Abel Bonnard écrit : Stendhal, les médiocres, l'amour, les femmes, les livres...
"Notre méchanceté apparente, à certains moments de nos amours, n'est parfois que la vengeance involontaire de nos déceptions. C'est une tentative suprême, et comme désespérée, pour réveiller dans un être, par les coups que nous lui portons, cette nature plus belle que nous avions cru d'abord apercevoir en lui et que nous n'y retrouvons plus. Nous frappons le rocher, pour en faire jaillir la source.
Mais revenons à ce qui, pour le moment, fait notre sujet, regardons Stendhal dans la société. On ne saurait être surpris qu'un homme comme lui ait goûté vivement le plaisir de déplaire : il n'en est pas de plus aristocratique ; c'est proclamer ses différences ; c'est renvoyer, quoi qu'il puisse nous en coûter, ceux qui ne sont pas faits pour frayer avec nous. Bon pour un homme médiocre de se plaindre d'être méconnu. (…) Cette mauvaise réputation que Stendhal se donne, si elle est faite pour écarter ceux qui ne sont pas de son espèce, n'est qu'une épreuve qu'il propose à ceux qui en sont. Derrière ce rempart qu'il élève pour se séparer, il attend et il espère d'être rejoint et si, en effet, cela arrive, et qu'une femme soit venue jusqu'à lui, quelle fête, alors, quelles largesses, quelle profusion à ses pieds de tous les trésors secrets ! (…)
Il veut aimer, ou plutôt, il faut qu'il aime, car c'est la seule issue offerte à cette sensibilité en prison. Ses livres mêmes n'en sont pas une. Dans la mesure où il en est le maître, il les rattache à sa raison. Il n'estime et ne recherche que l'expression froide et concise de la vérité. Il se croirait infâme de faire, dans ses écrits, un étalage de sentiments, et son aversion pour toute emphase va si loin qu'elle lui fait confondre la vraie poésie avec la fausse, et Chateaubriand avec Marchangy. Isolé parmi les hommes et ne partageant aucune des passions qui les attachent à la vie sociale, augmentant encore cet isolement par la façon dont il les observe, aimer devient pour lui une question tragique. Pour se connaître autrement que par des refus, des colères et des révoltes, il faut absolument qu'il trouve un être qui le sauve de tous les autres. Pour n'être pas misanthrope, il faut qu'il soit amoureux."
Mais revenons à ce qui, pour le moment, fait notre sujet, regardons Stendhal dans la société. On ne saurait être surpris qu'un homme comme lui ait goûté vivement le plaisir de déplaire : il n'en est pas de plus aristocratique ; c'est proclamer ses différences ; c'est renvoyer, quoi qu'il puisse nous en coûter, ceux qui ne sont pas faits pour frayer avec nous. Bon pour un homme médiocre de se plaindre d'être méconnu. (…) Cette mauvaise réputation que Stendhal se donne, si elle est faite pour écarter ceux qui ne sont pas de son espèce, n'est qu'une épreuve qu'il propose à ceux qui en sont. Derrière ce rempart qu'il élève pour se séparer, il attend et il espère d'être rejoint et si, en effet, cela arrive, et qu'une femme soit venue jusqu'à lui, quelle fête, alors, quelles largesses, quelle profusion à ses pieds de tous les trésors secrets ! (…)
Il veut aimer, ou plutôt, il faut qu'il aime, car c'est la seule issue offerte à cette sensibilité en prison. Ses livres mêmes n'en sont pas une. Dans la mesure où il en est le maître, il les rattache à sa raison. Il n'estime et ne recherche que l'expression froide et concise de la vérité. Il se croirait infâme de faire, dans ses écrits, un étalage de sentiments, et son aversion pour toute emphase va si loin qu'elle lui fait confondre la vraie poésie avec la fausse, et Chateaubriand avec Marchangy. Isolé parmi les hommes et ne partageant aucune des passions qui les attachent à la vie sociale, augmentant encore cet isolement par la façon dont il les observe, aimer devient pour lui une question tragique. Pour se connaître autrement que par des refus, des colères et des révoltes, il faut absolument qu'il trouve un être qui le sauve de tous les autres. Pour n'être pas misanthrope, il faut qu'il soit amoureux."
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