vendredi 10 janvier 2020

"Rien moins qu’un monde…"




Continuons à relire et à redécouvrir, de manière, au moins pour l’instant, un peu dilettante et improvisée, ces textes enchanteurs de Jean-Pierre Voyer : 

"Comme le veut Hegel, le travail animal devient humain parce qu’il est médiatisé et qu’il est médiatisé par rien moins qu’un monde, c’est-à-dire une totalité de travaux identiquement médiatisés. Chez l’homme la bête est niée, son immédiateté est supprimée dans une activité plus haute qui est la communication, l’auto-division infinie d’un monde. Chez l’homme, la satisfaction du moindre de ses « besoins » présuppose un monde et l’indépendance de ce besoin particulier est seulement une apparence. Chez l’homme, le but véritable n’est pas la satisfaction du moindre de ses besoins, mais, dans le moindre de ses besoins, le monde qui médiatise ce besoin, mais la communication totale et mondiale qui médiatise ce besoin, son existence comme sa satisfaction. Ce n’est pas seulement la « production » qui est raffinée, mais le besoin lui-même qui cesse donc à l’instant de seulement pouvoir prétendre être égoïste. En lui agit un monde. Il est le produit d’un monde. Il est besoin d’un monde. Comme le note déjà Marx, dans l’aliénation l’homme doit payer pour habiter une bauge. Aussi frustre que soit en apparence un besoin humain, ce besoin n’en suppose pas moins la médiation d’un monde. Non seulement le sanglier humain doit payer sa bauge, mais il est bien évident que c’est un monde qui le précipite dans une bauge plutôt que dans un palais. L’immonde réalisme matérialiste prétend que l’homme ne se fait homme qu’en interposant entre désir et satisfaction l’écran, la médiation du travail. Mais quel est l’animal qui ne le fait pas ? Pour nous au contraire, l’homme ne se fait homme qu’en interposant entre désir et satisfaction la médiation de la division du travail, qu’en interposant dans le travail lui-même donc, dans le désir aussi bien que dans la satisfaction, la médiation d’un monde. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Ce fait n’a pas échappé à Marx, qui en parle régulièrement mais concurremment avec le point de vue matérialiste. Surtout, il n’a rien su en faire."


(1981. Je pioche pour l’heure dans la Revue de Préhistoire contemporaine, revue historique au numéro unique…)