"Il est vraiment bon d’être un maître aujourd’hui."
Jean-Pierre Voyer à Jean-François Kahn, 26 novembre 1986.
"Cher juif et sale Monsieur,
Face au commode repoussoir russe, vous vous extasiez sur la liberté dans un pays qui compte plus de cinquante millions d’esclaves motorisés (une voiture pour deux esclaves). Vous êtes donc exactement comme les journalistes russes, vous colportez bravement la vérité officielle. En Russie, depuis 1917, comme en France depuis 1789, la vérité officielle est que l’esclavage n’existe plus. (Et les Juifs, existent-ils ? Ne les a-t-on pas supprimés récemment ? Encore plus récemment, n’a-t-on pas supprimé les aveugles, les sourds et les vieux ? Dernière invention de la bonne pensée, on ne dit plus charitable, mais caritative. Où donc s’arrêtera cette rage de suppression ?)
Or si le mot a été aboli en grande pompe vers 1789, la chose a proféré comme jamais dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas un hasard. La révolution française ou la guerre de sécession ont mis fin aux archaïsmes et contraintes inhérents aux esclavages d’ancien régime ou antique afin de permettre un développement sans frein, universel, de l’esclavage. Cette époque a vu l’invention extraordinaire de l’esclave citoyen et a associé allègrement l’esclavage le plus éhonté avec les dithyrambiques et grandiloquentes déclarations sur la liberté (vous, précisément, êtes payé pour cela). Qu’eût dit Platon qui se plaignait déjà de l’extravagante liberté dont jouissaient à Athènes les esclaves, les ânes et les chevaux qui heurtaient le passant dans la rue tant était grande leur liberté d’allure ! Le libre esclave motorisé et plus particulièrement l’esclave motorisé en col blanc, ski et planche à voile, est l’esclave idéal. Il est vraiment bon d’être un maître aujourd’hui. L’État se charge de surveiller, soigner et punir la grande masse des libres esclaves motorisés. Le salaire a remplacé le fouet. Le maître moderne est ainsi dégagé de tous les soucis que pouvaient connaître les maîtres antiques qui avaient la charge des esclaves.
Je comprends l’indignation de Soljenitsyne quand il put constater qu’en Occident il n’était même pas besoin de police et de censure pour que les esclaves se couchent.
Vous êtes de la merde. De tous les esclaves, les journalistes sont les pires car ils s’imaginent bien traités. Vous vous asseyez à la table des maîtres et vous avez le droit de leur adresser la parole pendant le repas. Un rien vous satisfait. Cependant, vous n’êtes pas comme ces esclaves dont parle Platon, dans une époque où l’on savait regarder l’esclavage en face : vous ne vous ferez pas couper la tête pour vos maîtres. Fort heureusement de temps en temps des bougnoules frénétiques s’en chargent.
Je vous prie d’agréer, cher juif et sale Monsieur, mes salutations distinguées."
(Hécatombe, 1991, pp. 270-71).
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