"Cette religiosité qui est une sorte de préjugé inconscient…"
Quelques mises au point de Chesterton, toujours aussi utiles et actuelles :
"En ce qui me concerne, je suis entièrement favorable à la propagande, et une bonne partie de mes écrits est délibérément propagandiste. Mais même quand mon travail n’est en aucune façon propagandiste, il est probablement rempli des implications découlant de ma propre religion, car c’est ce qu’on entend précisément par le fait d’avoir une religion. Ainsi les plaisanteries d’un bouddhiste, s’il y en avait, seraient des plaisanteries bouddhistes. De même, à supposer qu’un méthodiste-calviniste jubilerait en chants d’amour, il jubilerait en chants d’amour méthodistes-calvinistes. Les catholiques ont de leur côté produit plus de blagues et de chants d’amour que les calvinistes et les bouddhistes. En effet, conservant une sacro-sainte façade, les calvinistes et les bouddhistes n’ont pas obtenu de religion si large et si humaine. Mais, de toutes manières, leurs propos seraient systématiquement imprégnés de leurs convictions ; c’est du bon sens qui semble évident par lui-même, bien que je prévoie déjà toutes les difficultés qui surgiront à ce sujet dans le cas unique et isolé de l’Église catholique.
Pour mettre les choses au point, ce que je viens de dire serait vrai de toute religion qui en est vraiment une, seulement une bonne partie du monde moderne déborde de cette religiosité qui est plutôt une sorte de préjugé inconscient. Le bouddhisme est effectivement une religion, ou en en tout cas il est vraiment une philosophie. Le calvinisme était vraiment une religion, effectivement dotée d’une théologie. Mais l’esprit de l’homme moderne est un mélange curieux de calvinisme décomposé et de bouddhisme dilué, et il exprime sa propre philosophie sans même savoir qu’il en a une. Nous [les catholiques], nous disons ce qu’il nous est naturel de dire, mais nous savons ce que nous affirmons, c’est pourquoi on présume que nous le disons pour produire de l’effet. L’homme moderne dit ce qu’il lui est naturel de dire, mais il ne sait pas ce qu’il affirme, encore moins pourquoi il l’affirme. Alors on ne l’accuse pas de proférer des dogmes dans le but de les révéler au monde, car il ne les a pas vraiment révélés à lui-même. Il est tout autant un partisan, tout autant un particulariste, il dépend tout autant d’un système doctrinal particulier, distinct des autres. Mais il a pris si souvent ses dogmes pour accordés qu’il a oublié ce qu’ils étaient. Alors sa littérature ne lui paraît pas partisane, même lorsqu’elle l’est effectivement. Mais notre littérature lui paraît systématiquement propagandiste, même quand elle ne l’est pas. (…)
[L’homme moderne] dépend vraiment de ces deux dogmes, qu’il n’ose nullement remettre en question et que par ailleurs il est incapable d’énoncer. Ces dogmes sont les suivants : premièrement, l’humanité s’améliore systématiquement au cours du temps ; et deuxièmement, cette amélioration consiste dans une indifférence toujours plus grande à l’égard du phénomène miraculeux. Aucune de ces deux affirmations ne peut être prouvée. Et il va sans dire que celui qui les implique ne peut les prouver, car il ne peut même pas les énoncer. Mais dans la mesure où ces affirmations font partie des choses sujettes à démonstration, il est possible d’en démontrer la fausseté. Car il y eut certainement des périodes historiques de rechute et de retour en arrière, et il y a certainement des civilisations très organisées, portées sur la science, qui sont très excitées concernant le surnaturel, un peu comme les gens le sont aujourd’hui au sujet du spiritisme. Mais de toutes façons il faut au préalable accepter ces dogmes sur parole d’autorité, comme absolument vrais… (…)
La seule différence [entre l’homme moderne et moi], c’est que je peux défendre mon dogme, alors que lui ne peut même pas définir le sien.
Autrement dit, le monde contemporain ignore complètement que tous les romans et les journaux qu’il lit ou écrit [ou les séries Netflix !, note de AMG] sont en fait remplis de suppositions précises, qui s’avèrent en fait aussi dogmatiques que les dogmes. Je suis d’accord avec certaines de ces suppositions, comme l’idéal de l’égalité humaine, sous-entendu dans toutes les histoires romantiques depuis Cendrillon jusqu’à Oliver Twist, ou la vérité que les riches offensent Dieu en méprisant la pauvreté. Avec quelques-unes d’entre elles je ne suis pas du tout d’accord (…). Le problème vient de ce que toutes ces suppositions, vraies ou fausses, soient ressenties comme supposées d’avance, comme ce à quoi on fait nécessairement allusion, ou tout simplement comment ce qu’on prend tout naturellement comme ça vient. On ne les ressent pas comme si elles étaient prêchées et c’est pourquoi on ne les traite pas de propagande. Pourtant, dans la pratique, elles ont le double caractère de la propagande : elles impliquent des points de vue avec lesquels tout le monde n’est pas d’accord, et elles répandent ces points de vue par des moyens de fiction et de la littérature populaire."
Et des séries Netflix…
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