mardi 18 avril 2017

Il n'est pas évident de se concentrer lorsque l'on écoute Birgit Nilsson et Jon Vickers chanter ensemble la plus belle scène du Ring. J'assume.

Nous sommes en 1935, Chesterton observe une réaction contre les modes et engouements pour la régulation des naissances, l'avortement, la fête ininterrompue, la partouze, l'esprit vegan, et toute cette sorte de choses, comme dit le Breton dans Astérix chez les Bretons du même nom. Il (Chesterton, pas le Breton) s'en félicite, non sans une pointe de regret, car cette saine réaction à de telles aberrations (qui se prétendent modernes ou révolutionnaires, mais il suffit justement de lire Chesterton pour réaliser à quel point ce sont plutôt des tentations qui périodiquement resurgissent, et souvent simultanément) vient malheureusement plus d'intellectuels (il en cite deux : Aldous Huxley et T. S. Eliot) que des gens normaux, au sujet desquels il ajouterait volontiers je pense qu'il (pas Chesterton, personne, il comme dans "Il y a") est bien heureux qu'ils n'aient rien d'exceptionnel (ma génération, 45 ans à la pesée, me comprend). Ce qu'il (Chesterton, of course) exprime ainsi :

"Je ne m'imagine pas cette réaction parce que je la désire, car, en vérité, ce n'est pas tout à fait la réaction que je désire. J'aurais espéré une révolte populaire contre les perversions et les pédanteries du vice, lesquelles n'ont jamais, en fait, été populaires. J'aurais aimé que les gens ordinaires, vieux jeu, obstinés, encore attachés à l'idée de l'existence de quelques liens entre eux et leur progéniture, se lèvent et cognent sur la tête de ces pharisiens dont l'idéal est une espèce d'infanticide prophétique. Je voudrais qu'une cohue hurlante de gens respectables (et la cohue est toujours réellement respectable) fît brûler les maisons où le luxe a revêtu son sens latin véritable de luxure. J'aimerais que les gens normaux, qui vivent de boeuf et de bière, fissent la guerre aux loufoques hypocrites qui consomment leur végétarisme sous forme de cocktails de légumes moins salubres que le fruit de la vigne. Je préférerais que les intellectuels fussent massacrés par ceux que l'on pourrait appeler les moraux - et l'attroupement est toujours très moral. Mais la grande question c'est qu'ils devraient être massacrés, si ce n'est par les triques de la foule, du moins par la rapière des intellectuels plus intellectuels. Dieu agit de façon mystérieuse et ne dédaigne pas les instruments les plus inattendus ou les plus humbles. Et nous ne devons pas être honteux de nous trouver, si nécessaire, du côté des personnes cultivées ou habiles."

Il est plus important d'avoir raison, même avec des snobs, que d'avoir tort, tout simplement. Chesterton, fort peu girardien dans ce texte (j'écris cela en pensant à M. Maso, à qui je dois la découverte de Chesterton et qui doit bien un peu me devoir celle de Girard - il y a plusieurs demeures dans la maison du Seigneur), s'y montre en revanche pascalien conséquent : le demi-habile peut en fin de compte être un habile et être du côté du peuple, même si, d'un point de vue sociologique, on se serait attendu au contraire.


(Pour les wagnériens : il s'agit bien sûr de la scène où Siegmund enseigne à Brünnhilde l'encore fière d'être vierge l'accession à l'humanité par l'amour humain, la répétition est de ma part volontaire. Walkyrie, acte II. La plus belle scène du Ring, on peut discuter, mais une des plus profondes et émouvantes, à coup sûr. (Version Leinsdorf)).