lundi 18 juillet 2011

"Si l'on peut dire..." (Ajout le 22.07.)

Après que Simone Weil eut connu en elle, à la fin des années 30, la présence du Christ, elle voulut savoir si elle pouvait devenir officiellement chrétienne. Son désir de communier entrait en conflit avec son besoin de savoir si l'Église pouvait l'accepter telle qu'elle était, c'est-à-dire, entre autres difficultés, fermement convaincue de ce que le Verbe s'était incarné avant le Christ et ailleurs qu'en Palestine (en Égypte, en Inde...), convaincue que l'on pouvait être « païen » et authentiquement proche de Dieu et du Christ.

Les prêtres qu'elle rencontra alors furent plus ou moins souples par rapport à ces principes. L'un d'eux finit par lui proposer de la baptiser, mais cela ne suffit pas à vaincre les réticences de S.W., qui ne put se résoudre à accepter ce sacrement sans être totalement sûre d'adhérer du fond d'elle-même à ce qu'il implique. Aussi répondit-elle :

"En ce moment je serais plutôt disposée à mourir pour l'Église, si elle a besoin un jour prochain qu'on meure pour elle, qu'à y entrer. Mourir n'engage à rien, si l'on peut dire ; cela n'enferme pas de mensonge."



Ajout le 22.07.

J'avais délibérément laissé ces deux phrases exemptes de commentaires, je m'aperçois après coup qu'elles trouvent un écho dans la célèbre sentence de Céline : "Il faut choisir, mourir ou mentir." Une nouvelle fois, Simone Weil apparaît comme quelqu'un qui entreprend une tâche quelque peu surhumaine. On voit d'ailleurs dans la biographie écrite par S. Pétrement que sa mort a quelque chose à voir avec une forme d'honnêteté : puisque je ne peux être utile à rien (elle était très déçue de ne pas voir ses projets, soumis à de Gaulle et à d'autres résistants basés à Londres, pris en considération, elle avait l'impression d'être cantonnée à des activités sans intérêts, alors même qu'elle venait d'écrire L'enracinement...), autant s'en aller que de rester là à ne rien faire... A la vérité, il n'est pas évident que S. W. se soit vraiment laissée mourir, comme on a pu l'écrire. Mais c'est comme si son corps, qu'elle n'avait guère ménagé, avait dit stop, avait au moins réclamé une longue pause, au moment même où son esprit devait s'avouer une forme d'échec. Comme si son corps, avec honnêteté donc, se mettait à l'unisson avec l'âme - et choisissait, sinon de se tuer, en tous cas de mourir plutôt que de mentir. ("Je n'ai jamais pu me tuer, moi", ajoutait Bardamu-Céline.)

Et bien sûr, on ne peut que se dire que Simone Weil avait peut-être encore beaucoup de choses à écrire et de messages à transmettre, qu'elle se jugeait trop sévèrement... Mais d'une part ce n'est pas si sûr, elle avait peut-être communiqué l'essentiel de ce qu'elle avait à communiquer ; d'autre part, sans cette sévérité à l'égard de soi-même elle n'aurait pas été la Simone Weil qu'elle a été et qu'on lit encore. Si ce raisonnement paraît trop rigide, il suffit d'imaginer une hypothèse contraire, S. W. vivant jusqu'à 80 ans ou plus et mourant de sa belle mort (comme sa contemporaine Leni Riefenstahl...), pour en comprendre le sens.

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