jeudi 10 mai 2018

Histoire égoïste.



"Beaucoup d’écrivains furent séduits par le fascisme comme par un mouvement lyrique où se mêlaient le chant et la volonté. Pour Drieu La Rochelle obsédé comme tout barrésien par l’empire de la décadence, le fascisme était le ressort qu’il avait d’abord attendu de Moscou ; le mystérieux ressort qui tout à coup suspendait le cours du déclin. 




Pour Brasillach le fascisme n’était pas une opération politique mais un vaste courant de symboles, issu d’une culture secrète plus vraie que celle des livres. Il avait transformé le fascisme en poésie nationale et Mussolini en un chantre qui, ayant éveillé la Rome immortelle, lance de nouvelles galères sur le Mare Nostrum. Autres poètes magiques : Hitler qui célèbre les nuits de Walpurgis, les fêtes de Mai et qui apparaît à Brasillach dans une guirlande de chansons de marche et de myosotis, de dures branches de sapin aussi, avec une escorte de jeunes cueilleuses de myrtilles aux belles nattes, toutes fiancées à des S. S. descendus de la Venusberg. Même Codreanu est un poète grâce à la légion de l’archange Michel. La rose et l’épée s’entrelacent autour des guerriers de Primo de Rivera. Jusqu’à la Belgique qui devient poétique grâce à Degrelle qui souffle la fraîche inspiration des Ardennes. (…)




Si Céline est apparu comme un antisémite favorable au nazisme c’est que son inspiration se nourrissait littérairement de l’invective des imprécations ; pendant des années Céline avait été au bord du communisme et si, malgré les grâces que lui avait faites Aragon, il s’était refusé


 


c’est qu’il refusait une discipline qui eût entravé son exubérance de démiurge ; quand Céline s’en prenait aux juifs ceux-ci lui fournissaient un nom, une image, une cible vers laquelle pouvait librement rouler son délire : les juifs, pour lui, c’étaient les autres. 





Et s’il daignait examiner son cas c’était pour se perdre dans les autres et se déclarer juif carrément : « Grâce à mon genre incantatoire, mon lyrisme ordurier, vociférant, anathématique, dans ce genre très spécial, assez juif par certains côtés, je fais mieux que les juifs, je leur donne des leçons. » Nizan voyait clair en voyant dans Céline un poète, en le peignant comme « un attardé de la dernière décade du XIXe siècle, un survivant authentique de la génération symboliste.. Là où le symboliste des années 90 écrivait azur, Céline écrit merde ».

Il n’est pas surprenant que Céline se soit servi comme d’un tremplin de la véhémence fasciste et même nazie mais pas une seconde il n’avait songé à servir par ses écrits la cause fasciste alors que celle-ci remuait en Brasillach autant l’être humain que l’écrivain. Le Brasillach que j’entrevoyais à la bibliothèque Sainte-Geneviève était mû par une esthétique révolutionnaire ; ce lourd jeune homme élégiaque, qui n’aimait rien tant que les velours de théâtre, avait pris le parti de frémir aux souffles pur du plein air, au martèlement des troupes de jeunes partant skier ou marcher en défilant en colossale procession. Il jouissait d’opposer à la pourriture sénile des parlementaires et des banquiers la candeur virile de musculatures jeunes. Le spectacle fasciste ne lui inspirait pas seulement des hymnes ou des réquisitoires, il parait et colorait toute la littérature dont Brasillach cultivait l’héritage, enchanté de raviver Corneille par les généreuses ardeurs que dispensait l’esprit du temps. 




Car le fascisme pendant quelques années fit partie de l’esprit du temps ; son ardeur s’harmoniait même avec celle de ses ennemis pour peu que ceux-ci fussent jeunes. Paul Sérant a bien décrit cette crise."