mardi 26 décembre 2017

Jean Clair encore (fin des années 1990).

"La question demeure : comment se fait-il que, de l’ensemble des idéologies de notre siècle, l’avant-garde est la seule à n’avoir pas su affronter sa critique ? Nous aurons vécu, ces derniers vingt ans, l’écroulement des doctrines qui ont marqué notre époque. Mais la doxa avant-gardiste, si liée pourtant aux utopies politiques, modelée qu’elle fut dès son origine sur leurs prémisses et leurs théories, tout comme elle est liée aux croyances ésotériques du tournant du siècle, semble aujourd’hui aussi intouchable qu’hier. Elle demeure, dans ses errements, sa violence, sa haine de la culture, son « dogme antihumaniste consciemment érigé en programme d’action », pour reprendre les termes de Zweig, parée tout à la fois des prestiges de la révolte individuelle et de l’apport du progrès des arts au bien commun. Chérie des programmes ministériels de développement culturel, institutionnalisée et fonctionnarisée, elle prétend cependant toujours incarner l’esprit de l’insoumission au pouvoir établi. D’où vient que demeure cet étonnant privilège ? Car il ne s’agit plus, bien entendu, de subversion des valeurs établies. Aucun État n’a jamais subventionné la subversion de ses propres valeurs. 

La foi dans les utopies politiques, de droite comme de gauche, du bolchevisme au nazisme, que l’avant-garde en art a non seulement partagée, mais dont elle a fourni quelques-uns des principaux articles, est retombée. Depuis lors, l’esthétique avant-gardiste reste en l’air. D’autant plus fanatique et intolérante de devoir désormais prêcher dans le vide."


 - subsiste le substrat de l’utopie maçonne antichrétienne, mais qui manque, c’est paradoxal et c'est bien fait, d’incarnation, comme il en avait trouvé avec le bolchevisme et le nazisme. Ces utopies proposaient quelque chose, l'antichristianisme de l'art contemporain est une fin en soi, une boucle bouclée, un ressassement éternel, comme dirait Blanchot - ou la culture de l'art contemporain, comme on  dit que la culture est ce qui reste quand on a tout oublié.

(Je date mes citations de J. Clair pour permettre au lecteur de mieux juger de ce qui a changé ou non depuis la rédaction. J'apprends en parcourant sa fiche Wikipedia qu'il a été élu à l'Académie Française en l'emportant contre Pierre Bergé. Sans prêter à cette vénérable institution plus de respect que nécessaire, cela m'a fait sourire et m'est apparu comme une bonne nouvelle).