"Aussi simple que cela puisse paraître..."
En guise de rédémarrage... Comme je ne sais pas s'il faut reprendre les choses par le versant Sahlins, le versant Musil ou le versant Maistre, je vous livre aujourd'hui quelques propos de Wittgenstein, présentés comme de juste par J. Bouveresse (Essais, t. 1., Agone, 2000) :
"Wittgenstein note : « Aussi simple que cela puisse paraître : la différence entre magie et science peut s'exprimer dans le fait qu'il y a dans la science un progrès, et pas dans la magie. La magie n'a pas de direction d'évolution qui réside en elle-même. » Dans certaines sociétés, le prêtre ou le roi est supposé détenir un pouvoir surnaturel qui lui permet de contrôler et de modifier le cours des événements naturels. Wittgenstein remarque que : « Cela ne veut naturellement pas dire que le peuple croit le maître doué de ces pouvoirs et que la maître, lui, sait très bien qu'il ne les a pas, ou ne ne le sait pas simplement lorsqu'il s'agit d'un fou ou d'un imbécile. La notion de son pouvoir, au contraire, est naturellement établie, de telle manière qu'elle puisse s'accorder avec l'expérience - celle du peuple et la sienne propre. Il est vrai de dire qu'une certaine hypocrisie joue là-dedans un rôle dans la mesure seulement où, d'une manière générale, elle est facile à voir dans presque tout ce que font les hommes. » Nous sommes à l'évidence tentés de dire que l'idée qu'un roi puisse faire pleuvoir est en totale contradiction avec l'expérience. Mais, dit Wittgenstein, cela n'est rien de plus qu'un commentaire conceptuel sur ce que nous appelons « expérience » et « accord avec l'expérience ». Pour les gens qui ont une croyance de ce genre, s'ils l'ont véritablement, il est clair qu'elle n'est pas en contradiction avec l'expérience, et il serait tout à fait futile d'essayer de les persuader de l'abandonner en attirant leur attention sur le fait qu'elle l'est bel et bien." (p. 206)
Sur l'expérience, outre vous renvoyer à ce que j'ai déjà cité ici, je peux vous fournir une autre citation de Wittgenstein :
"Les limites de l'empirie ne sont pas des assomptions non garanties ou des assomptions reconnues intuitivement comme correctes ; mais des manières de comparer et d'agir." (Remarques sur les fondements des mathématiques, 309, cité par J. Bouveresse p. 173)
Je reviens sur le passage que j'ai souligné : Wittgenstein formule ici d'une autre manière ce que j'essaie de dire de temps à autre contre Castoriadis, et sur la façon dont il me semble trop vouloir assimiler « autonomie » et « transparence » : on peut discuter de tout, tout remettre en question, au moins pour voir ce qui en ressort, mais ce n'est pas tomber dans le cynisme ou ce que Castoriadis appelle une « philosophie de préfet de police libertin » ("Moi je sais que le Ciel est vide, mais les gens doivent croire qu'il est plein, autrement ils n'obéiront pas à la loi. Quelle misère !") que, premièrement, constater que la notion de croyance n'est pas si univoque qu'il pourrait paraître et peut comporter une conscience plus ou moins claire de sa propre relativité, ou, comme le dit Wittgenstein, une « certaine hypocrisie », et, deuxièmement, de s'interroger sur le pourquoi de ce flou que les peuples et ceux qui les composent maintiennent souvent, plus ou moins volontairement, sur leurs rapports à leurs croyances (religieuses, mythologiques, patriotiques). Qu'il y ait eu, en France au XVIIIe par exemple, des évêques aussi cyniques que peu croyants et qui utilisaient la religion comme « opium du peuple », que l'on retrouve cette tendance chez M. Sarkozy actuellement, n'implique pas l'imposture de toute notion de souveraineté et de tout symbolisme, explicitement religieux ou non, accolé à la souveraineté. Et, je le rappelle encore, c'est un point sur lequel il me semble y avoir une certaine continuité entre les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes.
Vive la France !
"Wittgenstein note : « Aussi simple que cela puisse paraître : la différence entre magie et science peut s'exprimer dans le fait qu'il y a dans la science un progrès, et pas dans la magie. La magie n'a pas de direction d'évolution qui réside en elle-même. » Dans certaines sociétés, le prêtre ou le roi est supposé détenir un pouvoir surnaturel qui lui permet de contrôler et de modifier le cours des événements naturels. Wittgenstein remarque que : « Cela ne veut naturellement pas dire que le peuple croit le maître doué de ces pouvoirs et que la maître, lui, sait très bien qu'il ne les a pas, ou ne ne le sait pas simplement lorsqu'il s'agit d'un fou ou d'un imbécile. La notion de son pouvoir, au contraire, est naturellement établie, de telle manière qu'elle puisse s'accorder avec l'expérience - celle du peuple et la sienne propre. Il est vrai de dire qu'une certaine hypocrisie joue là-dedans un rôle dans la mesure seulement où, d'une manière générale, elle est facile à voir dans presque tout ce que font les hommes. » Nous sommes à l'évidence tentés de dire que l'idée qu'un roi puisse faire pleuvoir est en totale contradiction avec l'expérience. Mais, dit Wittgenstein, cela n'est rien de plus qu'un commentaire conceptuel sur ce que nous appelons « expérience » et « accord avec l'expérience ». Pour les gens qui ont une croyance de ce genre, s'ils l'ont véritablement, il est clair qu'elle n'est pas en contradiction avec l'expérience, et il serait tout à fait futile d'essayer de les persuader de l'abandonner en attirant leur attention sur le fait qu'elle l'est bel et bien." (p. 206)
Sur l'expérience, outre vous renvoyer à ce que j'ai déjà cité ici, je peux vous fournir une autre citation de Wittgenstein :
"Les limites de l'empirie ne sont pas des assomptions non garanties ou des assomptions reconnues intuitivement comme correctes ; mais des manières de comparer et d'agir." (Remarques sur les fondements des mathématiques, 309, cité par J. Bouveresse p. 173)
Je reviens sur le passage que j'ai souligné : Wittgenstein formule ici d'une autre manière ce que j'essaie de dire de temps à autre contre Castoriadis, et sur la façon dont il me semble trop vouloir assimiler « autonomie » et « transparence » : on peut discuter de tout, tout remettre en question, au moins pour voir ce qui en ressort, mais ce n'est pas tomber dans le cynisme ou ce que Castoriadis appelle une « philosophie de préfet de police libertin » ("Moi je sais que le Ciel est vide, mais les gens doivent croire qu'il est plein, autrement ils n'obéiront pas à la loi. Quelle misère !") que, premièrement, constater que la notion de croyance n'est pas si univoque qu'il pourrait paraître et peut comporter une conscience plus ou moins claire de sa propre relativité, ou, comme le dit Wittgenstein, une « certaine hypocrisie », et, deuxièmement, de s'interroger sur le pourquoi de ce flou que les peuples et ceux qui les composent maintiennent souvent, plus ou moins volontairement, sur leurs rapports à leurs croyances (religieuses, mythologiques, patriotiques). Qu'il y ait eu, en France au XVIIIe par exemple, des évêques aussi cyniques que peu croyants et qui utilisaient la religion comme « opium du peuple », que l'on retrouve cette tendance chez M. Sarkozy actuellement, n'implique pas l'imposture de toute notion de souveraineté et de tout symbolisme, explicitement religieux ou non, accolé à la souveraineté. Et, je le rappelle encore, c'est un point sur lequel il me semble y avoir une certaine continuité entre les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes.
Vive la France !
Libellés : Bouveresse, Castoriadis, Wittgenstein
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