samedi 18 juin 2011

Trop long pour un tweet (bis).

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On veut twitter, et on s'aperçoit qu'il manque juste quelques caractères pour s'exprimer sans trop d'approximation. Retour au comptoir donc, ce qui n'est après tout peut-être pas plus mal. J'essayais cette formule :

Qu'Alain Soral soit antisémite, comme je le crois, ne dit finalement rien, en bien ou mal, sur les Juifs. Cela ne les empêche même pas d'être cons, par exemple.

Que je sois à titre personnel betteravophobe ne change rien au goût (en l'occurrence parfaitement dégueulasse) des betteraves en salade. Ce qu'Alain Soral éprouve pour les Juifs - ou "les Juifs", si l'on veut - ne change rien à ce qu'ils sont, pour autant que l'on peut dire qu'ils sont quelque chose, une fois que l'on a dit qu'ils étaient juifs.

- Oui, cette accusation, que je vais détailler, contre Alain Soral me brûlait la plume depuis un certain temps, plus précisément depuis la lecture de Contre l'Empire, et je cherchais la façon la plus adéquate de la formuler. C'est en trouvant ce fil que j'ai pu écrire sans plus me poser des questions les mots "Alain Soral antisémite" : il fallait pouvoir le dire sans avoir l'impression, même à ma bien modeste échelle, de lui donner le coup de pied de l'âne. Pour être très simple : qu'Alain Soral soit antisémite n'empêche pas BHL d'être un enculé. Et la nuisance de BHL est certainement plus dommageable pour nous que l'antisémitisme d'Alain Soral. Précisons tout cela.

Après ma lecture de Comprendre l'Empire, j'avais commencé à écrire un texte sur ce sujet, en voici un extrait :

"Comme j'ai essayé de le montrer à partir du cas d'un antisémite revendiqué, ce cher Lucien Rebatet, l'antisémitisme n'est pas, contrairement à l'opinion répandue, en tout cas n'est pas fondamentalement, une histoire de « plus » et de « moins », une histoire de « ligne jaune franchie », de « basculement ». Avant l'antisémitisme, avant le philosémitisme, la différence se fait entre ceux qui pensent aux Juifs et ceux qui n'y pensent pas, ceux pour qui il y a une « question juive » et ceux pour qui elle ne se pose pas. J'ai été jusque vers ma trentième année parmi les seconds, je m'inclus maintenant, non d'ailleurs sans réserves, dans les premiers.

Et donc, c'était l'idée directrice de ce long texte sur Rebatet, à partir du moment où vous valorisez l'existence des Juifs, où vous considérez qu'à certains égards - qu'il vous appartient de préciser : culturels, ethniques, sociaux, religieux, économiques, etc. - ils sont différents des autres, vous entrez dans le domaine de l'antisémitisme et du philosémitisme, en ce sens qu'il n'y a pas de valorisation uniquement positive ou uniquement négative. Vous les trouvez intelligents, cela ouvre la porte à l'idée qu'ils sont rusés ; inversement, le fanatisme impulsif qu'un Rebatet leur reproche peut être vu comme un caractère passionné et dynamique.

Il doit bien être clair que dans mon esprit ces distinctions ne visent pas à renvoyer dos à dos tous les antisémites et tous les philosémites. On ne peut certes pas assimiler quelqu'un qui s'intéresse à l'histoire et à la culture juives dans son temps libre et notre ami Rebatet, complice volontaire et parfois un peu stupide de Hitler. Il s'agit d'essayer de clarifier les présupposés logiques et pour partie inconscients de ces discours sur la « question juive ». Mais il est vrai qu'il n'a jamais été question à ce comptoir de faire de l'antisémitisme un péché capital ou mortel. Je crois à l'élection du peuple juif - en partie d'ailleurs parce que le peuple juif y croit et agit d'une certaine manière parce qu'il y croit -, mais cette élection ne me semble pas aller jusqu'à conférer un caractère sacré aux critiques à l'encontre de ce peuple.

Ce pourquoi d'ailleurs je n'ai aucun problème à séparer le bon grain de l'ivraie dans une pensée sans trop me soucier que son auteur soit ou non antisémite - mais sans pour autant l'oublier. J'aime et vénère Céline et Rebatet ni parce qu'ils sont antisémites ni en faisant semblant qu'ils ne le sont pas, ni même malgré le fait qu'ils le sont, mais en tenant compte de ce qu'ils ne seraient pas eux-mêmes sans ça. Les deux étendards est un grand roman, qui, pour le coup, n'a rien d'antisémite, mais il n'aurait certainement pas la même force si l'auteur n'était pas passé plusieurs années par le journalisme politique tel qu'il le concevait."

Etc... Ici comme ailleurs, je sens que ça ne fonctionne pas lorsque j'ai l'impression d'être sentencieux et de pontifier. J'avais donc mis en suspens la rédaction de ce texte.

Reprenons maintenant le raisonnement. Entre autres choses, l'antisémite est quelqu'un qui pense trop aux Juifs. Je l'ai compris à travers le cri du coeur d'un ami, antisémite revendiqué, qui s'est aperçu un jour qu'il ne pouvait plus lire quelque nouvelle que ce soit dans le journal sans penser à eux... Il avait au fil du temps laissé les Juifs prendre tant de place dans sa vie qu'il ne pouvait se défaire de ce prisme d'analyse. Je pense qu'il y a quelque chose de ce genre chez A. Soral, le paradoxe étant que, même si l'on savait depuis longtemps que « la question juive » se posait pour lui, c'est justement le fait que Comprendre l'Empire évite cette « question » qui lui donne une certaine teinte d'antisémitisme, c'est justement cette façon d'aborder la « question » sans l'aborder qui, pour moi, a été le signe que cette « question » commençait à prendre trop de place.

Est-ce la crainte d'un procès ou d'un nouveau passage à tabac par le Betar, Alain Soral n'évoque dans son livre le judaïsme que du bout des lèvres, par allusions et expressions plus ou moins codées (« vétéro-testamentaire », « cosmopolite »...) : on peut, même avec des réserves, comprendre sa prudence, mais elle a pour résultat, à ce qu'il m'a semblé, de faire des Juifs, ou de certains Juifs - cela reste justement flou -, des sortes de grands manipulateurs de l'histoire universelle. Comme l'expression « théorie du complot » est connotée négativement, je ne voudrais pas l'employer au sujet de Comprendre l'Empire, qui, avec son état d'esprit marxiste, donne des informations précises sur certains détenteurs - personnes ou groupes - du grand capital. Mais, dans ce qui relève d'une logique de dévoilement des intentions des « méchants » - logique assumée et qui a sa légitimité -, évoquer précisément le rôle des catholiques, celui surtout des protestants, et glisser pudiquement mais non allusions perfides sur celui des Juifs, finit par suggérer qu'au bout du compte ce sont eux qui sont derrière tout ça.

C'est cette « suggestion » qui m'a gêné à la lecture, c'est à ce moment que je me suis dit que la forme d'antisémitisme qu'il n'est pas bien difficile de diagnostiquer chez Alain Soral devenait gênante, en ce qu'elle empiétait, et pour le coup de façon non clairement assumée, sur ses raisonnements. Si l'on veut parler en termes de « ligne jaune franchie », de « basculement », c'est ici qu'il faut le faire, quand il commence à y avoir des implications à la fois logiques et politiques dans ce qui était jusque-là un aspect de la personne d'A. Soral qu'il m'était, quant à moi, à tort ou à raison, assez aisé de dissocier du reste de ses démonstrations.

Et quitte à passer pour fat, je pense qu'Alain Soral pense comme moi à ce propos. J'ignore si la « suggestion » que j'ai évoquée était voulue par lui lors de la rédaction de son livre ou s'il en a constaté la portée sinon l'existence après relecture, mais le fait est qu'un des thèmes de ses interventions ces derniers temps est justement la volonté de préciser avec plus de clarté ce rôle des Juifs et du judaïsme dans l'histoire universelle comme dans les tensions du monde contemporain - avec, comme souvent chez lui, une première salve agressive complétée et nuancée par une deuxième approche plus sereine.

Qu'en conclure (à part que c'était vraiment trop long pour un tweet...), pas grand-chose, l'histoire est en cours. On se permettra de préférer, pour résumer notre propos, qu'Alain Soral exprime ses pensées clairement, qu'elles puissent être discutées, plutôt que de tenter de ruser avec un sujet certes difficile, comme il l'avait fait dans son livre. Je n'ai pas d'autre commentaire à faire - ou de leçon à donner... - pour l'instant.

- La prochaine fois Simone Weil, juive antisémite, on n'en sort pas...



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