Les valences expressives.
Parenthèse mélomane aujourd’hui, ne soyons pas déclinisto-apocalyptiques tous les jours… Au sujet principalement, mais pas seulement, de Richard Strauss, la plume toujours claire de Dominique Jameux nous offre quelques réflexions peut-être pas inutiles :
"Si un consensus se dégage à propos du génie straussien, c’est à ses dons d’orchestrateur qu’il le doit. Strauss fait partie d’une génération d’orchestrateurs admirables, qui bénéficient à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci (sic…) d’un instrument, l’orchestre symphonique, qui a atteint son plus haut point de perfection, notamment en ce qui concerne le mécanisme des instruments à pistons. Mais surtout, un nouvel esprit orchestral est né, auquel participent, sur des modes différents, des musiciens aussi divers que Mahler, Puccini, Ravel ou Rimsky-Korsakov.
L’origine directe en est Berlioz (dont Strauss fait vers 1900 une révision en allemand du « Traité d’orchestration »), Liszt et surtout Wagner. Car ces musiciens qui ont la réputation injuste de « faire du bruit », sont, au contraire, par rapport à Brahms par exemple, ceux qui ont poussé les premiers le plus loin le souci de l’individualisation des instruments. Il n’est que de saisir n’importe quelle partition de Wagner pour s’en convaincre : il n’y a plus dans l’orchestre « le quatuor », c’est-à-dire les cordes, et « l’harmonie », c’est-à-dire tout le reste. Il n’y a plus dans celle-ci « les vents » et la percussion. Il n’y a plus dans les vents, les bois et les cuivres, et dans les bois des « pupitres » de flûte, hautbois, etc. Mais il y a sur chaque chaise un instrumentiste auquel est confié une partie pour ainsi dire autonome, qui exige presque de lui une virtuosité de soliste, que lui facilite par ailleurs le développement à l’époque de la facture d’instrument. Et à ce virtuose anonyme on demande d’intervenir comme s’il jouait un véritable rôle à soi seul, à moins qu’il ne soit requis pour se mêler avec n’importe lequel de ses collègues, pour un effet auditif original.
Car on aura compris que cette individualisation de chaque instrument de l’orchestre n’est pas une fin en soi, mais avait pour conséquence de rendre possibles des formes de groupement nouvelles. Si l’instrumentation qu’on enseigne au jeune Strauss lui apprend tout sur le caractère, les valences expressives, et les contraintes techniques de chaque instrument, l’orchestration, qui lui est enseignée sagement en même temps, doit lui révéler la richesse des possibles - de tous les possibles - mélanges d’instruments.
Ainsi, à vingt ans, Strauss reçoit comme cadeau un magnifique orchestre : cent ou cent vingt musiciens à la fois solidaires et experts, une formation en même temps puissante, souple et sensible. Il peut en faire ce qu’il veut : que veut-il ?"
Vous le saurez, sinon demain, en tout cas bientôt…
<< Home