jeudi 1 août 2019

"Personne ne l’a trouvé assez important pour mentir à son sujet..."

Après Bonnard, Chesterton - lui aussi auteur d’un Saint François d’Assise, mais ce n’est pas le sujet des lignes qui suivent, consacrées à l’histoire médiévale anglaise et à quelques considérations d’ordre psycho-méthodologique : 

"Aux temps de la barbarie, aucun héros n’est barbare. Les héros ne sont héros que s’ils sont anti-barbares. Des hommes, réels ou mythiques, ou plus probablement les deux, devinrent, tels les dieux, omniprésents dans la société, et s’introduisirent dans le souvenir le plus vague et le récit le plus bref dans la même proportion exactement qu’ils avaient dompté la folie païenne de l’époque et sauvegardé la rationalité chrétienne venue de Rome. Arthur a un nom parce qu’il a tué les païens ; les païens qui l’ont tué n’ont pas de nom du tout. (…)

Cet âge-là est l’âge des légendes. A l’égard de ces légendes, la plupart des hommes adoptent par instinct une saine attitude, et, des deux, la crédulité est certainement bien plus saine que l’incrédulité. Que la plupart des histoires soient vraies compte fort peu, et (comme dans le cas de Bacon et de Shakespeare) comprendre que la question ne compte pas est le premier pas vers la bonne réponse. Toutefois, avant de rejeter ce qui pourrait ressembler à une tentative de narrer par ses légendes les premiers temps de l’histoire de ce pays, le lecteur fera bien de garder ces deux principes en tête, tous deux tendant à corriger le scepticisme grossier et très irréfléchi qui a rendu cette partie de l’histoire à ce point stérile. Les historiens du XIXe siècle avaient pour curieux principe de renier tous les personnages sur lesquels on raconte des histoires, pour se concentrer sur ceux dont on ne dit rien. D’Arthur ils font ainsi quelqu’un d’absolument impersonnel, parce que toutes les légendes sont des mensonges, mais ils font une personnalité éminente de quelqu’un du genre de Hengist, pour la simple raison que personne ne l’a trouvé assez important pour mentir à son sujet. Une foule d’aphorismes brillants sont attribués à Talleyrand, qui en réalité ont été prononcés par d’autres. Mais ils ne lui seraient pas attribués s’il avait été un idiot, encore moins s’il avait été une fable. Que l’on raconte des histoires fictives sur une personne est, neuf fois sur dix, une preuve excellente qu’il existait quelqu’un à propos de qui les raconter. (…)

Quand il s’agit de l’imagination populaire, il convient de ne pas oublier un dernier point. Surtout pour ceux qui s’appuieraient uniquement sur des documents et négligeraient tout à fait la tradition. Les effets de la crédulité, en matière d’histoires de bonne femme, ne seront jamais aussi extravagants que les erreurs qui risquent de survenir si l’on croit aux preuves écrites quand elles sont fort peu nombreuses. (…) Un fait isolé, sans la clé de la pensée d’alors, peut se révéler beaucoup plus trompeur que n’importe quelle fable. Savoir quel mot a écrit un scribe archaïque sans être sûr de ce dont il parlait peut donner un résultat littéralement fou."


(Je me suis laissé dire que les études bibliques, notamment en France, étaient ainsi restés fort XIXe siècle d’esprit, que le moindre fragment un peu opaque découvert au XXIe siècle et d’auteur bien sûr totalement inconnu y était plus pris au sérieux - a fortiori si l’on estimait pouvoir en déduire quelque chose d’anti-catholique… - qu’une tradition doublement millénaire et tout de même quelque peu contrôlée au fil du temps. Mais ce ne sont sûrement là que des on-dit paranoïaques de chrétiens déboussolés et réactionnaires.)