lundi 26 mars 2018

Le Grand Remplacement ne vient pas seulement de l'étranger. "Une espèce d’homme essentiellement supranationale et nomade..."

Un peu de Nietzsche, pourquoi pas ? 

"Qu’on appelle « civilisation » ou « humanisation » ou « progrès » ce qui apparaît aujourd’hui comme la caractéristique de l’Européen ; qu’on l’appelle simplement, sans éloge ni blâme, d’une formule politique, le mouvement démocratique de l’Europe : derrière les scènes politiques et morales que désignent ces formules, s’accomplit un immense processus physiologique de plus en plus rapide : les Européens commencent à se ressembler, ils se libèrent progressivement des conditions qui font naître des races prisonnières du climat et des classes sociales ; ils s’affranchissent toujours davantage de tout milieu défini qui pourrait au cours des siècles imposer à l’âme et au corps des exigences identiques. Ce qui s’accomplit, c’est donc le lent avènement d’une espèce d’homme essentiellement supranationale et nomade et qui, physiologiquement, possède comme caractère distinctif et typique un maximum de don et de puissance d’adaptation. Ce processus d’« européanisation » verra peut-être son rythme retardé par de grandes rechutes, mais il y gagnera sans doute en véhémence et en profondeur - l’impétueuse poussée du « sentiment national » qiu fait encore rage actuellement est une des ces rechutes, tout comme la montée de l’anarchisme -, et il aboutira probablement à des résultats qu’étaient très loin d’attendre ses naïfs promoteurs et panégyristes, les apôtres des « idées modernes ». Les mêmes conditions nouvelles qui déterminent en moyenne le nivellement de l’homme, - ravalé au rang d’animal grégaire utile, laborieux, utilisable à toutes fins, et jamais en défaut, - sont aussi éminemment propices à donner naissance à des hommes d’exception du genre le plus dangereux et le plus séduisant. En effet, alors que la force d’adaptation, qui se trouve en face de conditions toujours changeantes et doit recommencer à chaque génération et presque tous les dix ans un nouveau travail, ne permet pas au type humain de s’affirmer avec puissance ;  alors que l’impression générale que feront ces Européens de l’avenir sera probablement celle de travailleurs à tout faire, bavards, faibles de volonté et extrêmement adaptables, qui ont besoin du maître, de celui qui commande, comme du pain quotidien ["En tant que révolutionnaires, vous êtes des hystériques qui réclament un nouveau maître. Vous en aurez un", disait le maurrassien Lacan aux gauchistes en 1968. Eux et leurs enfants ont Macron.] ; alors que la démocratisation de l’Europe tendra à produire un type d’hommes préparés à l’esclavage au sens le plus raffiné du mot - dans certains cas isolés, l’homme fort connaîtra des réussites exceptionnelles et deviendra plus fort et plus riche qu’il ne l’a jamais été jusqu’ici, - grâce à l’absence de préjugés de son éducation, grâce à l’infinie multiplicité de ses exercices, de ses talents, de ses masques. Je voulais dire : la démocratisation de l’Europe nous prépare du même coup et très involontairement une pépinière de tyrans, - dans tous les acceptions du mot, même la plus spirituelle."

Par-delà la fascination toujours un peu équivoque du futur-fou moustachu pour la force, ce texte rappelle, en somme, que pour être remplacé, il faut être remplaçable, et que la modernité avait déjà commencé, il y a plus d’un siècle, à standardiser les Européens - jusqu’au premier climax de la boucherie héroïque (Nietzsche aimait Voltaire, citons-le…) de 14-18. Et à l’abattoir (pas encore hallal), tout le monde se ressemble. 


Ceci étant, pour finir sur une note plus positive, les jeunes qu’il m’arrive de croiser dans mon métier, à leur modeste échelle, peuvent confirmer une des prédictions de Nietzsche : moins psycho-rigides que les jeunes de mon époque, bibi compris, curieux de beaucoup de choses, absolument pas dupes des conneries qui ont bercé toutes les générations depuis les années 60, ils me permettent d’être un peu moins vieux con. Arrivent-ils trop tard, sont-ils assez nombreux, c’est une autre question.