"La débauche pornographique catholique..." / "Scandale d’un vagin non contaminé..."
"Au moment où j’écris, on traite beaucoup les intellectuels silencieux de déserteurs. Eh bien voilà qui nous rajeunit, puisque Michelet traitait justement les prêtres et les moines de « déserteurs » de la vie sociale ! A l’époque où la vie sociale commençait à se désertifier. Pourquoi déserteurs ? Parce qu’ils « énervent le pays par le célibat et l’ascétisme ». Déserter le désert, est-ce que c’est correct ? Est-ce que c’est gentil, solidaire, philanthropique ? Le 19e qui sentait sous lui se dérober ses jarrets en rendait responsable le clergé. L’Église est devenue la cause diabolique de l’effondrement de la société parce qu’il fallait que celle-ci trouve un responsable à l’affaissement sans raison de son propre concept… (…)
L’occulto-socialisme espère et croit comme un prêtre jette sa robe aux orties. Toutes les bouffées de soucis du 19e tournent autour de la soutane. Il l’enlève ? Il ne l’enlève pas ? Après 1848, quand l’armée française est envoyée par Louis-Napoléon Bonaparte rétablir le pouvoir temporel des papes, l’Homo dixneuviemis se convulse et Edgar Quinet crie que la France vient d’être « enfroquée dans une croisade du Saint-Office ». Ledru-Rollin tonne : « Une honte. » « La bannière de Loyola ! » Montalembert à l’Assemblée essaye de modérer les ardeurs : « Toute lutte contre [l’Église] est fatale à qui l’entreprend, tôt ou tard (…) L’Église a des ressources infinies » (Rires à gauche, dit le compte rendu des débats). Mais quand il apprend en 1869 que le pape à Rome est en train de se faire proclamer infaillible, Montalembert à son tour est effondré : « l’Église perdra la moitié de ce qui lui reste » avec ces « doctrines outrées et outrageantes pour le bon sens comme pour l’honneur du genre humain »… Il cède lui aussi comme tout le monde. L’infaillibité c’est comme la soutane en fin de compte, comme la robe du moine : des choses qui doivent rester en exclusivité propriété de la Femme…
Ce sera d’ailleurs un fantastique scandale, cette affaire d’infaillibilité. Un défi inouï au bon sens inné comme au goût de la magie des contemporains. Déjà, un peu avant, il y avait eu le dogme de l’Immaculée-Conception. La génération sans tache de Marie définie comme dogme de foi par Pie IX dans sa bulle Ineffabilis en 1854. Quelques années après l’apparition de la Vierge dans les montagne dauphinoises, à La Salette, en 1846. Il y aura Lourdes ensuite en 1857. Des tas d’écrivains sont aimantés par ces événements. Bloy par La Salette, Huysmans par Lourdes. Zola aussi, nous le reverrons par là. En tout cas, pauvre 19e sur lequel déferle ce typhon de marisme, ces congrégations marianistes, maristes, ces soeurs de l’Immaculée-Conception. La Vierge est déjà apparue à Catherine Labouré en 1830. A l’abbé-Desganettes, curé de Notre-Dame-des-Victoires, en 1836. Michelet, dont l’intuition est la plupart du temps prodigieuse, comprend tout de suite de quoi il retourne : « Dieu changea de sexe, il faut le dire encore une fois », résume-t-il. Il sent bien qu’il s’agit d’une rafle : la Vierge rafle tout le féminin par ses apparitions, elle pompe tout le 19e-Femme, asphyxie l’explosion féministe-messianiste, les Isis, les Clotilde, les filles du feu et les fées des neiges. Bien sûr, on feint de n’y voir qu’une preuve de plus de la débauche pornographique catholique, de sa sexualisation à outrance. A sa façon, toute une partie de l’oeuvre de Zola se dressera contre ce scandale. Il suffit de lire La Faute de l’Abbé Mouret où, à la virginité inquiétante, est opposé le « Paradou » feuillu, murmurant et vibrant qui n’est rien d’autre qu’un jardin initiatique. Un grand labyrinthe naturel occultiste par où on essaye de redonner ses lettres optimistes de noblesse au sexe. Contre le sexe-pour-rien, sans utilité dans l’ordre des générations, de la mère du Christ. L’Immaculée-Conception, c’est le triomphe par-dessus les siècles de Duns Scot qui avait formulé le premier le syllogisme fixant l’action prévenante du Fils sur sa mère, la purification préventive par Jésus de celle qui doit le mettre au monde, son influence sur elle au mépris des règles de la génération normale. Potuit, decuit, ergo fecit : il put, c’était convenable, donc il le fit…
Scandale d’un vagin non contaminé, donc. Affolement, plus encore, lorsque à la fin du siècle la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus arrivera au premier plan. Triomphe de la doctrine de saint Grignon de Montfort (…). Indignation à nouveau de Zola à qui la construction de la basilique dite justement du Sacré-Coeur donne des convulsions. Il écrira pour détruire ce monument un énorme roman intitulé Paris, qui est en quelque sorte le gémissement de la pudeur dixneuviémiste frappée dans son sacré et palpitant de révolte.
L’infaillibilité pontificale aussi, Zola la recevra en plein estomac, et ça donnera Rome. Ça donnera Le Pape pour Hugo dans le rêve d’effacer l’autre Pape, celui de Maistre. Il faut les voir, tous, hallucinés, eux qui triomphaient. Extrêmement perturbés par les initiatives invraisemblables d’une Église qui n’arrête pas de remonter de ses catacombes et de parasiter le cours normal du progrès. L’Église est devenue à partir de là une sorte de Sphinx évidemment répulsif auquel il faut apporter très vite des réponses dans l’espoir de le voir se reprécipiter dans l’abîme.
La plus grosse énigme, la plus pénible, c’est sûrement quand même l’infaillibilité. Qui pourrait se résumer ainsi :
Qui est-ce qui se trompe le matin, qui se trompe à midi et qui se trompe encore le soir ?
Réponse : en tout cas pas le pape.
Je l’ai déjà dit, l’infaillibilité, c’est la définition en creux des hommes parlants comme actes manqués. Ici encore, d’ailleurs, l’Église se montre excellente historienne de son époque et même visionnaire pour les temps à venir où on va voir les hommes et les femmes de plus en plus se prendre pour des infaillibilités pontificales personnelles et spontanées tout en s’intéressant de plus en plus à leurs petits actes manqués visibles et locaux en bons profiteurs de la psychanalyse sans peine, et ne jamais se demander si ce ne serait pas plutôt globalement qu’ils seraient des lapsus, des échecs, des ratés de la parole ou de la mémoire…L’humilité n’est pas le défaut principal de l’existant actuel, de l’explorateur de sa propre infaillibilité pontifiante. Il y a aussi l’infaillibilité de masse. Enfin, tout le monde parle plus ou moins ex cathedra, c’est ainsi."
Philippe Muray, bien sûr.
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