mardi 26 juin 2018

Enfin Malherbe vint...

Trois poèmes de Malherbe aujourd’hui. Ce sont surtout les deux derniers que j’avais envie de vous faire lire, mais le premier, d’une part me permet un bon contrepoint, d’autre part contient tout de même l’un des plus beaux incipits de la poésie française, ne nous privons donc pas. 

Dessein de quitter une dame qui ne le contentait que de promesse. 

"Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine
A comme l’océan, son flux et son reflux :
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,
Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus.

Vos yeux ont des appas que j’aime et je prise.
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté :
Mais pour me retenir, s’ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l’amour autant que de beauté.

Quand je pense être au point que cela s’accomplisse
Quelque excuse toujours en empêche l’effet :
C’est la toile sans fin de la femme d’Ulysse,
Dont l’ouvrage du soir au matin se défait.

Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire
De me l’avoir promis et vous rire de moi.
S’il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire,
Et s’il vous en souvient, vous n’avez point de foi.

J’avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m’en séparer qu’avecque le trépas
S’il arrive autrement ce sera votre faute,
De faire des serments et ne les tenir pas."


Les deux autres poésies expriment aussi le désir, de façon quelque peu directe, mais non sans aide divine : 

"J’avais passé quinze ans les premiers de ma vie, 
Sans avoir jamais su quel était cet effort, 
Où le branle du cul fait que l’âme s’endort, 
Quand l’homme a dans un con son ardeur assouvie. 

Ce n’était pas pourtant qu’une éternelle envie, 
Ne me fît désirer une si douce mort, 
Mais le vit que j’avais n’était pas assez fort, 
Pour rendre comme il faut une dame servie. 

J’ai travaillé depuis et de jour et de nuit, 
A regagner ma perte, et le temps qui s’enfuit, 
Mais déjà l’Occident menace mes journées, 

Ô Dieu je vous appelle, aidez à ma vertu, 
Pour un acte si doux allongez mes années, 
Ou me rendez le temps que je n’ai pas foutu."



"« Multipliez le monde en votre accouplement », 
Dit la voix éternelle à notre premier père, 
Et lui, tout aussitôt, désireux de le faire, 
Il met sa femme bas, et la fout vivement. 

Nous, qui faisons les fous, disputons sottement
De ce Dieu tout-puissant la volonté si claire, 
Par une opinion ouvertement contraire
Nous-mêmes nous privant de ce contentement.

Pauvres ! qu’attendons-nous d’une bonté si grande ?
Ne fait-il pas assez, puisqu’il nous le commande ?
Faut-il qu’il nous assigne et le temps et le lieu ?

Il n’a pas dit, Foutez ; mais, grossiers que nous sommes ! 
Multiplier le monde en langage de Dieu, 

Qu’est-ce, si ce n’est foutre en langage des hommes !"