mardi 19 septembre 2017

Autrefois...

"Autrefois la Grèce fleurissait au sein des plus cruelles guerres ; le sang y coulait à flots, et tout le pays était couvert d’hommes… Un peu d’agitation donne du ressort aux âmes, et ce qui fait vraiment prospérer l’espèce est moins la paix que la liberté."

Rousseau. « Un peu d'agitation... », le genevois se la joue facile, on parle tout de même de guerres. L'idée néanmoins n'est pas absurde, que la liberté soit plus profitable à l'espèce, comme il dit, que la paix. Nous qui sacrifions petit à petit toutes nos libertés à la paix, pourrions y réfléchir. (A moins que des « flots de sang » sur le territoire ne distraient bientôt et dans un premier temps nos esprits de ces réflexions générales...)

Ceci étant, un prototype, dans l'imaginaire en tout cas, du libéral, à savoir Guizot, nous avertit qu'il faut être prudent lorsque l'on parle de liberté : 

" Si le pouvoir n’a plus de mystères pour la société, c’est que la société n’en a plus pour le pouvoir ; si l’autorité rencontre partout des esprits qui prétendent à la juger, c’est qu’elle a partout quelque chose à exiger ou à faire ; si on lui demande en toute occasion de légitimer sa conduite, c’est qu’elle peut disposer de toutes les forces et a droit sur tous les citoyens ; si le public se mêle beaucoup plus du gouvernement, le gouvernement agit aussi sur un autre bien public, et le pouvoir s’est agrandi comme la liberté."

Voilà qui n'est pas sans évoquer Abel Bonnard, et notamment son Éloge de l'ignorance. Guizot-Bonnard, je n'aurais pas imaginé les rapprocher un jour... Mais c'est que nous sommes ici devant un couple paradoxal, État / liberté, que l'on peut comparer à celui formé au XIXe et dans la première partie du XXe par le bourgeois et l'artiste. Ça grandit ensemble, dans les querelles morales et de territoire, mais ça participe du même phénomène. Pour le dire vite, si les surréalistes n'avaient eu que des paysans à choquer, non seulement ils n'auraient pas gagné leur croûte, mais ils auraient vite cherché des occupations plus récréatives. De même, il y a une forme spécifique de liberté, envisagée par Guizot, qui croît en même temps que l'État moderne, dans une espèce de donnant-donnant, chacun intervenant de plus en plus dans le domaine de l'autre. Co-dépendance toujours conflictuelle, assez surréaliste pour le coup aujourd'hui : l'État nous a rarement autant emmerdé ; mais, dans le même temps, la position des représentants dudit État devient des plus fragiles - un rien, un presque rien, un trois fois rien ("C'est déjà quelque chose", comme disait R. Devos) pouvant les forcer à démissionner. C'est bien fait pour la gueule des arrivistes qui prétendent faire notre bonheur et même nous expliquer comment être heureux, mais ce n'est évidemment pas très sain. Et, comme beaucoup de phénomènes du monde actuel, cela n'a pas de raison de s'arrêter. Le système qui nous donne Internet, Tweeter, à l'aide desquels nous pouvons (entre autres) le faire chier, est aussi celui qui s'incruste chez nous, dans nos téléphones, nos ordinateurs, et nous le laissons faire, parce que nous ne savons pas comment nous y opposer, autrement, justement, que sur Internet. Et ainsi de suite... pour l'instant.