"Chacun doit être acteur de sa propre sécurité."
Lorsque le sous-préfet (c'est du neutre, pas du masculin, il faut tout expliquer...) Anne Loubiès dit cette phrase, elle ne se rend probablement pas compte de la portée potentielle de ses propos. Rappelons d'abord que ce généreux conseil a été donné avant l'arrivée du cyclone Irma sur Saint-Martin, et donc avant les pillages subis par ceux que Mme Loubiès et l'État français n'ont pas réussi à protéger : l'effet désastreux produit après coup par une telle phrase ne peut en toute justice faire oublier qu'il s'agit là, aussi, d'un avis de bon sens.
Mais Irma et les pillards sont passés par là, ils ont été plus efficaces et plus présents que Mme Loubiès et l'État français... et cette phrase prend toute sa portée. Je ne dis là rien de nouveau, Marcel Gauchet a expliqué, après le 21 avril 2002 et le choc de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle ce que je vais répéter aujourd'hui. La nouveauté est qu'un représentant de l'État vende aussi ingénument et clairement la mèche, par l'union de ses paroles et de son déficit en action.
Gauchet, donc : la naissance de l'État moderne, telle que théorisée et modélisée par Hobbes, se fait très clairement via un donnant-donnant entre les citoyens, qui sortent du régime féodal aux solidarités et contraintes multiples, et l'État en question. En gros, les particuliers déposent les armes, laissent l'État assurer leur sécurité et maintenir l'ordre, ils lui remettent, pour parler comme Max Weber, le monopole de la violence légitime. Pour une vie quotidienne plus pacifiée en son ensemble, chacun accepte de se désarmer (ce n'est pas un geste anodin ni facile) et de laisser l'État assurer la sécurité de tous, via des forces armées spécialisées et un univers juridique formalisé. La notion de légitime défense étant à la fois un résidu de l'ancien système et la limite acceptée par le nouveau.
De ce point de vue, M. Gauchet le rappelait avec force quelques mois après que des millions d'électeurs français qui n'ont jamais lu Hobbes l'avaient fait dans les urnes, l'État ne saurait surestimer l'importance de sa mission régalienne d'assurer la sécurité de ses ressortissants : c'est cette mission qui l'a fait naître dans sa forme actuelle. Plus familièrement : c'est là-dessus que s'est fait le deal. Si l'État ne peut plus assumer cette mission, eh bien oui, on ne saurait mieux le dire que Mme Loubiès, chacun doit être acteur de sa propre sécurité. - Évidemment, pour reprendre un raisonnement de G. Debord dans les livraisons précédentes, nous sommes ici aussi les dindons de la farce, puisque le port d'armes est nettement plus réglementé en France qu'aux États-Unis : l'État (ou le truc qui nous contraint à plein de choses, nous donne des leçons et nous prend du fric) peut donc à la fois nous laisser tomber et nous punir si nous nous réarmons parce qu'il nous a laissés tomber.
On peut disserter sur les causes, mais pas sur les responsabilités : c'est l'État qui a commencé, comme diraient des enfants. Il est aussi logique qu'inévitable que les autres contractants (du « contrat social »), en l'occurrence les simples citoyens, constatant que l'accord est de moins en moins respecté, agissent en conséquence et en anticipent, sans la souhaiter, la rupture.
Peut-être reverra-t-on des Français avec des couilles et des responsabilités dans une cinquantaine d'années.
Mais Irma et les pillards sont passés par là, ils ont été plus efficaces et plus présents que Mme Loubiès et l'État français... et cette phrase prend toute sa portée. Je ne dis là rien de nouveau, Marcel Gauchet a expliqué, après le 21 avril 2002 et le choc de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle ce que je vais répéter aujourd'hui. La nouveauté est qu'un représentant de l'État vende aussi ingénument et clairement la mèche, par l'union de ses paroles et de son déficit en action.
Gauchet, donc : la naissance de l'État moderne, telle que théorisée et modélisée par Hobbes, se fait très clairement via un donnant-donnant entre les citoyens, qui sortent du régime féodal aux solidarités et contraintes multiples, et l'État en question. En gros, les particuliers déposent les armes, laissent l'État assurer leur sécurité et maintenir l'ordre, ils lui remettent, pour parler comme Max Weber, le monopole de la violence légitime. Pour une vie quotidienne plus pacifiée en son ensemble, chacun accepte de se désarmer (ce n'est pas un geste anodin ni facile) et de laisser l'État assurer la sécurité de tous, via des forces armées spécialisées et un univers juridique formalisé. La notion de légitime défense étant à la fois un résidu de l'ancien système et la limite acceptée par le nouveau.
De ce point de vue, M. Gauchet le rappelait avec force quelques mois après que des millions d'électeurs français qui n'ont jamais lu Hobbes l'avaient fait dans les urnes, l'État ne saurait surestimer l'importance de sa mission régalienne d'assurer la sécurité de ses ressortissants : c'est cette mission qui l'a fait naître dans sa forme actuelle. Plus familièrement : c'est là-dessus que s'est fait le deal. Si l'État ne peut plus assumer cette mission, eh bien oui, on ne saurait mieux le dire que Mme Loubiès, chacun doit être acteur de sa propre sécurité. - Évidemment, pour reprendre un raisonnement de G. Debord dans les livraisons précédentes, nous sommes ici aussi les dindons de la farce, puisque le port d'armes est nettement plus réglementé en France qu'aux États-Unis : l'État (ou le truc qui nous contraint à plein de choses, nous donne des leçons et nous prend du fric) peut donc à la fois nous laisser tomber et nous punir si nous nous réarmons parce qu'il nous a laissés tomber.
On peut disserter sur les causes, mais pas sur les responsabilités : c'est l'État qui a commencé, comme diraient des enfants. Il est aussi logique qu'inévitable que les autres contractants (du « contrat social »), en l'occurrence les simples citoyens, constatant que l'accord est de moins en moins respecté, agissent en conséquence et en anticipent, sans la souhaiter, la rupture.
Peut-être reverra-t-on des Français avec des couilles et des responsabilités dans une cinquantaine d'années.
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