jeudi 29 octobre 2009

"La décadence est notre avenir."

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J'apprends un peu par hasard le décès de Pierre Chaunu. Je me souviens du grincheux, régulièrement invité par B. Pivot, qui ne manifestait pas une folle passion (ou qui manifestait une passion follement haineuse) pour la Révolution Française. Je lis qu'il vaut mieux oublier ses positions sur la pilule et l'avortement, et se souvenir de ses qualités d'historien braudélien - en plus le pauvre était triste de n'avoir pas connu sa maman, ça doit expliquer (comment ?) des choses.

Sans entrer, au moins pour l'heure, dans des débats sur la contraception et la légalisation de l'avortement, j'aimerais que l'on m'explique comment on peut être aussi bon historien et démographe, ce que tout le monde semble-t-il reconnaît à Pierre Chaunu, et aussi inepte dès que l'on s'exprime sur des sujets tellement importants, pour la démographie, que la pilule et la loi Weil, pour l'histoire, que la Révolution française.

Quoi qu'il en soit, ayant lu le très stimulant Histoire et décadence (Perrin, 1981) il y a quelques mois - je le gardais sous le coude en attendant d'avoir lu d'autres livres du même Chaunu, et, plus généralement, d'avoir un peu approfondi une connaissance de la démographie dont le livre de P. Yonnet, Le recul de la mort, m'a révélé la grande importance -, je vous livre cet intéressant passage, intéressant en lui-même et par ce qu'il révèle de ce que l'on pouvait déjà prévoir il y a presque trente ans (le début de la citation fait allusion au politiques de planning familial, qui, à l'Est comme à l'Ouest, aboutissent à la chute de la natalité en-dessous du seuil fatidique pour le renouvellement des générations de 2,1 enfants par femme) :

"La décision catastrophique d'engager pouvoir, argent, investissement, pour obtenir en trente ans une forme de transition démographique que l'expérience, la connaissance et la raison conseillaient de déployer au moins sur un siècle [P. Chaunu ne nie pas qu'avec l'allongement de la durée de la vie une baisse de la natalité était souhaitable] découle de la transgression d'une règle qui me semble commander notre survie, dans ce doublement dangereux de tant de caps difficiles. Cette règle est celle du respect maximal de l'acquis dans le cadre politique : ne rien détruire de ce qui a été édifié à partir des matériaux de l'Histoire. Cela implique de maintenir, partout, ce qu'il subsiste de famille nucléaire [c'est un point sur lequel P. Chaunu était peut-être trop inquiet], et il ne serait pas absurde, partout où c'est encore possible, de restaurer ce qui reste d'échelon familial polynucléaire - il est connu que les pays socialistes survivent grâce aux babas, les grands-mères, entendez grâce à une forme, qui nous paraît peut-être à tort archaïque, de famille souche (stern family disent les Anglo-Saxons). Il convient donc d'assurer le maintien des communautés, partant, des États-nations qui les coiffent. Il faut avoir la sagesse de refuser toute construction supranationale, pourtant nécessaire, qui ne repose pas sur la simple confédération lentement et prudemment négociée, par compromis, entre nations totalement et intégralement respectées. La transgression de cette règle nous a coûté trop cher pour que le danger ne soit pas, il est vrai sans succès, dénoncé.

Le collapsus démographique aura fait apparaître - on pourra le mesurer dans la décennie 1990-2000 - un phénomène que j'ai proposé d'appeler la décadence objective. Vous en connaissez la règle : remplacer le chiffre de la population par la somme cumulée des espérances de vie de tous les membres du corps social. La population en espérance de vie de l'ensemble du monde industriel décroît depuis 1972-1973.

Il faudrait ajouter à ce chiffre brut un coefficient pour la quantité d'information disponible et effectivement transmise, un coefficient de viscosité qui permettrait d'apprécier la transmission de l'acquis du sommet vers la base de la pyramide des âges.

Depuis 1965, en Amérique, 1970, en Europe occidentale, la détérioration des systèmes éducatifs est telle que l'on peut affirmer que la décrue que l'on observe sur le volume des espérances de vie est plus rapide encore sur la pyramide de la reprogrammation du savoir. L'acquis ne passe plus. Le vieillissement s'accompagne d'une viscosité qui empêche l'écoulement de l'acquis. (...)

Tout bien cumulé, c'est sans doute par un large amenuisement de l'héritage culturel que s'est soldée à l'échelle planétaire (...) la décennie 1971-1980." (pp. 328-29 ; je me suis permis de corriger par endroits, à fins de clarté, la ponctuation.)


paradepng


Une société de vieux qui ne transmet pas son savoir, et qui insulte ses rares jeunes - car les jeunes sont rares, c'est une des raisons pour lesquelles nous, et pas seulement Frédéric Mitterrand, faisons porter tant de choses sur leurs frêles épaules - Paul Yonnet écrit de belles choses sur ce sujet -, et qui se lamente que les jeunes ne recueillent pas ce ou ces savoirs, n'est-ce pas une bonne description de la France ou des États-Unis ? Le « jeunisme » est une malédiction aussi pour les jeunes, tout parent le sait, à défaut de l'admettre. Il est vrai que les vieux ont aussi beaucoup à porter sur leurs épaules flageolantes.


Q2001208


N'est-ce pas un problème d'équilibre général ? Ne vaudrait-il pas la peine, non pas comme notre ministre de jsaispasquoi, parce qu'on en a « envie » - quels grands enfants, ces sarkozystes, tellement fiers de leurs envies ! - "papa, j'ai envie de lancer un débat sur l'identité nationale !" -, mais parce que cela clarifierait certaines choses, de mettre en rapport la natalité française, la place des femmes dans la société, et l'immigration ? Au lieu que de séparer tous les problèmes au nom de valeurs peut-être respectables, mais sans que cela contribue nécessairement au bien commun. Je reviendrai sur ces questions d'identité nationale qui sont au centre de mes préoccupations actuelles, mais que cela soit dit : si on en parle, on ne peut le faire sans évoquer la place des femmes sur le « marché du travail », c'est-à-dire sur le marché de l'esclavage salarié. Ceci écrit sans préjuger d'aucune « solution ».


newkidsintheneighborhood1967-1

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