Retour à et perpétuation du XIXe siècle. Balzac ne pensait pas printemps, n'était ni fainéant ni esclave salarié, ni enculiste...
Il était écrivain :
"M. Poiret était une espèce de mécanique. En l’apercevant s’étendre comme une ombre grise le long d’une allée au Jardin des Plantes, la tête couverte d’une vieille casquette flasque, tenant à peine sa canne à pomme d’ivoire jauni dans sa main, laissant flotter les pans flétris de sa redingote qui cachait mal une culotte presque vide, et des jambes en bas bleus qui flageolaient comme celles d’un homme ivre, montrant son gilet blanc sale et son jabot de grosse mousseline recroquevillée qui s’unissait imparfaitement à sa cravate cordée autour de son cou de dindon, bien des gens se demandaient si cette ombre chinoise appartenait à la race audacieuse des fils de Japhet qui papillonnent sur le boulevard Italien.
Je vous épargne l'explication de la métaphore, cela signifie : s'il appartenait encore à l'espèce humaine.
Quel travail avait pu le ratatiner ainsi ? quelle passion avait bistré sa face bulbeuse, qui dessinée en caricature, aurait paru hors du vrai ? Ce qu’il avait été ? (…) Peut-être avait-il été receveur à la porte d’un abattoir, ou sous-inspecteur de la salubrité. Enfin cet homme semblait avoir été l’un des ânes de notre grand moulin social (…), quelque pivot sur lequel avaient tourné les infortunes ou les saletés publiques, enfin l’un de ces hommes dont nous disons, en les voyant : Il en faut pourtant comme ça. Le beau Paris ignore ces figures blêmes de souffrances morales ou physiques. Mais Paris est un véritable océan. Jetez-y la sonde, vous n’en connaîtrez jamais la profondeur. Parcourez-le, décrivez-le : quelque soin que vous mettiez à le parcourir, à le décrire ; quelque nombreux et intéressés que soient les explorateurs de cette mer, il s’y rencontrera toujours un lieu vierge, un antre inconnu, des fleurs, des perles, des monstres, quelque chose d’inouï, oublié par les plongeurs littéraires."
Dans l'édition Pléiade sur laquelle je relis ce début du Père Goriot, la métaphore de l'âne qui fait tourner le moulin de la société tout en restant bloqué à la même place et à la même tâche bêtifiante est évoquée ainsi en note :
"Cette image, par laquelle Balzac se représente le travail stupide de l'employé (l'esclave salarié du tertiaire, dirions-nous aujourd'hui, note de AMG), le hante depuis longtemps. En 1821, il écrivait à sa soeur Laure : « Si j'ai une place, je suis perdu, et M. Nacquart en cherche une. Je deviendrai un commis, une machine, un cheval de manège qui fait trente ou quarante tours, boit, mange et dort à ses heures ; je serai comme tout le monde. Et l'on appelle vivre, cette rotation de meule de moulin, ce perpétuel retour des mêmes choses ? »"
Apparemment, pour certains, en CDI, oui, ça s'appelle « vivre ».
"M. Poiret était une espèce de mécanique. En l’apercevant s’étendre comme une ombre grise le long d’une allée au Jardin des Plantes, la tête couverte d’une vieille casquette flasque, tenant à peine sa canne à pomme d’ivoire jauni dans sa main, laissant flotter les pans flétris de sa redingote qui cachait mal une culotte presque vide, et des jambes en bas bleus qui flageolaient comme celles d’un homme ivre, montrant son gilet blanc sale et son jabot de grosse mousseline recroquevillée qui s’unissait imparfaitement à sa cravate cordée autour de son cou de dindon, bien des gens se demandaient si cette ombre chinoise appartenait à la race audacieuse des fils de Japhet qui papillonnent sur le boulevard Italien.
Je vous épargne l'explication de la métaphore, cela signifie : s'il appartenait encore à l'espèce humaine.
Quel travail avait pu le ratatiner ainsi ? quelle passion avait bistré sa face bulbeuse, qui dessinée en caricature, aurait paru hors du vrai ? Ce qu’il avait été ? (…) Peut-être avait-il été receveur à la porte d’un abattoir, ou sous-inspecteur de la salubrité. Enfin cet homme semblait avoir été l’un des ânes de notre grand moulin social (…), quelque pivot sur lequel avaient tourné les infortunes ou les saletés publiques, enfin l’un de ces hommes dont nous disons, en les voyant : Il en faut pourtant comme ça. Le beau Paris ignore ces figures blêmes de souffrances morales ou physiques. Mais Paris est un véritable océan. Jetez-y la sonde, vous n’en connaîtrez jamais la profondeur. Parcourez-le, décrivez-le : quelque soin que vous mettiez à le parcourir, à le décrire ; quelque nombreux et intéressés que soient les explorateurs de cette mer, il s’y rencontrera toujours un lieu vierge, un antre inconnu, des fleurs, des perles, des monstres, quelque chose d’inouï, oublié par les plongeurs littéraires."
Dans l'édition Pléiade sur laquelle je relis ce début du Père Goriot, la métaphore de l'âne qui fait tourner le moulin de la société tout en restant bloqué à la même place et à la même tâche bêtifiante est évoquée ainsi en note :
"Cette image, par laquelle Balzac se représente le travail stupide de l'employé (l'esclave salarié du tertiaire, dirions-nous aujourd'hui, note de AMG), le hante depuis longtemps. En 1821, il écrivait à sa soeur Laure : « Si j'ai une place, je suis perdu, et M. Nacquart en cherche une. Je deviendrai un commis, une machine, un cheval de manège qui fait trente ou quarante tours, boit, mange et dort à ses heures ; je serai comme tout le monde. Et l'on appelle vivre, cette rotation de meule de moulin, ce perpétuel retour des mêmes choses ? »"
Apparemment, pour certains, en CDI, oui, ça s'appelle « vivre ».
<< Home