Fume, c'est du réel...
Si le Président était présidente à l'occasion, est-ce que cela changerait quelque chose à certaines de ses analyses ? Je me faisais cette réflexion à la suite des éloges qu'Alain Soral fait des textes de son Félix Niesche, qu'il est pour le moins exagéré, et je suis gentil, de comparer à Léon Bloy - j'allais dire que celui-ci n'avait rien fait à Alain Soral, mais ce n'est peut-être pas vrai, justement. Même pour un esprit aussi enclin à admirer que le mien, les envolées de Bloy ont quelque chose d'insultant, du genre : "Je te remets à ta place, petit, tu ne seras jamais capable de faire ça, n'essaie même pas."
Vu de l'extérieur, on finit donc par se dire que F. Niesche est un pseudo pour A. Soral, ou que celui-là est le Radiguet de celui-ci. Je ne vois pas d'autre explication à cet acharnement à le « pousser » autant, le Président ayant par ailleurs le jugement critique généralement assez sûr. Il n'y a que l'orgueil ou le désir pour fausser ainsi le jugement.
Je reformule donc ma question initiale : est-ce qu'une éventuelle faiblesse homo du quinquagénaire Soral changerait quelque chose à certaines de ses analyses ? A coup sûr, ce serait amusant par rapport à la virilité exhibée, du genre "c'est moi qui pisse le plus loin", du Président, à coup sûr certains musulmans seraient décontenancés (mais ils en savent beaucoup sur l'homosexualité et son déni, les cochons), à coup sûr ça ne changerait pas tout, mais le personnage que le Président s'est bâti au fil du temps ne fait-il pas partie à quelque degré de ce qu'il dit ?
Cette question générale du rapport entre la vie d'un homme et ses idées vaut évidemment aussi pour Marc-Édouard Nabe. En lisant, récemment, L'âge du Christ, je pensais : soit l'auteur évolue au cours du temps, soit il se contredit, soit je le lis mal, soit il y a quelque chose que je n'ai jamais compris dans ce qu'il écrit. Or, le moins que l'on puisse dire, et c'est sans doute un élément important dans ma perplexité, est que dans les livres de MEN il y a circulation entre les propos de l'auteur et la façon dont il se présente.
Mais allons tout de suite au passage qui me tarabuste :
"Moi aussi j'en aurais bavé. J'en aurais bavé de ne pas avoir souffert ! Je ne vois que Dieu pour avoir créé une créature aussi peu souffrante que moi ! A trente-trois ans, je n'ai jamais si peu souffert. Je ne souffrais déjà pas beaucoup mais aujourd'hui c'est le sommet ! Rien, pas une once de douleur, pas la plus petite affliction. Tout va parfaitement bien. C'est l'année de l'extase pure ! Le délice des délices ! La béatitude absolue. Tout bonheur est ridiculisé par ma joie. Je suis en pleine forme, comme Catherine de Sienne ! Seuls les enscoutés imaginent les mystiques pataugeant dans la souffrance. Je suis sûr que Marthe Robin se régalait de ne pas sortir de son lit de « douleur » et de bouffer une hostie tous les trois ans. Quand on est dans la mystique, on n'a plus mal. Mon côté soufi m'empêche de chercher le malheur à tout prix pour justifier je ne sais quel sacrifice extorqué, par intimidation, par une Église tristement visible. On trouve encore du plaisir à se mortifier : c'est louche. Moi, je ne veux aucun plaisir, de l'extase seulement ! Dieu n'exige qu'un sacrifice : celui du Moi, c'est-à-dire de la personnalité égoïste, contente ou mécontente d'elle, de l'orgueilleux système individuel de l'homme qui organise sa vie en fonction de ses défauts et de ses qualités tout autant misérables.
Pour souffrir, il faut avoir un corps, et je n'ai pas de corps. Je n'ai qu'un sexe, je ne suis qu'un sexe. Sans le sexe, je serai [sic ?] définitivement débarrassé de tout ce qui me retient parfois hors de l'extase. On dit que je ne sacrifie rien, mais je sacrifie volontiers ma chasteté pour la Gloire du Seigneur ! Jouir - sexuellement jouir - est le meilleur moyen de ne pas déflorer l'extase par le plaisir. L'escroquerie, en matière religieuse, est de chercher dans l'extase la satisfaction que les athées trouvent dans le sexe.
Je sais, j'ai déjà utilisé cette photo, mais il est difficile de ne pas y avoir de nouveau recours à cet instant précis.
Tous les mystiques le disent, Ibn'Arabi, saint Jean de la Croix et les autres : si le croyant trouve du plaisir dans sa pratique, il n'est plus croyant. L'âme du derviche ne se grise pas de le faire danser. La sexualité n'a rien à voir avec la spiritualité. Voilà pourquoi concentrer tout le plaisir dans le sexe, permet de ne plus en trouver du tout dans toutes les autres formes malsaines de névrose religieuse : goût immodéré du sacrifice ; prières indécentes d'imploration ; extatismes flous ; mortifications débiles… Les phénomènes charismatiques (stigmates, bilocation, inédie, nimbes, fragrance, lévitation) appartiennent davantage au folklore fantastique qu'à la mystique transcendante. L'extase est un état permanent. C'est un « don » de Dieu. On n'atteint pas l'extase, on naît dans l'extase. Pour certains, ce peut être même une croix. Il n'y a rien de très marrant à être sans cesse coupé de la réalité par l'extase. Moi, ça me ravage. Heureusement, je me suis trouvé le sexe - parfait cilice pour me ramener un peu au réel, comme une bouée qui m'empêche de me noyer totalement dans cette mer de béatitude émotionnelle aux mille vagues giclant de joie qu'est ma vie religieuse." (L'âge du Christ, Rocher, 1992, pp. 109-111)
J'ai d'abord ressenti ce texte comme une sorte d'attaque personnelle, une attaque contre mes formules fétiches : le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe ; le sexe est métaphysique ; le monde tourne autour d'un axe métaphysique, dont le sexe est une des principales manifestations. Finalement, en le relisant pour le retranscrire, je constate que ce n'est pas tellement le cas. Fume, c'est du belge : Jean-Pierre Voyer, détournant cette formule à l'occasion du 11 septembre, faisait dire à Ben Laden, à l'attention du peuple américain : fume, c'est du réel. Poursuivons : suce, c'est du réel, jouis, c'est du réel. Que le sexe soit un moyen de découvrir quelque chose du réel ne l'empêche aucunement d'être métaphysique. Mais le plus beau vagin du monde ne peut donner que ce qu'il a - et c'est déjà pas mal -, il ne faut pas lui en demander plus. Clarifions par rapport au texte de MEN : une chose est de ne pas confondre sexualité et spiritualité, et à ce niveau, dans les grandes lignes je souscris à ce que je viens de retranscrire ; une autre chose est de purement et simplement renvoyer le sexe au réel, à un réel certes agréable, mais évident, prosaïque, quotidien. La réalité objective n'étant pas de nature matérielle - autre formule fétiche, ©Borella -, le sexe est bien évidemment le sexe et autre chose que le sexe. Il ne donne pas la clé, il n'est pas le mode le plus élevé de la connaissance, mais il est un mode de connaissance.
Difficile à communiquer, c'est bien le problème. De ce point de vue, on peut dire qu'il est impossible d'être nabien - alors qu'il est possible d'être soralien. Je préfère, si vous me permettez ce mot très plat, l'oeuvre de Marc-Édouard Nabe à celle d'Alain Soral, mais je me qualifierais beaucoup plus aisément - encore une fois, avec des réserves - de soralien que de nabien. Et certes il y a des nabiens, leur saint patron lui-même s'en agaçait à l'époque de la réédition du Régal par Dominique « Dilettante » Gaultier, mais le terme n'a pas de signification cohérente autre que celle d'être un fan des livres de MEN. Sinon cela revient à vouloir être Nabe à la place de Nabe, ou jouir comme Nabe à la place de Nabe.
- D'où la figure, évoquée dans Alain Zannini, de l'amisexuel :
"Ah ! Je me demandais ce que j'avais fait à la Sainte Vierge pour me retrouver toujours confronté à des amis d'une telle homosexualité symbolique… Hector, Marc, Stéphane, et tant d'autres ! Je n'ai eu que ça autour de moi ! Ceux que j'appelle les « amisexuels ». L'amisexuel pénètre dans le sexualité de son ami sans être son amant. La complicité, l'affectivité, l'intimité même ne lui suffisent pas : il veut entrer dans le désir que son ami a pour le reste du monde (et dont lui-même est exclu, par principe). La tragédie de l'amisexuel, c'est que c'est toujours l'autre qui jouit du monde et jamais lui." (p. 444)
La tragédie du nabien, c'est que c'est toujours Nabe qui jouit du monde, et jamais lui. L'auteur ne peut pas vraiment se plaindre d'être « confronté » à des amisexuels, il les a d'une certaine façon créés par son écriture et l'élaboration de son personnage littéraire.
Et les nabiennes ? Peut-être, oui, y a-t-il un sens du mot nabienne, plus intéressant que la fan énamourée qui se demande quel effet cela fait de se faire sauter par Nabe.
A elles de répondre, je ne vais pas creuser le sujet plus avant.
- Quel sujet, d'ailleurs ? Toujours le même, essayer de comprendre quelque chose à la différence des sexes, à son statut et à son rôle dans le monde moderne, voire son rôle éventuel dans la disparition à venir de ce monde moderne - ce qu'on peut appeler Apocalypse. Les textes de MEN sont une des voies d'accès pour ce sujet, que je ne peux guère aborder qu'ainsi, par petites touches, en utilisant le travail des autres. Il faut d'ailleurs noter - ou répéter - que l'auteur de L'âge du Christ, au moins en 1992, voyait l'Apocalypse derrière nous, durant la Seconde guerre mondiale. Mais ceci - n'est certes pas une autre histoire, ni même un autre sujet (enfin, c'est la question : est-ce un autre sujet ?) -, ceci, nous y reviendrons à une autre occasion.
Libellés : Apocalypse, Bloy, Borella, Dilettante, Félix Niesche, Ibn'Arabi, Jean de la Croix, Nabe, Nabiens, Soral, Voyer
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