jeudi 10 janvier 2019

Recherches et considérations sur la population de France...

Sur ma lancée, après (et pendant) les livres de MM. Waresquiel et Fumaroli, j’ai commencé un volume plus universitaire et synthétique, La révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire, de Jean-Clément Martin (2008). Comme j’ai malheureusement, lorsque j’emprunte des livres en bibliothèque, tendance à oublier qu’un livre de cinq cent pages ne se lit pas en dix minutes, comme par ailleurs il faut bien rendre ce que l’on vous a prêté, je n’aurai pas le temps de finir dans un futur proche ce bouquin qui contient pourtant son lot de renseignements et d’enseignements. En attendant donc que j’y revienne plus tard, quelques citations ces jours-ci, pendant que vous et moi avons encore ce passionnant sujet des rapports hommes-femmes avant et durant l’épisode révolutionnaire, en tête :

dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, "après deux ou trois enfants, les couples rompent les habitudes antérieures qui voyaient les enfants se succéder tous les deux ans, autant pour préserver la vie des femmes et leur propre unité, que pour mieux entourer les enfants. L’amour conjugal, le contrôle de la sexualité et la protection du patrimoine se confondent ainsi dans les alcôves. Cette diffusion des « funestes secrets » se réalise du haut en bas de la société, malgré les condamnations cléricales. Une des conséquences est d’écarter les hommes du confessionnal, leur évitant d’avouer le coïtus interruptus ; en résulte ce « dimorphisme sexuel » qui va concerner une bonne partie de la France dans les siècles suivants : les femmes à l’église, les hommes sur la place publique ou au cabaret [ce que Pierre Boutang, note de AMG, regrettait, car cela avait poussé le clergé à modifier son discours, ou en tout cas la tonalité de ce discours, pour s’adapter à la « clientèle » de femmes et d’enfants qui était devenue si capitale pour lui ; d’où, ajoutait-il, je vous en ai parlé dans le temps, un message catholique trop sentimental et mou par rapport à ce qu’il devrait être à et ce qu’il était auparavant]. (…)

L’État a d’autres raisons de s’occuper des alcôves. Depuis les statistiques de Vauban, la surveillance de la population est devenue une préoccupation politique (…). Entre affaiblissement et surpopulation, toute une école de pensée propose des théories autour de la « richesse des nations » pour trouver l’équilibre nécessaire. Entre Mirabeau père qui redoute le dépeuplement et, à la fin du siècle, Malthus qui estime nécessaire de limiter le nombre des convives au « banquet de la nature », l’État se retrouve dans une position de régulateur, dont la Révolution héritera. Un débat animé oppose théologiens et savants à propos de l’inégale répartition des garçons et des filles à la naissance. L’excédent de garçons résulte-t-il d’une volonté de la providence divine, est-il purement fortuit, sans signification, ou bien l’administration peut-elle s’en saisir comme le tente Auger de Monthyon (connu sous le pseudonyme de Moheau) dans ses Recherches et considérations sur la population de France, parues en 1778 ? (…) Condorcet, plus tard, applique les règles du calcul de probabilité, pour imaginer, dans une perspective purement scientifique l’intervention de l’État pour réguler le sex-ratio. La biologie entre ainsi dans la gestion publique."

La suite du texte demain, avant que vous ne tiriez trop de conclusions… 


(Je précise que l’on apprend par ailleurs dans cet ouvrage que la mode de l’habit noir, notamment chez les bourgeois aisés, est antérieure, certes de peu, à la Révolution. Quand Mme Vigée Le Brun, de retour à Paris à la fin du siècle, déplore la disparition des couleurs dans les fêtes, cela signifie que son propre milieu, ou ce qu’il en reste, ou ce qu’il est devenu, se met à appliquer les codes vestimentaires sobres de la bourgeoisie capitaliste en plein essor.)