mardi 17 juillet 2018

De l'Action française comme introduction à la modernité.

"Ce qui reste vrai, c’est que nous frôlions alors le fascisme.

 - Vous n’y êtes pas tombés ? 

Non. Et c’est peut-être à l’Action française précisément qu’il faut en rendre grâce. Même ébréchée, la doctrine maurassienne constituait à cet égard une barrière solide : la conception totalitaire de l’État et la société lui était complètement étrangère. Le national-socialisme allemand était dénoncé quotidiennement dans l’Action française comme l’une des pires incarnations du germanisme éternel, un « nouvel Islam », disait Léon Daudet. Restait enfin la hantise du danger allemand, la menace qui se précisait, le vieux réflexe national de défense. 

Bainville avait sans doute disparu, mais ses leçons restaient présentes. Nous étions trop imprégnées d’elles pour rêver à Nuremberg, à son exaltation de la terre et du sang, et à ses cathédrales de lumière… Les historiens se posent aujourd’hui la question de savoir pourquoi la tentation fasciste ne s’est pas plus fortement exercée sur la France de l’immédiat avant-guerre. Parmi tous les butoirs auxquels elle s’en effet heurtée, je crois que, pour les milieux intellectuels du moins, on ne saurait oublier l’influence maurassienne.

Mais c’est aussi d’autres dettes de reconnaissance à l’égard de l’Action française que je me trouve obligé de reconnaître.

 - Lesquelles ? 

Tout d’abord de m’avoir fait beaucoup lire. Le conformisme doctrinal de l’A.F., si puissant sur tant d’autres point, s’arrêtait à la littérature. L’ouverture dans ce domaine était totale. (…) C’est grâce à l’Action française que je suis parti à la découverte de la littérature de mon temps. (…) Il y eut Apollinaire, Malraux, Claudel, Giraudoux, Céline et tant d’autres [en plus de Gide et Proust, note de AMG]. L’Action française apparaît dans cette perspective comme une introduction à la modernité. Indiscutablement, nous avions lu bien davantage que la plupart, voire la quasi-totalité de nos camarades étudiants [et que l’actuelle Ministre de la Culture, note de AMG]. Indiscutablement aussi la littérature était souvent plus présente que la politique dans nos conversations. 

Il y avait aussi le cinéma. Je ne pense pas que Maurras y ait mis souvent les pieds. Selon toutes les apparences cependant, il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les jeunes disciples y passent leurs après-midi ou leurs soirées. Le « Grand Cluny », rue des Écoles, projetait trois films, dont quasi obligatoirement un western : ce n’est pas en vain si l’un des mes camarades d’alors, légitimait, quelques années plus tard, sa volonté de hâter le départ de l’occupant par son besoin existentiel de retrouver le western et les comédies américaines… Au « Grand Cluny », mais aussi, au « Panthéon », aux « Ursulines », nous retrouvions assez souvent quelques-uns de nos adversaires de nos combats de rue, plus délurés eux aussi, ou moins attachés à la bonne poursuite de leurs études. Nous échangions des saluts courtois : le cinéma remplaçait la trêve de Dieu."


Raoul Girardet, interrogé par Pierre Assouline, 1990.