Du délinquant sexuel, financier et spirituel comme symbole du démocrate contemporain.
Roman Polanski a-t-il drogué puis violé une gamine ? En prenant la précaution de seulement l'enculer, histoire de ne pas l'engrosser et de ne pas avoir un gamin sur les bras (c'était le temps béni d'avant l'ADN, quand le seul vrai risque était qu'un nouveau corps du délit apparaisse quelques mois après...) ? Oui, les faits sont admis. Frédéric Mitterrand a-t-il payé des jouvenceaux thaïlandais pour prendre son plaisir sur et dans eux ? Oui, il s'en est vanté, et a même récolté de l'argent en vendant un livre où il relate les faits - ce qui, je le précise, est son droit le plus strict, même si l'on peut considérer que c'est une manière quelque peu cynique d'amortir son investissement de départ (le beurre et l'argent du beurre, toujours…). Dominique Strauss-Kahn a-t-il purement et simplement violé une femme de ménage ? Je n'en sais rien : il y a des présomptions semble-t-il fortes, mais je n'en sais rien. Un ancien ministre a-t-il organisé une partouze pédo-colonialiste au Maroc, avec étouffement politique de l'affaire à la clef ? Ce n'est pas impossible.
Le point commun entre ces diverses affaires, ce qui choque en elles, ce qui fait d'elles, justement, des « affaires », n'est pas la sexualité. A l'inverse de ce que certains aiment à faire croire, Popu, en France en tous cas, est d'une certaine largesse d'opinion, et sait bien, pour reprendre une expression de Feydeau, qu'"on n'est pas de bois" - fort heureusement. Cela ne signifie certes pas qu'il approuve toutes les formes de sexualité, mais que, non certes sans moqueries, il peut en admettre l'existence, il sait que ça existe. Le point commun, c'est le mépris, autant dans ce qui relève du fait avéré que dans ce qui pour l'heure est encore du domaine de la probabilité ou du fantasme, le mépris total de ce que peut penser « l'autre ». Polanski use de son prestige et de la drogue, Frédéric Mitterrand paie et engraisse un système mafieux, « DSK» ne se serait pas embarrassé de la question de l'accord de la demoiselle, le ministre aurait eu le bras long et mis la main à la poche pour satisfaire ce qu'il a dans le pantalon. Et c'est cela qui, dans ces affaires à l'heure actuelle plus ou moins réelles, choque Popu, et moi avec lui : un sentiment d'impunité, un manque total de prise en considération du consentement du ou de la « partenaire ». Une enfreinte aux lois de la séduction, sans lesquelles l'amour n'a pas grande importance.
Et cela choque d'autant plus - Popu comme bibi, là encore -, que ce mépris fait écho à celui des élites pour les voeux dudit Popu : il rechigne à la mondialisation, on lui répond qu'il n'a pas le choix ; il fait l'effort de voter contre le TCE, on le lui impose, il n'est pas spécialement va-t-en guerre, et se retrouve embarqué en Afghanistan ou en Libye sans être sûr que cela soit tout à fait nécessaire, il ne se réjouit pas de l'immigration régulière et de ses conséquences, on le traite de raciste et de fainéant, etc.
Il s'en faut pourtant que je trouve personnellement Popu irréprochable ou qu'il ait raison sur tout. Mais il a cent fois raison, oui, de demander une certaine cohérence de base dans ce qu'on lui dit, et je comprends qu'il ait peine à comprendre pourquoi il aurait tous les torts, quand ceux qui le dirigent non seulement se font du beurre sur son dos, non seulement se permettent des choses qui l'enverraient lui, en prison, mais trouvent alors des défenseurs à qui les journaux donnent toute place pour s'exprimer. Ainsi que me le disait hier une connaissance nouvelle et enrichissante, imaginons les cris d'un BHL ou d'un Cohn-Bendit - dont je n'ai jamais trouvé les célèbres pages philo-pédophiles du Grand bazar aussi innocentes ou insignifiantes qu'on veut parfois bien le dire - si un camionneur ou un petit fonctionnaire s'était laissé aller à violer une femme de chambre immigrée… Que n'aurait-on pu entendre alors sur la France rance, le machisme, l'esprit colonialiste !
J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, un des principaux facteurs déclenchants de la Révolution française fut l'exaspération envers l'arbitraire, un sentiment, justifié ou non, mais bien réel, d'une « justice à deux vitesses ». Nos « élites » se comportent comme si violer une femme, une gamine ou l'opinion d'un peuple, exprimée dans les règles de l'art, pouvait sans problème d'aucune sorte se légitimer pour certains. Non seulement si, cela pose problème en régime démocratique, mais cela devient carrément kafkaïen quand cela vient de personnes qui revendiquent haut et fort leurs convictions démocratiques, et qui y sont si attachées qu'elles peuvent faire balancer des bombes sur ceux qui ne sont pas d'accord !
(Faut-il aller jusqu'à lier démocratie et mépris du consentement public ? Sans que cela conduise à l'idéalisation d'autres régimes qui par définition se passent de ce consentement, on peut émettre cette hypothèse, qui se trouve déjà, si ma mémoire ne flanche pas, chez Maurras : la mauvaise conscience et l'amertume des politiciens envers toutes les courbettes qu'il doivent faire au peuple, toutes les conneries qu'ils entendent à longueur de journée et dont certes Popu peut être prodigue, tout cela finit par leur donner un certain mépris du peuple, une certaine nausée d'eux-mêmes. "Ils sont vraiment trop cons..." ; "On peut leur faire gober n'importe quoi..." - Violer une femme ou une jeune fille, payer des garçons (i.e. leurs macs) n'est pas tant lié à ces phénomènes, ou indirectement : plus à la (re)constitution des élites comme classe sociale à part, qui n'a de comptes à rendre à personne qu'à son compte en banque, ses actionnaires et ses désirs. Le parallèle est à faire avec le gars qui met au chômage des centaines de personnes d'un simple clic en fermant une usine non rentable ou pas assez rentable à l'autre bout du continent, sans se soucier une seconde de ce que peuvent éprouver ceux qui perdent leur boulot.)
Ce pourquoi il serait quelque peu hâtif de s'offusquer d'une supposée exposition puritaine de la vie privée. Pour l'instant, ce n'est pas de cela qu'il s'agit : la réprobation publique envers ces diverses affaires ne repose pas tant sur une volonté de « grand déballage » que sur le sentiment que la façon dont certains « gèrent » leurs pulsions, en l'occurrence leur donnent libre cours, et, à l'exception peut-être de Frédéric Mitterrand, en toute bonne conscience, est un reflet ou un symbole de la façon dont ils gèrent le pays : à la hussarde, qui paie commande, qui est du bon côté du manche n'a que faire de celui ou celle qui a mal au cul.
- Le mal au cul comme prodrome de la révolution ? Cela serait si j'ose dire assez piquant, d'autant qu'une part de moi est pour le moins sceptique quant aux bienfaits des révolutions, ou, en langage contemporain, des « grands coups de balais ». Mais si ces affaires de moeurs, au premier rang desquelles l'affaire « DSK », qui est pour l'heure, sinon la plus accablante, du moins la plus symbolique - pas de réplique possible sur les modes anti-homophobe ou anti-réactionnaire -, si ces affaires pouvaient contribuer à une prise de conscience, ou augmenter la conscience de Popu pour le mépris dont il est l'objet de la part de ses « élites », et, encore une fois, sans tomber dans le travers de l'inquisition puritaine, alors… alors tant mieux !
Libellés : Attali, BHL, Cohn-Bendit, Feydeau, Frédéric Mitterrand, Maurras, Polanski, Pureblog, Resnais, Révolution française, Stavisky, Strauss-Kahn, Sutpen, TCE
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