De la nécessité du contrepoison.
"Je crois que Nietzsche a en grande partie raison lorsqu'il affirme que la tradition allemande est très critique envers les idéaux de la civilisation moderne, et que ces idéaux sont d'origine anglaise. Cependant, il oublie d'ajouter que les Anglais ont presque toujours eu la prudence et la modération très peu allemandes de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, c'est-à-dire la prudence de se représenter les idéaux modernes comme une adaptation raisonnable de l'idéal ancien et éternel d'honnêteté, de règne de la loi et d'une liberté qui n'est pas licence, à des circonstances nouvelles. Cette attitude consistant à prendre les choses comme elles viennent, à se débrouiller tant bien que mal, à ne s'occuper d'un problème que lorsqu'on y est confronté, peut avoir été un peu nuisible au radicalisme ou à la profondeur de la pensée anglaise ; mais elle s'est révélée une bénédiction pour la vie anglaise ; les Anglais ne se sont jamais plu à ces ruptures radicales avec les traditions qui ont joué un rôle si important sur le continent. Quoi qu'il puisse y avoir d'erroné dans l'idéal proprement moderne, les Anglais qui furent à son origine étaient eux-mêmes en même temps versés dans la tradition classique, et les Anglais ont toujours gardé par devers eux une quantité substantielle du contrepoison nécessaire. Si les Anglais furent à l'origine de l'idéal moderne, l'idéal pré-moderne, l'idéal classique de l'humanité, ne fut nulle part mieux préservé qu'à Oxford et à Cambridge. La guerre anglo-allemande présente est donc d'une importance symbolique. En défendant la civilisation moderne contre le nihilisme, les Anglais défendent les principes éternels de la civilisation. Personne ne peut dire à quoi aboutira cette guerre. Mais ceci au moins est néanmoins hors de doute possible : en choisissant comme chef Hitler au moment crucial où la question de savoir qui doit triompher du point de vue militaire était à l'ordre du jour, les Allemands ont cessé de pouvoir légitimement prétendre être autre chose qu'une nation provinciale ; ce sont les Anglais, non les Allemands, qui méritent d'être et de rester une nation impériale : car seuls les Anglais, et non les Allemands, ont compris que pour mériter d'exercer un règne impérial, regere imperio populos, il faut avoir été instruit pendant un très long temps : parcere subjectis et debellare superbos (épargner les vaincus et dompter les superbes)."
Léo Strauss (et Virgile, sur la fin). Ce texte appelle des nuances (comment ne pas succomber soi-même au poison que l'on inocule chez les autres), des actualisations (les États-Unis sont loin d'être instruits depuis "un très long temps"). Je me permettrai une seule remarque : l'importance des personnages anglais dans les séries et films américains depuis quelques années. Et pas comme des provinciaux, il s'en faut.
Léo Strauss (et Virgile, sur la fin). Ce texte appelle des nuances (comment ne pas succomber soi-même au poison que l'on inocule chez les autres), des actualisations (les États-Unis sont loin d'être instruits depuis "un très long temps"). Je me permettrai une seule remarque : l'importance des personnages anglais dans les séries et films américains depuis quelques années. Et pas comme des provinciaux, il s'en faut.
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