jeudi 31 janvier 2019

"Sinon la disparition totale, du moins l’évanouissement graduel de cette chose admirable…"

Deux extraits de la préface par Léon Bertrand à son livre sur saint Augustin, 1913, veille d’une certaine Grande guerre, livrée à certain ennemi (en ce temps on livrait une guerre à l’Allemand, on ne lui livrait pas le pays) : 

"Nous sommes tout près de conclure qu’à l’heure présente, il n’est pas de sujet plus actuel que saint Augustin.

Il est au moins un des plus intéressants. Quoi de romanesque, en effet, comme cette existence errante de rhéteur et d’étudiant, que le jeune Augustin promena de Thagaste à Carthage, de Carthage à Milan et Rome, et qui, commencée dans les plaisirs et le tumulte des grandes villes, s’acheva dans la pénitence, le silence et le recueillement d’un monastère ? Et d’autre part, quel drame plus haut en couleurs et plus utile à méditer que cette agonie de l’Empire à laquelle Augustin assista et que, de tout coeur fidèle à Rome, il aurait voulu conjurer ? Quelle tragédie enfin plus émouvante et plus douloureuse que cette crise d’âme et de conscience qui déchira sa vie ? A l’envisager dans son ensemble, on peut dire que la vie d’Augustin ne fut qu’une lutte spirituelle, un combat d’âme. C’est le combat de tous les instants, l’incessante psychomachie que dramatisaient les poètes d’alors, et qui est l’histoire du chrétien de tous les temps. L’enjeu du combat, c’est une âme. Le dénouement, c’est le triomphe final, la rédemption d’une âme. 

Ce qui rend la vie d’Augustin si complète et si réellement exemplaire, c’est qu’il soutint le bon combat non seulement contre lui-même, mais contre tous les ennemis de l’Église et de l’Empire. S’il fut un docteur et un saint, il fut aussi le type de l’homme d’action à une des époques les plus découragées. Qu’il ait triomphé de ses passions, cela, en somme, ne regarde que Dieu et lui. Qu’il ait prêché, écrit, remué les foules, agité les esprits, cela peut paraître indifférent à ceux qui rejettent sa doctrine. Mais qu’à travers les siècles son âme brûlante de charité échauffe encore les nôtres, qu’à notre insu, il continue de nous former, et que, d’une façon plus ou moins lointaine, il soit encore le maître de nos coeurs, et, à de certains égards, de nos esprits, voilà qui nous touche les uns et les autres, indistinctement. Non seulement Augustin a toujours sa grande place dans la communion vivante de tous les baptisés, mais l’âme occidentale est marquée à l’empreinte de la sienne. 

D’abord, sa destinée se confond avec celle de l’Empire finissant. Il a vu sinon la disparition totale, du moins l’évanouissement graduel de cette chose admirable que fut l’Empire romain, image de l’unité catholique. Or, nous sommes les débris de l’Empire. D’ordinaire, nous nous détournons avec dédain de ces siècles pitoyables qui subirent les invasions barbares. Pour nous, c’est le Bas-Empire, une époque de honteuse décadence, qui ne mérite que nos mépris. Cependant, c’est de ce chaos et de cette abjection que nous sommes sortis. Les guerres de la République romaine nous touchent moins que les brigandages des chefs barbares qui détachèrent notre Gaule de l’Empire et qui, sans le savoir, préparèrent l’avènement de la France. Que nous font, en définitive, les rivalités de Marius et de Sylla ? La victoire d’Aetius sur les Huns dans les plaines catalauniques nous intéresse bien davantage. (…)

Par sa fidélité à l’Empire, Augustin se manifeste déjà l’un des nôtres, un Latin d’Occitanie. Mais des analogies plus étroites le rapprochent de nous. Son siècle ressemble beaucoup à celui-ci. Pour peu que nous entrions dans la familiarité de ses livres, nous reconnaissons en lui une âme fraternelle, qui a souffert, senti, pensé à peu près comme nous. Il est venu dans un monde finissant, à la veille du grand cataclysme qui allait emporter toute une civilisation : tournant tragique de l’histoire, période troublée et souvent atroce, qui dut être bien dure à vivre pour tous, et qui dut paraître désespérée aux esprits les plus fermes. La paix de l’Église n’était pas encore établie, les consciences étaient divisées. On hésitait entre la croyance d’hier et la croyance de demain. Augustin fut un de ceux qui eurent le courage de choisir et qui, ayant choisi leur foi, la proclamèrent sans faiblir. Un culte millénaire allait s’éteindre, dépossédé par un culte jeune, à qui l’éternité est promise. Combien d’âmes délicates eurent à souffrir de cette scission, qui les détachait de leurs origines et qui les obligeait, pensaient-elles, à trahir leurs morts avec la religion des ancêtres ! Tous les froissements que les sectaires d’aujourd’hui infligent aux âmes croyantes, beaucoup durent les éprouver alors. Les sceptiques souffraient de l’intransigeance des autres. Mais le pire, - comme aujourd’hui, - ce dut être d’assister au débordement de sottises qui, sous le couvert de la philosophie, de la religion ou de la thaumaturgie, prétendaient à la conquête des esprits et des volontés. Dans cette mêlée des doctrines et des hérésies les plus extravagantes, dans cette orgie d’intellectualisme creux, ils eurent la tête solide, ceux qui surent résister à l’ivresse publique. Au milieu de tous ces gens qui divaguent, Augustin nous apparaît admirable de bon sens."


Les parallèles avec l’actualité qui viennent à l’esprit à la lecture de ce texte vieux d’un peu plus d’un siècle sont nombreux, il ne me semble pas nécessaire de les énoncer à votre place. Je voudrais juste revenir sur les dernières phrases, plus importantes peut-être que l’on ne pourrait croire. 


Depuis que les Gilets Jaunes ont ouvert une séquence historique dont on ne sait pas sur quoi elle va déboucher, mais qui, depuis quelques semaines, de Marrakech à Aix-la-Chapelle (un beau parcours pour la 2e D.B....) en passant par les restrictions de droits et les énucléations d’État, semble conduire  le macronisme à assumer son caractère de dictature libérale-immigrationniste (pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… quand on voit la tronche et l’âge des députés LREM !), depuis les premières manifestations des Gilets Jaunes donc, j’essaie, derrière mon petit comptoir, de garder mon bon sens, de résister à l’ivresse publique - ce dernier mot pouvant aussi bien désigner la puissance du même nom que les mouvements populaires. Et c’est le conseil que je me permettrais de donner à mes amis lecteurs, sachant bien que même si la situation politique devait se calmer quelque peu dans les semaines à venir, ce qui n’a déjà rien de sûr, de bien plus fortes secousses sont de toutes façons à prévoir. - Sur ce, à demain pour d’autres extraits, scandaleusement incorrects par endroits, de cette préface !