En lisant en écrivant (Chateaubriand IV.)
Une phrase que je trouve remarquable, trouvée dans Chateaubriand. Poésie et terreur, de Marc Fumaroli (éd. de Fallois, 2003, p. 96), mais qui nécessite un petit préambule explicatif.
Dans un chapitre construit sur une antithèse entre Chateaubriand et Talleyrand, l'auteur montre que le premier n'a jamais aimé l'Ancien Régime, c'est-à-dire l'absolutisme, mais qu'il a aimé "le royaume", c'est-à-dire la France féodale dans toute sa variété, aussi bien synchronique que diachronique, alors que Talleyrand se sentait comme un poisson dans l'eau au sein de ce milieu d'intrigues en tous genres. Et pourtant, après la Révolution et durant tous les changements de régimes qui s'ensuivirent, Chateaubriand resta fidèle à la royauté, tandis que Talleyrand épousa de près ou de très près toutes les causes momentanément victorieuses. Chateaubriand n'exerça un réel rôle politique que dans les années 1820, avant de quitter la scène avec la légitimité en 1830, lorsque s'installa la monarchie de Juillet, régime fort bourgeois (et grand installateur du capitalisme en France) dirigé par Louis-Philippe, fils du régicide Philippe-Égalité, régime qui vit justement Talleyrand revenir sur le devant de la scène.
Lorsqu'ils moururent, le combat pour la gloire entre Talleyrand et Chateaubriand, lesquels par ailleurs se détestaient, parut donc remporté par le premier. C'était sans compter sur les Mémoires d'outre-tombe, qui (avec le soutien du Mémorial de Sainte-Hélène, dicté par Napoléon et dans lequel il rejetait la responsabilité de certaines de ses erreurs sur Talleyrand) endommagèrent durablement la postérité du ministre polyvalent. Au point que certains de ses proches réunirent ses papiers intimes pour en faire des Mémoires supposés rétablir son image. Selon Fumaroli, non seulement la silhouette de "momie diplomatique" qui ressort de cette compilation aurait inspiré à Proust le personnage très prétentieux et ridicule de Norpois dans la Recherche, mais cette transfusion aurait été pour le plus génial pédé juif de l'histoire une façon de se solidariser avec Chateaubriand, d'un poète l'autre, contre les figures et l'histoire officielles. (Ajout le 15.05.07 : ayant récemment relu la Rercherche, je ne suis pas pleinement convaincu par cette interprétation, mais il est vrai qu'il me manque la connaissance des écrits de Talleyrand.)
Nous y voilà donc :
"Charles Péguy a pu écrire : « La République, notre royaume de France ». S'il est vrai que Chateaubriand a fait de ses Mémoires, pour répondre à la fausse royauté de Juillet, un royaume concurrent, libre, divers, ouvert, Proust a inventé pour ce royaume poétique, sous la IIIème République, une sorte de second règne. Par cette succession littéraire, en l'absence du roi, c'est par deux fois un poète, c'est son "moi profond" qui, selon sa perspective funèbre, a créé le double éternel d'une France éphémère."
Je rappelle que quand je parle, à propos de ce qu'aimait Chateaubriand, de "France féodale", cela désigne la population entière, pas seulement les nobles. On peut rapprocher tout cela d'une incise du même Proust sur un personnage d'aristocrate, Saint-Loup, afin d'expliquer pourquoi celui-ci refusait de se présenter aux élections législatives : "Mais peut-être aimait-il trop sincèrement le peuple pour arriver à conquérir les suffrages du peuple, lequel pourtant lui aurait sans doute, en faveur de ses quartiers de noblesse, pardonné des idées démocratiques."
Dans un chapitre construit sur une antithèse entre Chateaubriand et Talleyrand, l'auteur montre que le premier n'a jamais aimé l'Ancien Régime, c'est-à-dire l'absolutisme, mais qu'il a aimé "le royaume", c'est-à-dire la France féodale dans toute sa variété, aussi bien synchronique que diachronique, alors que Talleyrand se sentait comme un poisson dans l'eau au sein de ce milieu d'intrigues en tous genres. Et pourtant, après la Révolution et durant tous les changements de régimes qui s'ensuivirent, Chateaubriand resta fidèle à la royauté, tandis que Talleyrand épousa de près ou de très près toutes les causes momentanément victorieuses. Chateaubriand n'exerça un réel rôle politique que dans les années 1820, avant de quitter la scène avec la légitimité en 1830, lorsque s'installa la monarchie de Juillet, régime fort bourgeois (et grand installateur du capitalisme en France) dirigé par Louis-Philippe, fils du régicide Philippe-Égalité, régime qui vit justement Talleyrand revenir sur le devant de la scène.
Lorsqu'ils moururent, le combat pour la gloire entre Talleyrand et Chateaubriand, lesquels par ailleurs se détestaient, parut donc remporté par le premier. C'était sans compter sur les Mémoires d'outre-tombe, qui (avec le soutien du Mémorial de Sainte-Hélène, dicté par Napoléon et dans lequel il rejetait la responsabilité de certaines de ses erreurs sur Talleyrand) endommagèrent durablement la postérité du ministre polyvalent. Au point que certains de ses proches réunirent ses papiers intimes pour en faire des Mémoires supposés rétablir son image. Selon Fumaroli, non seulement la silhouette de "momie diplomatique" qui ressort de cette compilation aurait inspiré à Proust le personnage très prétentieux et ridicule de Norpois dans la Recherche, mais cette transfusion aurait été pour le plus génial pédé juif de l'histoire une façon de se solidariser avec Chateaubriand, d'un poète l'autre, contre les figures et l'histoire officielles. (Ajout le 15.05.07 : ayant récemment relu la Rercherche, je ne suis pas pleinement convaincu par cette interprétation, mais il est vrai qu'il me manque la connaissance des écrits de Talleyrand.)
Nous y voilà donc :
"Charles Péguy a pu écrire : « La République, notre royaume de France ». S'il est vrai que Chateaubriand a fait de ses Mémoires, pour répondre à la fausse royauté de Juillet, un royaume concurrent, libre, divers, ouvert, Proust a inventé pour ce royaume poétique, sous la IIIème République, une sorte de second règne. Par cette succession littéraire, en l'absence du roi, c'est par deux fois un poète, c'est son "moi profond" qui, selon sa perspective funèbre, a créé le double éternel d'une France éphémère."
Je rappelle que quand je parle, à propos de ce qu'aimait Chateaubriand, de "France féodale", cela désigne la population entière, pas seulement les nobles. On peut rapprocher tout cela d'une incise du même Proust sur un personnage d'aristocrate, Saint-Loup, afin d'expliquer pourquoi celui-ci refusait de se présenter aux élections législatives : "Mais peut-être aimait-il trop sincèrement le peuple pour arriver à conquérir les suffrages du peuple, lequel pourtant lui aurait sans doute, en faveur de ses quartiers de noblesse, pardonné des idées démocratiques."
Libellés : Chateaubriand, Fumaroli, Napoléon, Péguy, Proust, Talleyrand
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