"Son originalité..."
Dans le beau portrait qu’il dresse de saint François de Sales, Ernest Hello fait une mise au point salutaire sur le rapport chrétien de l’homme à la nature. Après avoir cité saint François, il enchaîne :
"L’intention littéraire est absente de ce tableau, et cette parole a une grâce singulière, exquise, naïve, qui échappe à ceux qui la cherchent. Le sens de la nature est charmant pour saint François de Sales, et charmant pour cette raison même que la nature est pour lui, ce qu’elle est en effet, un moyen et non un but. Elle est l’instrument sur lequel il s’accompagne pour chanter. Elle n’est jamais, comme il arrive aux faux poètes, la beauté même vers laquelle vont les chants. L’amour de saint François la trouve sur sa route ; il la trouve sans la chercher, tout simplement parce qu’elle est là, et, sans jamais s’arrêter à elle, il la traverse et l’emporte sur ses ailes vers le ciel où il va.
Ainsi vue à la clarté d’en haut, la création prend un goût exquis qu’elle n’a jamais chez les hommes qui l’aiment pour elle-même et la fêtent, au lieu de fêter Dieu. La création est une barrière quand elle n’est pas un marchepied ; elle apparaît comme une limite, chez le faux poète, qui s’embourbe au milieu d’elle ; pour saint François, elle est une harpe, et ses doigts, promenés sur les cordes, lancent des sons qui montent toujours."
La suite abordant un autre sujet (sur lequel j’espère revenir), arrêtons-nous là pour aujourd’hui, et synthétisons. Dans le 19e siècle à travers des âges, P. Muray est parfois étonnamment agressif à l’égard de la nature, ou de la Nature, ou de l’idée de nature. La parole de Muray n’est certes pas toute d’évangile, mais je gardais ceci, que je ne m’expliquais pas bien, dans un coin de ma tête, lorsque j’ai trouvé la clé… grâce à Guy Debord et son vieil adversaire, Jean-Pierre Voyer, que Dieu le bénisse (encore que si Dieu lui avait donné la foi, la philosophie française y eût gagné trente ans, mais ceci, si ce n’est pas à proprement parler une autre histoire, n’est pas tout à fait notre sujet du jour).
Le dit Voyer, donc, râlait avec sa verve et sa vigueur personnelles contre les thématiques écologistes, notamment, mais pas seulement, dans la veine nostalgique du Debord des années 80 : il n’y a plus rien de bon, de vrai, d’authentique, tout est pollué et travesti, les bouteilles de vin ont les mêmes étiquettes qu’avant mais on ne peut plus les boire, etc. Je n’ai pas le temps aujourd’hui de vous retrouver les citations précises d’un côté comme de l’autre, mais la réponse de J.-P. Voyer était en gros : qu’importe le cadre de vie ou la qualité de la bouffe, si les gens se font chier entre eux. (La philosophie de Jean-Pierre Voyer est je le rappelle une philosophie de la relation et de la communication). Je repensais à cela, qui ne doit pas être considéré comme un mépris utopique ou hypocrite de la bonne bouffe et de la beauté de la nature, quand je suis tombé sur ce passage de Ernest Hello, qui a fini de m’expliquer et m’a permis de mieux formuler ce que j’étais en train de comprendre. Les arbres pour les arbres, on s’en tape. Les arbres comme partie du sens du monde, sens donné au monde par les relations des hommes entre eux chez JPV, par les rapports de la nature et du surnaturel chez François de Sales et Hello, on ne s’en fout pas. Ceux qui détruisent la nature pour des fins mercantiles doivent être combattus, mais ceux qui l’idéalisent pour elle-même n’ont pas tout compris au film - ce qui peut nuire d’ailleurs à leur discours. Il est logique de reprocher à Jacques Attali sa formule selon laquelle la nature est notre « ennemie », mais il serait fou de nier qu’elle le devient à l’occasion. Quant à Muray, je pense - tempérament personnel ? Christianisme un peu trop rigoriste et désenchanté ? Provocation par rapport aux écolos de son époque ? - qu’il pousse un peu trop loin le bouchon. Ce qu’avec mon tempérament que vous savez plein de douceur ("Son originalité fut d’être doux", écrit encore Hello de François de Sales) je lui pardonne aisément. A demain !
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