"Il faut seulement trouver cette vocation."
Telle était peu ou prou ma pensée ce matin à un feu rouge de la porte de Pantin, alors que je me rendais chez les sympathiques et compétents bouchers de la rue Eugène Jumin, en rêvassant à l'évidente ressemblance entre le bâtiment de la Philarmonie de Paris et une grosse merde posée à côté du périphérique (regardez des photographies, vous comprendrez sans peine). Quelle époque bâtit une salle de concert pour un orchestre et va si loin dans la volonté de non-ressemblance avec l'architecture traditionnelle, qu'elle pond une crotte, sans métaphore, à la place de la tradition honnie (tradition sans laquelle on ne construirait pas de salle de concert, soit dit en passant) ? La même époque qui pourrait, sait-on, élire comme chef de l'État (il faudrait des guillemets à chaque mot) un type qui n'a jamais « vu » la culture française et qui a pour programme de dissoudre ce qu'il n'a pas « vu » (mais que des millions de touristes viennent voir chaque année) dans un océan indifférencié. "Nous n'étions pas loin du précipice, et nous avons fait un grand pas en avant", aurait dit Boumediene (un de ceux qui a inspiré à Renaud Camus le thème du Grand Remplacement…), c'est un peu la situation de la France si elle vote Macron.
Mais il est temps d'expliciter mon titre et de laisser la parole à Raymond Abellio, interrogé par Marie-Thérèse de Brosses sur ses rapports avec les ésotéristes, notamment guénoniens :
"Je n'aime pas volontiers entendre dire que l'Occident c'est moins que rien, et la science occidentale une illusion ou un danger. Un « danger », qu'est-ce que ça veut dire ? C'est la mort qui fait mourir, ce n'est pas le danger, bombe atomique ou autre…
Est-ce qu'il n'y a pas dans l'attitude de certains ésotéristes une sorte de démission devant la vie ?
Là aussi, c'est complexe. Il y a sûrement une démission si l'on se contente d'une critique négative de tout ce qui se fait aujourd'hui en Occident. La science par exemple qu'ils rejettent en bloc, sans se demander d'abord pourquoi l'homme moderne est condamné à la science. La vraie question n'est pas de savoir si la science est « bonne » ou « mauvaise » en soi et dérange une certaine image idéale de l'homme « véritable », elle est de savoir pourquoi l'humanité, qu'elle le veuille ou non, est livrée à la science et quelle composante de l'homme celle-ci doit faire mûrir. Comme toutes les Églises dogmatiques, l'ésotérisme transforme la métaphysique en morale par une pente insensible et finit par trancher du bon et du mauvais. Je préfère Husserl disant : « Toute époque, selon sa vocation, est une grande époque. » Il faut seulement trouver cette vocation. Pour abolir valablement en soi tout ce qui a trait à l'homme extérieur, c'est-à-dire à l'homme soumis à l'histoire, encore faut-il que cette histoire soit un adversaire valable et qu'on ne s'en fasse pas une idée fantomatique. Rappelez-vous Kafka disant à peu près : « Si tu veux détruire le monde, renforce le monde. » Sinon il n'y a pas de combat réel et vous vous en sortez à peu de frais. C'est l'impression qu'ils me donnent : ils sont trop facilement victorieux.
Cependant vous êtes d'accord avec eux sur leur critique de la notion d'évolution. (…)
C'est exact. Je ne crois pas que le monde soit en état de convergence absolue. Je crois qu'il est à la fois en état de convergence et de divergence. La féminité, l'homosexualité sont des facteurs de divergence."
Ce n'est pas que j'accepte tout d'Abellio, y compris ici, notamment sur les liens entre métaphysique et morale, mais il est depuis des années, outre sa fonction négative, un peu comme Wittgenstein, de nettoyeur (au sens américano-facho-Dirty Harry du terme) d'idées fausses, un pôle positif de curiosité saine et de refus de l'idée toute faite de décadence. - Ainsi qu'un observateur avisé des rapports dialectiques entre hommes et femmes, c'est d'ailleurs sur ce sujet-là que j'étais parti pour la citation du jour, avant que la rencontre entre mon interrogation de ce matin et celle de Husserl ne me fasse bifurquer. Refusons, à tort peut-être, la facilité selon laquelle notre vocation est d'être une époque de décadence, un repoussoir pour ce qui viendra ensuite : peut-être que, contrairement aux apparences et à ce que croient aussi bien les contempteurs comme les thuriféraires de l'individualisme, notre époque est celle qui redonne petit à petit ses bases à l'individu. - Ce qui n'enlève malheureusement rien, pour l'heure, à la puanteur visuelle et conceptuelle de la Philarmonie de Paris.
Mais il est temps d'expliciter mon titre et de laisser la parole à Raymond Abellio, interrogé par Marie-Thérèse de Brosses sur ses rapports avec les ésotéristes, notamment guénoniens :
"Je n'aime pas volontiers entendre dire que l'Occident c'est moins que rien, et la science occidentale une illusion ou un danger. Un « danger », qu'est-ce que ça veut dire ? C'est la mort qui fait mourir, ce n'est pas le danger, bombe atomique ou autre…
Est-ce qu'il n'y a pas dans l'attitude de certains ésotéristes une sorte de démission devant la vie ?
Là aussi, c'est complexe. Il y a sûrement une démission si l'on se contente d'une critique négative de tout ce qui se fait aujourd'hui en Occident. La science par exemple qu'ils rejettent en bloc, sans se demander d'abord pourquoi l'homme moderne est condamné à la science. La vraie question n'est pas de savoir si la science est « bonne » ou « mauvaise » en soi et dérange une certaine image idéale de l'homme « véritable », elle est de savoir pourquoi l'humanité, qu'elle le veuille ou non, est livrée à la science et quelle composante de l'homme celle-ci doit faire mûrir. Comme toutes les Églises dogmatiques, l'ésotérisme transforme la métaphysique en morale par une pente insensible et finit par trancher du bon et du mauvais. Je préfère Husserl disant : « Toute époque, selon sa vocation, est une grande époque. » Il faut seulement trouver cette vocation. Pour abolir valablement en soi tout ce qui a trait à l'homme extérieur, c'est-à-dire à l'homme soumis à l'histoire, encore faut-il que cette histoire soit un adversaire valable et qu'on ne s'en fasse pas une idée fantomatique. Rappelez-vous Kafka disant à peu près : « Si tu veux détruire le monde, renforce le monde. » Sinon il n'y a pas de combat réel et vous vous en sortez à peu de frais. C'est l'impression qu'ils me donnent : ils sont trop facilement victorieux.
Cependant vous êtes d'accord avec eux sur leur critique de la notion d'évolution. (…)
C'est exact. Je ne crois pas que le monde soit en état de convergence absolue. Je crois qu'il est à la fois en état de convergence et de divergence. La féminité, l'homosexualité sont des facteurs de divergence."
Ce n'est pas que j'accepte tout d'Abellio, y compris ici, notamment sur les liens entre métaphysique et morale, mais il est depuis des années, outre sa fonction négative, un peu comme Wittgenstein, de nettoyeur (au sens américano-facho-Dirty Harry du terme) d'idées fausses, un pôle positif de curiosité saine et de refus de l'idée toute faite de décadence. - Ainsi qu'un observateur avisé des rapports dialectiques entre hommes et femmes, c'est d'ailleurs sur ce sujet-là que j'étais parti pour la citation du jour, avant que la rencontre entre mon interrogation de ce matin et celle de Husserl ne me fasse bifurquer. Refusons, à tort peut-être, la facilité selon laquelle notre vocation est d'être une époque de décadence, un repoussoir pour ce qui viendra ensuite : peut-être que, contrairement aux apparences et à ce que croient aussi bien les contempteurs comme les thuriféraires de l'individualisme, notre époque est celle qui redonne petit à petit ses bases à l'individu. - Ce qui n'enlève malheureusement rien, pour l'heure, à la puanteur visuelle et conceptuelle de la Philarmonie de Paris.
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