révolution, les nobles les plus aisés étaient de petits bourgeois besogneux si on les compare à nos Rothschild ou nos Russell. De par son image publique, la vieille monarchie française était infiniment plus démocratique qu'aucune monarchie contemporaine. Quiconque ou presque, en ayant envie, pouvait pénétrer dans le palais et voir le roi en train de jouer avec ses enfants, ou de se limer les ongles. Le peuple possédait le monarque comme il possède Primrose Hill : on ne peut déplacer la colline, mais on a le droit de se vautrer dessus. La vieille monarchie française reposait sur cet excellent principe qu'un chat pouvait regarder un roi. De nos jours, un chat ne peut regarder un roi, à moins de faire partie de son entourage. La presse jouit de toute liberté, mais elle ne s'en sert que pour aduler le pouvoir. La différence réelle revient (...) à ceci : la tyrannie du dix-huitième siècle signifiait que vous pouviez dire : « Le R*** de Br***rd est un débauché ». La liberté du vingtième siècle signifie, en fait, que vous avez le droit de dire : « Le Roi de Brenford est un père de famille modèle. »"
"La démocratie, au sens humain du terme, n'est pas l'arbitrage de la majorité ; ni même l'arbitrage universel. Il est plus juste de la définir comme l'arbitrage du premier venu. J'entends par là qu'elle repose sur cette habitude de club qui consiste à considérer un parfait étranger comme un prolongement de soi, à assumer que vous avez inévitablement certains points communs. (...) Les règles que vous observeriez devant n'importe quel nouveau-venu dans une taverne, c'est ça la véritable loi anglaise. Le premier passant que vous apercevez par la fenêtre, c'est le roi d'Angleterre. Le déclin des tavernes, qui n'est qu'un aspect du déclin général de la démocratie, a, sans aucun doute, affaibli cet esprit masculin d'égalité. (...) Il est déjà assez triste que des hommes qui jadis se retrouvaient dans la rue ne sachent plus se retrouver que sur le papier ; il est déjà assez triste que les hommes aient pratiquement réduit le suffrage à une fiction."
"Beaucoup peuvent penser que j'écarte trop rapidement la proposition d'accorder le droit de vote aux femmes, même si la plupart d'entre elles ne le souhaitent pas. On ne cesse de répéter que les hommes ont reçu le droit de vote (les travailleurs agricoles par exemple) alors qu'une minorité seulement était en faveur de celui-ci. (...) Si nous avons réellement imposé les élections générales à de libres travailleurs qui n'en voulaient sûrement pas, nous avons fait là quelque chose de profondément antidémocratique ; et si nous sommes démocrates, nous devrions revenir en arrière. C'est la volonté du peuple que nous voulons et non pas ses suffrages ; donner à un homme un suffrage contre sa volonté, c'est donner à ce suffrage plus de prix qu'à la démocratie qu'il exprime. (...) La question n'est pas de savoir si les femmes sont dignes de voter mais plutôt si le vote est digne des femmes."
"Quiconque a connu la véritable camaraderie dans un club ou un régiment, sait qu'elle est impersonnelle. Il existe une formule pédante utilisée dans les clubs, qui décrit à la perfection les émotions masculines : « suivre son idée ». Les femmes se parlent, les hommes s'adressent au sujet dont ils parlent. Plus d'un honnête homme s'est tant et si bien lancé dans l'explication de quelque système, qu'il en a oublié la présence à ses côtés de ses meilleurs amis ici-bas. Cela n'est pas réservé aux intellectuels ; qu'ils parlent de Dieu ou du golf, les hommes sont avant tout des théoriciens. Les hommes sont tous impersonnels ; c'est-à-dire républicains. A l'issue d'une passionnante conversation, nul ne se rappelle qui a dit ce qui méritait d'être retenu. Chacun parle à une multitude visionnaire ; à une nuée mystique, au « club »." (G. K. Chesterton, 1910)
"Positivement, cela veut dire que la politique, au sens de la maîtrise subjective (...) du devenir des peuples, aura, comme la science ou l'art, valeur par elle-même, selon les normes intemporelles qui peuvent être les siennes. On refusera donc de l'ordonner au pouvoir ou à l'État. Elle est, elle sera, organisatrice au sein du peuple rassemblé et actif du dépérissement de l'État et de ses lois."
- "Après quoi vient le moment de conclure : vivre « en Immortel », comme le désiraient les Anciens, est, quoi qu'on en dise, à la portée de n'importe qui." (A. Badiou, 2009)
- n'importe qui, mais pas tout seul... Peut-être avez-vous par ailleurs noté que dans ces citations que j'ai montées en système (j'aurais d'ailleurs pu trouver des phrases sur le « banditisme » de l'oligarchie aussi claires chez Chesterton que chez Badiou (ou Soral)), se pose le problème de la place des femmes. Nous y reviendrons, mais nous pouvons déjà formuler la thèse (de Chesterton, pas de Badiou, ce n'est pas un point sur lequel j'essaierai de les rapprocher) : c'est quand les femmes se sont mises en tête d'être démocrates que la démocratie a commencée à disparaître - et à être remplacée par le culte du suffrage et du bulletin. C'est une question d'équilibre. Je vous détaille ça la prochaine fois !
(Les citations d'Alain Badiou sont extraites des livres L'hypothèse communiste, Second manifeste de la philosophie et du recueil collectif de textes Démocratie, dans quel état ?, tous publiés en 2009, respectivement aux nouvelles éditions Lignes, chez Fayard et à La Fabrique. Pour Chesterton, j'ai utilisé (et parfois regroupé) des textes du Monde comme il ne va pas, édité par L'Age d'Homme en 1994.)
Libellés : Badiou, Chesterton, Choiseul, Condorcet, Danton, démocratie, Forrester, Lacan, Marie-Antoinette, Paulhan, Rothschild, Soral
<< Home